En marge de la 66e Assemblée générale de l’Onu à New York, le Président ivoirien Alassane Ouattara, évoque dans cet entretien les questions d’actualité et les défis de sa présidence. Interview réalisée à New York par André-Michel Essoungou (Afrique Renouveau) et Maha Fayek (Radio de l’Onu).
Quelques mois après votre accession au pouvoir, comment se présente la situation politique en Côte d’ivoire ?
Elle se normalise. Le Gouvernement est en place. De même que la Cour constitutionnelle, la Cour suprême, le Conseil économique et social, la Grande chancellerie, la Grande médiation. Tout ceci a été fait en un laps de temps record. Il reste le Parlement pour lequel des élections doivent se tenir bientôt. La date de ces élections doit être fixée par la Commission électorale indépendante (CEI). Le Gouvernement et les partis politiques souhaitent qu’elles aient lieu avant la fin de l’année.
Pour ma part, je souhaite que tous les partis significatifs y participent. J’apprends, alors que je suis ici à New York (Ndlr : interview réalisée le 24 septembre), que les membres du Front populaire ivoirien (Ndlr : FPI, le parti de l’ancien Président, Laurent Gbagbo) ont suspendu leur participation à la CEI. Avant d’en connaître les raisons à mon retour au pays, je voudrais dire aux membres du FPI que la démocratie commence par le Parlement. Il serait malheureux que le FPI ne participe pas à ces élections. Ceci serait une erreur de la part de ce parti. Je souhaite que tous les partis y participent.
Selon certains médias notamment, une des revendications du FPI, en vue de participer à ces élections, c’est l’amnistie de l’ancien Président Laurent Gbagbo. Que répondez-vous à cette revendication ?
Laurent Gbagbo a été inculpé pour crimes économiques. Il est à Korhogo dans le Nord du pays. La justice fait son travail. On ne peut pas me demander d’aller interférer avec le processus judiciaire. De plus, Laurent Gbagbo a commis des crimes contre l’humanité, des crimes de guerres, des crimes de sang ; autour de 3000 personnes ont été tués lors de la crise postélectorale qu’il a provoqué… Pour qu’il y ait transparence dans le jugement, j’ai saisi la Cour pénale internationale (CPI), qui ne s’est pas encore prononcée. Au regard de tout cela, je trouve curieux que la direction du FPI puisse avoir une telle requête. Cette requête est irrecevable. Les citoyens ivoiriens doivent désigner leurs députés, je n’accepterai pas de préalables.
En Côte d’ivoire, s’achemine-t-on vers une justice de vainqueurs ?
Non, pas du tout. Je viens de préciser que je tiens à ce que Laurent Gbagbo soit jugé par la CPI pour les crimes de sang, précisément pour que je ne sois pas accusé de mener une justice de vainqueur. On ne peut pas être plus transparent.
Ceci étant, moi je veux construire un état de droit, je veux respecter les droits de l’homme. Je suis contre les crimes de sang. Je ne peux pas accepter que dans mon pays, les citoyens soient assassinés pour leur religion, pour leur origine ethnique ou parce qu’ils exercent leurs droits fondamentaux. La question est simple : la justice doit faire son travail. Nous ne voulons plus d’impunité en Côte d’ivoire. Et je crois que c’est dans l’intérêt de tous.
Au plan économique, quelles sont les priorités de votre gouvernement ?
De manière générale, la priorité c’est la relance économique, en plus des questions de réconciliation et de sécurité.
Au plan de la relance, la priorité c’est la croissance des investissements privés notamment. Pour cela, il faut assainir l’environnement des affaires (au plan judiciaire, administratif et dans l’attribution des contrats). Nous travaillons dans ce sens.
Par ailleurs, nous avons entrepris des travaux d’urgence, notamment dans le domaine de l’accès à l’eau potable, à l’électricité, à l’accès aux médicaments gratuits… Il y a des investissements sociaux important qui ont été effectués. En deuxième lieu, nous avons réglé un certain nombre de dossiers en souffrance depuis une dizaine d’années. Des dossiers relatifs aux infrastructures, aux autoroutes. Nous avons entamé les travaux du troisième pont d’Abidjan, qui est un très gros projet de l’ordre de plus de 200 millions d’euros.
Avec la confiance qui revient et le Trésor ivoirien qui peut de nouveau émettre des obligations et avoir des taux de souscription de 160%, les ressources arrivent. Il faut que ces ressources soient bien utilisées. Nous avons confiance. Pour l’année prochaine, le Fonds monétaire international prévoit un taux de croissance de 8% à 9%, alors que cette année, en raison de la crise, il prévoit une baisse de la production nationale de 5%. C’est un bon spectaculaire. Il faut s’assurer que la croissance profite aux populations. C’est pourquoi nous donnons la priorité au secteur social dans le cadre des investissements d’urgence.
Vous êtes devenu le Président de la Côte d’Ivoire, grâce notamment au soutien militaire des Nations Unies et de la France. Quelle est la place de la France dans la reconstruction de la Côte d’ivoire ? Les entreprises françaises bénéficieront-elles d’un traitement de faveur ?
La France n’a pas soumis une requête particulière à la Côte d’ivoire. Nous traiterons la France avec toute la considération que nous donnons à tous les investisseurs. Les investisseurs français ont l’avantage d’avoir la langue française que beaucoup d’investisseurs n’ont pas et qui est un atout qu’ils savent exploiter.
La Côte d’ivoire et la France ont des relations très fortes, des relations anciennes, historiques. Des entreprises françaises sont en Côte d’ivoire depuis des décennies. Elles travaillent bien et en bonne intelligence avec nous. Rien n’a changé, bien au contraire. Nous diversifions nos relations avec les autres pays. Désormais nous avons des entreprises canadiennes, présentes dans le secteur du pétrole ; des entreprises chinoises qui viendront dans le domaine des infrastructures ; des entreprises africaines, tunisiennes ; des entreprises indiennes…