La chaîne française M6 sort du placard une « Enquête Exclusive » sur la capitale algérienne. Diffusée le dimanche 22 novembre, cette émission pose de graves problèmes déontologiques. Plusieurs erreurs, des approximations, des caricatures de la société algérienne d’aujourd’hui et d’autres manipulations décevantes pour faire monter l’audimat sautent aux yeux.
La bande annonce du début d’émission racole le téléspectateur. Le titre du reportage résume l’idée : Le nouveau visage d’Alger : entre la fête et la peur. Fête traduire sexe et alcool, peur traduire terrorisme et police. Entre les deux un véritable « zapping » de séquences avec, sans logique aucune, de jeunes « riches » en train de se défouler à la piscine, des terroristes barbus sur internet tirant au bazooka, des hooligans s’adonnant à des violences sous le regard des caméras de surveillance de la ville, des hommes arrêtés par la police en pleine rue pour (on n’aura jamais le témoignage des personnes arrêtées, qui sont-ils ?), possession de drogue… Quel est l’angle du documentaire ? Une mise en scène de la violence au mépris de vérifications journalistiques basiques ? C’est réussi !
Malhonnêteté de l’information
Visiblement, l’émission a décidé de faire fi des règles qui s’imposent pourtant à la chaîne, « honnêteté de l’information », « déontologie des programmes »… D’où proviennent les images récupérées sur Internet ? De quelle époque datent-elles ? Que montrent-elles vraiment ? Quand s’est produite cette attaque au bazooka d’un fourgon de transport de fonds par des islamistes ? Comment ne pas prévenir les téléspectateurs que ces images diffusées par les islamistes depuis des années à des fins de propagande ne sont pas des images fiables ? Et qu’elles peuvent être tout simplement une vulgaire mise en scène publicitaire de leurs actions ?
Les dangereux islamistes?..
Plus grave encore dans la mise en scène et le montage de l’information : on apprend effaré, juste avant la coupure pub, que les bois d’Alger sont le repère d’islamistes préparant de mauvais coups ! Même avertissement prometteur au moment de la reprise du programme. Mais pas de chance les policiers en embuscade ne découvrent finalement entre les oliviers qu’un petit groupe de jeunes buvant de l’alcool, à l’abri des censures familiales… Et le journaliste de s’étonner que les policiers les laissent en liberté ! Mais pourquoi diable les auraient-ils arrêtés ? Ce serait comique si ce n’était dérisoire.
… Quelques jeunes qui boivent en cachette des parents !
La voix off du producteur de Pallas Télévision Eric Pierrot insiste sur la moralisation de la société algérienne et son Etat autoritaire. On nous montre des barrages un peu partout dans la ville (ce qui est vrai), des policiers incognito surveillant sur les plages d’Alger d’éventuels fauteurs de troubles (rien à signaler, expliquent-ils), et d’autres chassant un peu partout des jeunes sur lesquels des fouilles rapides trouvent quelques grammes de cannabis. Comme si le quotidien des Algérois était fait de violence urbaine, de trafic de drogue et de fouilles brutales…
Les images d’interpellations spectaculaires se multiplient donc dans les rues d’Alger la Blanche, même si aucune ne débouche sur une capture très probante. On dirait un peu un film de démonstration utilisé par la police algérienne pour la formation de ses agents… C’est la fameuse technique du journaliste « embarqué », ici à bord d’une patrouillle de flics… Qui démontre son savoir faire quotidien ! Même si elle n’aura rien trouvé de très important au fil du documentaire… Mais est-ce vraiment depuis le siège arrière d’une voiture de police qu’on a la meilleure vision d’une société? On peut en douter. Disons à tout le moins que le regard est biaisé.
Alcool, déjà la prohibition ?
Le documentaire se termine par le grand air de la prohibition joué dans la capitale. La vente d’alcool semble de plus en plus difficile dans le pays… Après tout pourquoi pas ? On découvre un homme d’affaires qui se bat pour fabriquer de l’alcool et en vendre malgré les freins mis par l’administration algérienne. Mais ce qui cloche, c’est la façon de le montrer encore une fois. On « floute » des personnes travaillant dans une usine de fabrication d’alcool sans nous expliquer pourquoi, ni le danger qui les menace, comme si c’était naturel. L’atmosphère oppressante d’une Algérie qui se cache s’installe peu à peu. On parle de commerces « quasi clandestins » et on oublie de s’attarder sur la grande affiche de publicité pour la bière qui s’étale sur la vitrine de la boutique filmée… Bien visible de la rue, mais inaperçue apparemment de la caméra ?
On entre alors en caméra cachée dans une épicerie vendant de l’alcool, comme si on entrait dans un repère de brigands. Or ce commerce a pignon sur rue ! Les commerçants parlent d’une pression sociale : « les gens ont honte de se faire voir avec de l’alcool », mais il n’existe évidemment aucune pression policière en la matière…
Les caméras de M6 n’ont rien vu de l’Alger actuelle
Rien sur LA NOUVELLE ALGER, celle de la débrouille, comme on le voit quelques minutes avec les jeunes qui, contre quelques pièces de monnaie, stationnent les voitures de la ville, celle de l’immobilier, et son spectaculaire élan, celle des nouveaux investisseurs qui misent sur l’avenir de ce pays en progression économique constante, une Alger vivante qui cicatrise les plaies du passé…Cette Alger qui a dansé de joie pendant une semaine après la qualification de l’équipe nationale pour la Coupe du Monde à Khartoum.
L’émission finit par un commentaire du présentateur qui passerait presque inaperçu disant que l’équipe ne pouvait pas enregistrer les lancements en Algérie à cause de tensions récentes avec la France ? Absurde, au même moment de nombreux journalistes français sillonnaient les rues d’Alger pour montrer la joyeuse fraternisation de la population en soutien à son équipe de football… Et ce qui leur sautait alors aux yeux, c’était la libération des esprits, la disparition de la peur et le reflux des intimidations islamistes.
En ressortant un vieux documentaire congelé de ses placards, M6 a donc commis non seulement plusieurs fautes déontologiques, mais une erreur plus grave : celle de passer à côté de l’actualité. Faisant mentir la promesse même de l’émission Enquête exclusive… Et trahissant sa mission en n’assurant pas une véritable « honnêteté » de l’information. Parce que le sensationnel n’est jamais la meilleure voie vers la vérité !