
Un collectif très divers de Français d’origine algérienne, de Franco-Algériens et de « Français aimant l’Algérie » appelle, dans une tribune au « Monde », publiée le 13 mars, les deux pays à retrouver « un chemin de coopération et de dialogue » qui serait bénéfique aux deux nations, « dans un espace méditerranéen confronté à des défis majeurs ». AFRIK.COM vous propose d’en lire les principaux passages…
« Nous, Français d’origine algérienne, Franco-Algériens, Français aimant l’Algérie, ressentons un malaise profond face à la détérioration rapide, et à nos yeux sans équivalent jusque-là, de la relation entre la France et l’Algérie, deux pays dont nous sommes issus, qui nous lient et auxquels nous sommes profondément attachés.
Nous sommes tristes, et pour tout dire désemparés, face à une situation où, de part et d’autre, nous avons l’impression que ce sont les extrémistes, et les polémiques qu’ils alimentent, qui dictent l’agenda et instrumentalisent la relation franco-algérienne à des fins politiques. Comme si cette relation, cousue d’innombrables fils entremêlés, devait se réduire à des agissements tragiques et criminels, comme à Mulhouse [dans le Haut-Rhin, où un Algérien en situation irrégulière est suspecté d’avoir tué un passant au couteau et blessé six autres personnes, le 22 février], qui nuisent gravement à l’ensemble de la communauté nationale, Franco-Algériens compris. »
« Il y a bien des problèmes objectifs qui parasitent la relation bilatérale. Des différends. Des malentendus dont il faut parler avec franchise, exigence et honnêteté. Il y a les questions migratoires. Il y a le passé colonial de la France, les douleurs qu’il a engendrées, les silences, parfois encore le déni qui les entoure, même s’il faut saluer les gestes importants que le président de la République, Emmanuel Macron, a adressés à l’Algérie.
Or, tout cela mérite d’être abordé de façon ferme, mais apaisée. Et comment imaginer que les postures et les coups de menton, d’un côté comme de l’autre, puissent faciliter un heureux dénouement ? A fortiori quand ils sont, comme souvent dans certains de nos médias idéologisés, entachés de mensonges flagrants. Au contraire, cela ne fera qu’échauffer des esprits et, in fine, envenimer un peu plus les choses. La diplomatie, le dialogue doivent reprendre le dessus. »
Le cas Boualem Sansal
« Et puis il y a Boualem Sansal. Nous sommes nombreux à le connaître, parfois à l’avoir comme ami et souvent à regretter certaines de ses positions depuis plusieurs années. Mais c’est sa liberté, et comment ne pas déplorer l’emprisonnement d’un écrivain reconnu, mais aussi d’un vieil homme malade du cancer ? Nous ne pouvons qu’espérer que le président Abdelmadjid Tebboune fasse un geste d’humanité en le libérant. »
Le rôle de la diaspora
« La relation franco-algérienne a toujours été très politique, en grande partie tributaire des liens personnels que les chefs d’Etat sont parvenus – ou non – à tisser au fil de leurs mandats. Dans ces tête-à-tête toujours délicats, faits de proximité et de distance, la « diaspora » franco-algérienne en France n’a jamais eu vraiment son mot à dire. Ballottée au gré des circonstances, au rythme des circonvolutions d’une relation qui n’a jamais été simple, elle a toujours cherché sa place, sans vraiment la trouver.
Les présidents Macron et Tebboune ont pourtant, chacun à leur manière, rappelé le rôle prééminent que la diaspora avait vocation à jouer entre les deux pays : celui d’un trait d’union entre deux histoires entremêlées, deux sociétés qui partagent encore bien des choses, deux économies qui ont chacune ses intérêts, ses priorités. L’un et l’autre pourraient cependant davantage s’articuler dans le cadre d’un « agenda positif » qui prolonge et renforce le travail déjà entrepris, y compris sur les sujets mémoriels, grâce aux préconisations du rapport Stora [publié en 2021 par l’historien Benjamin Stora, il recommande la mise en place d’une commission chargée de promouvoir des initiatives mémorielles communes].
Par-delà les désaccords
« Car ne nous trompons pas : dans ce monde brutal et fragmenté qui est le nôtre, l’Europe et la France ont besoin de partenaires de l’autre côté de la Méditerranée, en Afrique, dans le monde arabe. L’Algérie est un grand pays avec lequel, par-delà nos désaccords, nous pouvons nous entendre dans bien des domaines et de façon mutuellement avantageuse. Il faut pour cela, comme l’a justement déclaré, fin février, Emmanuel Macron depuis le Portugal, que « le travail de fond » soit « réengagé ».
Bien entendu, on objectera à juste titre la mobilité à sens unique, le faible taux de délivrance des laissez-passer consulaires ou encore l’immigration illégale. Ce sont des problèmes qu’il faut évidemment parvenir à régler. Mais l’autre versant de cette réalité, dont on parle finalement assez peu, ce sont les millions de Français d’origine algérienne ou de Franco-Algériens parfaitement assimilés, qui occupent aujourd’hui jusqu’aux plus hautes fonctions en France, et qui la font rayonner par leur talent, leur travail, leur engagement, leur mérite. Tous ceux-là font aussi partie de l’équation de la mobilité, mais inscrite dans un temps plus long, qui est celui à l’aune duquel se bâtissent les nations.
La France et l’Algérie peuvent s’entendre!
« La France n’a pas besoin de l’Algérie, ni l’Algérie de la France. Mais ces deux pays ensemble, dans un espace méditerranéen confronté à des défis majeurs, peuvent trouver un chemin de coopération et de dialogue qui ne porte pas préjudice à leurs intérêts respectifs, mais au contraire les conjugue opportunément. Sur l’économie, l’environnement, l’innovation et l’intelligence artificielle, la culture et le patrimoine notamment, la France et l’Algérie peuvent s’entendre. La diaspora, trait d’union entre nos deux pays, aspire à prendre pleinement sa place, dans l’apaisement et le respect mutuel. »
Liste des signataires :
Karim Amellal, diplomate
Amine Benyamina, psychiatre, professeur de médecine
Stéphane Beaud, sociologue, professeur des universités,
Fadila Khattabi, ancienne ministre
Jean-Pierre Mignard, avocat
El Mouhoub Mouhoud, économiste, professeur des universités
Rachid Ouramdane, danseur, chorégraphe
Tokia Saifi, ancienne secrétaire d’Etat
Benjamin Stora, historien, professeur des universités
Cedric Villani, mathématicien, professeur des universités
Djilali Annane, professeur de médecine
Karima Dirèche, historienne
Nacer Kettane, président de Beur FM
Meziane Idjerouidene, président du groupe Weaving
Aicha Mokdahi, présidente d’association
Georges Morin, président de Coup de soleil
Mohamed Taleb, psychiatre
Tassadit Yassine, directrice d’études Ehess