A Kinshasa, la petite criminalité s’affranchit et prend des allures inquiétantes. Les banals larcins de rue cèdent la place au braquage des résidences avec, souvent, mort d’hommes. Les opérations se déroulent à visage découvert et en uniforme.
De notre correspondant Octave Kambale Juakali
Kinshasa, la capitale de la République démocratique du Congo prend de plus en plus les tares des grandes métropoles africaines. Des scènes de criminalité que l’on a généralement l’habitude de lire dans les journaux étrangers sur des villes comme Lagos, au Nigeria, Nairobi, au Kenya ou Johannesburg, en Afrique du Sud sont maintenant monnaie courante dans la ville de Kinshasa. Il ne se passe plus un jour sans que la presse kinoise ne dénonce un braquage à mains armées suivi très souvent de morts d’hommes. Et, par pudeur, pour ne pas citer des éléments de l’armée nationale, elle parle de bandits en uniforme. On tue pour littéralement une bouchée de pain. Pour une simple présomption de bien être, des Congolais ont vu surgir chez eux, armes à la main, des bandits, souvent très jeunes, à visages découverts, qui, à défaut de trouver l’argent, se rabattent sur le contenu du réfrigérateur.
« Ils sont arrivés chez moi, le lundi, 8 septembre dernier vers trois heures du matin, raconte Valérie Mbala, une dame résidant sur les hauteurs de Binza, un des quartiers réputé riche de la périphérie de Kinshasa. Ils étaient une dizaine armés de fusils et de couteaux. Mon mari était parti en mission de service. Ils ont exigé une partie des frais de mission que mon mari aurait reçu de son service. Comme je n’en avais pas, ils m’ont assené quelques coups de crosse de leurs fusils et m’ont enfermée avec mes enfants dans la chambre à coucher pendant qu’ils vidaient le contenu du congélateur et du salon. Appareils de musique, télévision, téléphones portables, tout est parti». Mme Mbala qui était venue déposer sa plainte au poste de police reste traumatisée par les menaces dont elle avait été l’objet mais dit remercier son Dieu pour n’avoir pas été tuée. D’autres ont moins de chance. Tel M. Louis Mpozi, cadre supérieur d’une entreprise de téléphonie cellulaire qui a été mitraillé à mort, chez lui, le même lundi, 8 septembre 03, à la cité Mama Mobutu. Sa femme, transpercée de coups de baïonnette se trouve entre la vie et la mort à la clinique Ngaliema de Kinshasa.
Souvent d’anciens militaires
A l’inspection générale de la police, les plaintes s’accumulent journellement et la police avoue être débordée. « La ville de Kinshasa compte environ six millions d’habitants et il en arrive de plus en plus qui fuient la campagne dans l’espoir de trouver un léger mieux dans la grande ville, explique le commandant Nyembo Asani. Nous avons créé une police de proximité pour nous rapprocher de la population. Nous avons doté chaque poste de police d’au moins trois téléphones portables dont nous diffusons les numéros d’appel par la presse, mais rien n’y fait ». Il y a effectivement des postes de police dans d’anciens containers transformés en bureaux de quartier. Il est également vrai que des éléments de la police patrouillent dans les rues, la nuit. Il est vrai aussi que la police, à travers ses émissions à la radio et à la télévision essaie de dissuader les criminels potentiels par la diffusion des cas d’arrestations des auteurs de braquages. Pourtant, les criminels n’ont pas l’air de se laisser impressionner.
A moins que la police elle-même ne soit à la base de cette criminalité en jouant au pompier-pyromane. « Ce n’est pas impossible que certains de nos éléments soient tentés d’arrondir certaines fins de mois difficiles par des actes que nous reprouvons, admet Nyembo Asani. Et la police congolaise n’est pas la seule à vivre cette tare. Ce que nous avons tout de même remarqué c’est que la plupart des bandits que nous arrivons à arrêter sont souvent d’anciens militaires qui ont réussi à se procurer des armes par des complicités dans les forces régulières ». A la base, il y a, en grande partie, la dégradation généralisée de la situation sociale des Congolais. Sur six millions d’habitants à Kinshasa, moins d’un million est sensé exercer un emploi rémunéré. Et la plupart de ces emplois rémunérés relèvent de la Fonction Publique qui connaît des retards de paiement de plusieurs mois. Un militaire, sûrement au bord du désespoir est venu dire tout haut sur une chaîne de télévision privée qu’en n’assurant pas des salaires conséquents, l’Etat pousse ses militaires à user de leurs armes pour nourrir leurs familles et scolariser leurs enfants. Beaucoup de téléspectateurs en sont restés choqués.