Le président Ouattara a effectué sa première visite à l’étranger au Sénégal. Un choix qui ne doit rien au hasard. Pendant la crise post-électorale, ADO a pu compter sur le soutien indéfectible d’Abdoulaye Wade, un allié de poids au sein des réseaux libéraux.
De notre correspondant
Arrivé jeudi en fin d’après-midi au Sénégal, où il effectue sa première visite en tant que chef d’Etat, Alassane Ouattara a eu droit à tous les honneurs. D’abord, c’est dans l’avion présidentiel sénégalais qu’a voyagé l’Ivoirien. Abdoulaye Wade s’est ensuite déplacé en personne sur le tarmac de l’aéroport Léopold Sédar Senghor de Dakar pour l’accueillir à sa descente de l’avion. Les deux hommes se sont donné une longue et chaleureuse accolade au pied de la passerelle puis se sont rendu main dans la main jusqu’à la salle de réception. Après s’être entretenus une dizaine de minutes, Abdoulaye Wade et Alassane Ouattara ont grimpé dans un 4×4 et se sont offert un bain de foule. Plusieurs centaines de militants du parti démocratique sénégalais (PDS, au pouvoir), dépêchés pour l’occasion, agitaient des drapeaux sénégalais et ivoiriens au passage des deux chefs d’Etat.
Dès mardi, la présidence sénégalaise se félicitait de cette « visite d’amitié » en évoquant les « relations traditionnelles qui ont toujours existé entre le peuple ivoirien et le peuple sénégalais ». Dans un éditorial intitulé « Akwaba, Monsieur le président ! », le quotidien pro gouvernemental Le Soleil ne tarit pas d’éloge sur les relations entre les deux pays et sur cette visite « historique ». La presse privée s’interroge elle sur le choix de Dakar. « ADO a choisi le Sénégal après un intense lobbying de Wade, déterminé à récupérer très vite les dividendes de son investissement constant pour l’élection de l’ancien gouverneur de la BCEAO (Banque centrale des Etats d’Afrique de l’Ouest) », explique ainsi L’Observateur qui évoque « une invitation insistante à Dakar pour fêter ensemble une victoire presque collective sur Gbagbo, l’ennemi commun ».
Gbagbo, l’ennemi commun ?
Arrivés au pouvoir la même année, en 2000, Abdoulaye Wade, membre de l’Internationale libérale, et Laurent Gbagbo, membre de l’Internationale socialiste, n’ont jamais eu des relations très cordiales. D’ailleurs, ce n’est sans doute pas un hasard si le Sénégalais reste le seul président africain à avoir réagi publiquement à l’arrestation de Laurent Gbagbo. Deux jours après sa chute, Abdoulaye Wade avait déclaré dans une interview au quotidien français Le Figaro : « C’est une très bonne chose. À l’avenir, aucun chef d’État africain ne pourra plus s’aviser de refuser le verdict des urnes. Si l’on avait accepté le maintien de Laurent Gbagbo au pouvoir, ce n’était plus la peine d’organiser des élections en Afrique. » Bien avant la crise post-électorale en Côte d’Ivoire, le Sénégalais avait choisi son champion. Il s’était d’ailleurs fait un malin plaisir d’inviter Ouattara à Dakar au lendemain du premier tour, suscitant la colère de Gbagbo qui avait alors décidé de rappeler son ambassadeur. Sans doute l’épilogue d’une longue série de crises entre les deux hommes.
La première éclate en janvier 2001. Lors d’une conférence, Wade affirme qu’« un Burkinabè souffre plus de racisme en Côte d’Ivoire qu’un noir en Europe ». En septembre 2002, quand la tentative de coup d’Etat éclate, nombre d’Ivoiriens favorables aux Forces Nouvelles cherchent asile à Dakar. Le Sénégal octroie même un passeport diplomatique au chef des rebelles… un certain Guillaume Soro. La chasse aux Sénégalais est alors ouverte à Abidjan, et Wade envoie un avion évacuer ses compatriotes.
Une amitié libérale
Les liens entre Abdoulaye Wade et Alassane Ouattara vont toutefois bien au-delà de leur inimitié commune envers Laurent Gbagbo. L’Ivoirien a vécu de nombreuses années au Sénégal à l’époque où il travaillait à la Banque centrale des Etats d’Afrique de l’Ouest (BCEAO). Les relations entre les deux hommes ne datent donc pas d’hier. Abdoulaye Wade étaient déjà un proche du fondateur du Rassemblement démocratique républicain (RDR), Djeni Kobina. Quand en 1999, Alassane Ouattara accède à la présidence du parti, les liens sont maintenus. Wade et Ouatarra s’apprécient et partagent la même idéologie : le libéralisme. En 2003, le Sénégalais apporte son soutien à la candidature du RDR à l’Internationale libérale. Le parti intègre l’organisation la même année lors d’un congrès à Dakar. Sous l’égide de Wade, ce réseau libéral aurait d’ailleurs été mis à profit lors des dernières élections ivoiriennes.
En tout et pour tout, la visite d’Alassane Ouattara au Sénégal aura duré moins de 24 heures. Un dîner officiel a eu lieu jeudi soir en son honneur. Vendredi, il a rencontré la communauté ivoirienne du Sénégal avant de se livrer aux questions des journalistes. Lors d’une conférence de presse conjointe avec le président sénégalais, les deux hommes se sont félicités des « retrouvailles de la grande famille sénégalo-ivoirienne » et ont annoncé la relance de « l’axe Dakar – Abidjan ». « Nous avons besoin de renforcer l’axe Dakar – Abidjan, a estimé Alassane Ouattara. Non seulement dans l’intérêt de nos deux pays, mais dans l’intérêt de l’Afrique de l’Ouest et du continent Africain tout entier ». Abdoulaye wade a ensuite expliqué qu’Alassane Ouattara était venu à Dakar s’enquérir des conseils du « grand frère ». « Alassane Ouattara m’a toujours considéré comme son grand frère. Il est venu au Sénégal pour me demander des conseils », a-t-il indiqué. Wade lui a donc prodigué trois recommandations : « désarmer les civils, pratiquer le pardon et penser à la jeunesse ». Avant de quitter le Sénégal, le « petit frère » n’a pas manqué d’inviter son aîné en visite officielle en Côte d’Ivoire. Aucune date n’a encore été annoncée.
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