Albert Cossery, prince et esthète de la littérature


Lecture 5 min.
Albert Cossery
L'écrivain Albert Cossery

Albert Cossery est une figure emblématique de la littérature française bien qu’il soit égyptien. La façon dont vit et travaille l’écrivain a créé une sorte de mythe autour de sa personnalité particulière. Rencontre.

Albert Cossery est un écrivain rare et passionnant. Ses livres inspirent du respect et de l’admiration : sa maîtrise de la langue est parfaite et ses idées souvent révolutionnaires, à l’opposé du lieu de notre rencontre avec lui : le restaurant du magasin Armani à Saint-Germain-des-Prés, temple de la consommation parisienne nantie. Quant on lui fait cette remarque : « Que fait dans ce lieu ostentatoire un écrivain qui ne cesse de dénoncer la société bourgeoise dans ses livres ? », il réplique qu’il n’a mangé ici qu’un plat de pâtes et que pour lui ce symbole de l’argent ne vaut rien. Pas plus que les consommateurs qui s’y retrouvent. « Je suis un roi » dit-il à l’envi.

Entre prince et esthète, Albert Cossery cultive un art de vivre très personnel. Il n’a que peu de biens, de quoi vivre au jour le jour au fond de ses poches – « Je vis ici comme en Egypte. Là-bas vous n’avez pas besoin de grand-chose pour manger et vivre » -, et habite la même chambre d’hôtel depuis son arrivée à Paris en 1945.

Soigné, Albert Cossery est pourtant loin d’être un vieillard emprunté du 6ème arrondissement de Paris, et son oeil pétillant en est un bel indice. Lorsqu’on lui demande pourquoi, Egyptien de naissance, il écrit en français, il répond : « Ma mère ne parlait que l’arabe, mais j’ai été élevé chez les Frères et ma langue est vite devenue le français. » Aujourd’hui, bien sûr, il parle toujours l’arabe, mais note-t-il avec humour, « je ne parle plus tout court ». En effet, après une opération de la gorge l’année dernière, son élocution est à peine audible.

« Je ne sais qu’écrire »

De son métier, il dit qu’il ne sait faire que ça : écrire. « J’avais des grands-frères qui lisaient et me guidaient dans mes lectures, et je savais que je serais écrivain, très jeune. A sept ans déjà. Et puis, dans ma famille, personne n’a jamais travaillé : ni mon père, ni mon grand-père, ni mes frères. Ces derniers écrivaient aussi, mais surtout des poèmes. Ils n’ont jamais été édités. » Alors, Albert écrit. Un peu tous les jours. Les écrivains qui disent écrire dès 9h du matin, pendant plusieurs heures, il les appelle les « petits laborieux ». « J’écris avec un bic, à la main pour que ça aille ensuite à l’imprimerie. Je m’applique pour que ça aille vite pour ceux qui tapent mon texte. C’est toujours le dernier jet qui tombe sur le papier. »

De la littérature en général, des livres, il dit qu’ils ont toujours fait partie de sa vie, « ils m’ont aidé à devenir ce que je suis ». Sur son oeuvre, les critiques ont fait couler beaucoup d’encre, mais lui explique simplement : « Mes personnages… ce sont moi ! Ils pensent comme moi, ce sont mes amis. » et si l’on trouve qu’il maltraite un peu la gent féminine, il réplique : « Ce ne sont que des phrases. Il n’y a que de l’amour dans mes livres ». Ses ouvrages prennent pied dans l’Egypte des années 30 et toute son oeuvre est basée sur les souvenirs qu’il a de cette époque. La dernière fois qu’Albert Cossery est allé en Egypte, c’était il y a cinq ans, à la mort de son dernier frère. Il a observé le changement et notamment l’inflation démographique, qu’il décrit dans « Les Couleurs de l’infamie », son dernier ouvrage.

Cossery : le fan club

Après avoir noué des amitiés « littéraires » fortes – Durrell, Camus… -, Cossery se retrouve aujourd’hui seul : « Maintenant il n’y a plus personne. Ils sont tous morts. Il ne reste plus qu’elles ». « Elles », ce sont son éditrice et son attachée de presse. Joëlle Losfeld a rencontré Albert Cossery en 1986. Elle reprend à cette époque la maison d’édition créée par son père, Terrain Vague. Comme une partie des oeuvres d’Albert est libre de droit, elle rencontre l’écrivain qui va véritablement lui « offrir » ses livres.

« Ça s’est fait sur une table de bistrot en une heure. Ce fut un vrai cadeau pour moi. Une rencontre extraordinaire », raconte-t-elle. Albert, malicieux, explique son geste : « Que voulez-vous, je n’ai pas pu résister à son charme ». En 1991, l’éditrice créé sa propre maison, les Editions Joëlle Losfeld, et réédite Albert Cossery. Enfin, dans sa collection Arcanes (Editions Mango), elle sort prochainement un coffret regroupant l’oeuvre complète de l’écrivain.

Et gageons que Cossery fera encore des émules. Car l’Egyptien déchaîne des passions. Chaque jour, des personnes le reconnaissent dans le rue et viennent le saluer : « Des femmes me demandent si elles peuvent m’embrasser ! ». Son attachée de presse insiste : « Beaucoup de gens lui écrivent. Les jeunes sont enthousiasmés par les livres d’Albert. Il a un vrai fan-club ! ». Des jeunes qui trouvent un écho à leurs frustrations et à leur révolte dans les livres de celui qui pousse ses personnages à faire leur propre révolution.

Alors si vous vous promenez du côté de Saint-Germain-des-Prés, vous rencontrerez peut-être Albert, dans sa veste impeccable. Et si vous le reconnaissez, dites-le-lui. Il adore ça.

Newsletter Suivez Afrik.com sur Google News