Son heure est-elle enfin arrivée? Alassane Dramane Ouattara est candidat au second tour du scrutin présidentiel en Côte d’Ivoire, sous les couleurs du Rassemblement des houphouétistes pour la paix (RHDP), face au président Laurent Gbagbo. Après avoir reculé lors de l’élection de 1995 et été exclu de celle de 2000, l’ancien Premier ministre, 68 ans, pourrait enfin accéder à la magistrature suprême. Une victoire qui aurait un goût de revanche pour un homme que le concept d’ivoirité avait ostracisé.
C’était pour lui une obsession, l’affaire d’une vie même. A 68 ans, deux décennies après avoir occupé le fauteuil de la Primature et pour sa première participation à une élection présidentielle, Alassane Ouattara est présent au second tour d’un scrutin historique pour la Côte d’Ivoire. Une vraie revanche.
Du haut de son impressionnant curriculum, sa vie politique en Côte d’Ivoire relève presque du parcours du combattant. Tour à tour gouverneur de la Banque centrale des Etats de l’Afrique de l’Ouest (Bceao), premier Africain directeur général adjoint du Fond monétaire international (FMI), il sera nommé Premier ministre en 1990 par le président Félix Houphouët-Boigny, fonction qu’il occupera jusqu’à la mort du « Vieux »en 1993. Ses ambitions présidentielles s’exprimeront quelques années plus tard, à la grande surprise de nombreux ténors de la politique ivoirienne. Notamment Henri Konan Bédié, le successeur désigné d’Houphouët, qui trouvera en «l’ivoirité» une arme infaillible pour contrer son dessein politique.
En 1995, c’est pourtant lui qui refuse de participer à la présidentielle, laissant alors le champ libre au candidat naturel du Parti Démocratique de Côte d’Ivoire (PDCI), jugeant le scrutin non transparent. Sa première vraie tentative pour accéder à la magistrature suprême sera un échec. En août 1999, sa candidature est rejetée, pour cause de « nationalité douteuse ». Pour la première fois, l’ivoirité a raison de lui. Cependant, il n’y aura pas d’élection non plus pour Henri Konan Bédié qui sera renversé par un coup d’Etat en décembre de la même année.
« Je me suis libéré de toutes les humiliations »
En septembre 2002, lors du coup d’Etat manqué contre Laurent Gbagbo, il échappe à une tentative d’assassinat. C’est l’époque des escadrons de la mort. Pourtant, son ombre plane sur la tentative de putsch mené par les rebelles des ex-Forces nouvelles (FN). Un coup de force qui a coupé le pays en deux et enfoncé la Côte d’Ivoire dans une crise sans précédent. Quatre ans plus tard, c’est en catimini qu’il rentre en Côte d’Ivoire après un exil de trois ans en France. Victime, diabolisé pour ses supporters – il est « l’homme providentiel », selon Henriette Diabaté, la secrétaire générale de son parti, le Rassemblement des Républicains (RDR) -, diviseur selon ses adversaires… Certains l’accusent d’avoir exploité le filon des tensions raciales à des fins politiques. Car il cristallise le malaise ressenti par les Ivoiriens originaires du Nord du pays.
Alassane reste néanmoins une énigme pour beaucoup d’Ivoiriens. Ces années de vaches maigres (politiques) ont développé chez lui un fort sentiment d’injustice autour duquel il s’est construit. « Pour mieux m’exclure du débat politique national, j’ai tour à tour été traité d’étranger, de faussaire, d’usurpateur, et d’ennemi de mon pays. Qu’est-ce qui peut justifier cette conspiration contre ma personne ? », déclarait-il en 2001, au Forum de la réconciliation nationale. ADO, comme on le surnomme, n’a jamais accepté ce qu’il considère être un acharnement, lui qui se targue d’« avoir servi avec loyauté et honnêteté » la Côte d’Ivoire. Au plus fort de la polémique sur sa nationalité, il sera même contraint, lui et sa famille, de réaliser un test ADN. Il avale alors les couleuvres de l’humiliation et rumine sa revanche.
Avant le scrutin, le leader du RDR avait affirmé s’être mis à l’heure du pardon. Tout un symbole. Le candidat, plébiscité dans le Nord de la Côte d’Ivoire, est le seul à proposer la création d’une Commission Vérité et Réconciliation sur le modèle sud-africain. « Je me suis libéré de toutes les humiliations que j’ai subies », clamait-il lors de la campagne du premier tour.
« Nous sommes des enfants du Président Félix Houphouët-Boigny »
A la veille du second tour pour lequel il s’est qualifié et qui se tiendra ce dimanche, Alassane Ouattara est monté d’un ton. Il a montré un visage plutôt courtois lors du face-à-face télévisé qui l’a opposé à Laurent Gbagbo jeudi soir. Mais globalement, entre les deux tours, ADO a musclé son jeu. C’est avec vigueur qu’il a répondu aux attaques verbales de son adversaire politique. « C’est toi, Laurent Gbagbo, qui as amené la violence à la politique […] C’est par un coup d’État que tu es au pouvoir », a-t-il notamment asséné jeudi soir à son adversaire dans une claire allusion aux manifestations de rue qui ont permis à Gbagbo d’accéder à la présidence après l’élection contestée de 2000 où il se mesurait à l’éphémère président-putchiste, Robert Guéï.
Malgré les reports successifs du scrutin présidentiel et une relativement longue absence du pays, il a tout de même réussi à maintenir sa machine électorale à flot. Les journalistes qui l’ont suivi tout au long de sa campagne ont tous « constaté un véritable engouement » pour lui. Ibrahima Kamagaté du journal Le Patriote, proche du RDR, affirme que « les lignes ont bougé en faveur de Ouattara ». Le soutien d’Henri Konan Bédié, son « ainé », leader du Parti démocratique de Côte d’Ivoire (PDCI), autrefois ennemi politique, a considérablement renforcé sa position. « Le Président Bédié et moi, nous sommes des enfants du Président Félix Houphouët-Boigny », estime-t-il. Devenu allié de l’ancien chef d’Etat, arrivé troisième au premier tour, au sein du Rassemblement des houphouétistes pour la paix (RHDP), ADO, à la tête de l’opposition ivoirienne, voit désormais son succès électoral devenir possible.
« Cette fois, l’élection j’y crois », a martelé Alassane Ouattara pendant la campagne. Des mots qui sont l’expression d’un homme pour qui être candidat à la présidentielle ivoirienne constitue déjà une victoire.