Le dernier roman d’Alain Mabanckou, Demain j’aurai vingt ans, publié aux éditions Gallimard, raconte les premiers apprentissages de Michel, un petit garçon âgé d’une dizaine d’années, dans les années 1970-1980 en République populaire du Congo.
« Dans notre pays un chef doit être chauve et avoir un gros ventre », observe le jeune Michel. Avec Demain, j’aurai vingt ans, Alain Mabanckou, 44 ans, revient sur son enfance, les parents et les amis qui l’ont marqué, les premiers émois amoureux. Mais au delà de la fresque familiale, au centre de laquelle évoluent la mère et le beau-père aimés, son roman éclaire sous un jour nouveau le Congo-Brazzaville et sa première décennie d’indépendance, sous l’égide du président marxiste Marien Ngouabi. Auteur, entre autres, de Verre Cassé (2005), Mémoires de porc-épic (prix Renaudot 2006) et Black Bazar (2008), publiés chez Seuil, Alain Mabanckou voit son nouveau roman paraître dans la prestigieuse collection blanche de Gallimard. Il nous a accordé un entretien.
Afrik.com : Votre dernier roman Demain j’aurai vingt ans marque un besoin de revenir sur votre enfance…
Alain Mabanckou : Je pense qu’à un certain moment, dans le parcours d’un écrivain, on a un besoin inconscient de regarder en arrière. Ce que j’ai essayé de montrer dans ce récit, c’est peut-être aussi le regard contemporain d’un Africain sur la période 70-80 qui est presque absente du témoignage même des écrivains africains. Je voulais à la fois regarder ma jeunesse, ne pas la laisser s’évanouir, et aussi donner à mes lecteurs quelques clés pour comprendre les livres que j’avais publiés jusqu’alors.
Afrik.com : Vous avez choisi le titre très évocateur Demain, j’aurai vingt ans, extrait d’un poème de Tchicaya U Tam’ Si (Le Mauvais sang, ed P.J Oswald, 1955). Un hommage ?
Alain Mabanckou : C’est un hommage que je voulais lui rendre parce que c’est un grand poète, c’est un poète de la folie, un poète de l’émerveillement. Par ce choix de titre, j’espère avoir atteint mon but. Rien qu’en lisant ce vers, Demain j’aurais vingt ans, j avais presque un livre qui s’était écrit de lui-même…
Afrik.com : Cette figure paternelle, attachante du père adoptif, suscite un questionnement sur la paternité ?
Alain Mabanckou : Dans ce roman, c’est la redéfinition de la notion de père. En Afrique, on a toujours tendance à montrer un père grave, qui gueule, qui abandonne ses enfants. Moi, j’ai voulu montrer que mon père était un être extraordinaire, comme l’était ma mère. Mon père était un être exceptionnel, doué d’une humanité et d’une gentillesse infinies. Il m’a suffi simplement de fermer les yeux pour voir cet homme qui arrivait avec une certaine classe, avec une certaine culture, avec un amour de l’enfant. Dans mon roman, c’est l’éloge de la paternité ; la paternité n’est pas seulement liée au sang ; la paternité, c’est affectif. Votre père, c’est celui qui sait vous aimer, ce n’est pas seulement celui qui vous a enfanté. La notion même de père adoptif n’existe pas pour moi puisque je ne sais pas ce que cela veut dire. Moi, j’ai connu un homme, quelqu’un qui me regardait avec des yeux d’amour, cet homme s’appelait Roger et c’était mon père. Finalement ce livre, c’est celui de mon père, comme les autres ont écrit le livre de leur mère, moi c’est le livre du père, papa Roger, un homme exceptionnel.
Afrik.com : Et l’attachement de Michel pour sa mère est également très fort…
Alain Mabanckou : Je pense que Michel est jaloux parce qu’il aime sa mère. Quand on aime, on déploie tous les moyens pour garder dans la mesure du possible cet amour, qu’il soit toujours là, entier. Ce petit gamin s’excite parce que les gens tournent autour de sa mère, il veut rester seul avec sa mère, parce qu’il sait que si la mère disparaît, il est perdu. C’est son dernier attachement sur terre et la maternité est quelque chose d’essentiel. C’est un lien presque subtil, on ne veut pas que l’on touche à sa mère, on veut la protéger jusqu’au bout, jusqu’à son dernier soupir.
Afrik.com : Pauline, la mère de Michel, a eu deux enfants mort-nés, son mari l’a abandonné alors qu’elle était enceinte. Elle a vécu l’humiliation du rejet. Vous présentez deux facettes de la polygamie ?
Alain Mabanckou : C’est vrai qu’en général quand vous lisez les livres sur la polygamie, elle est fustigée. Ici, l’enfant ne sait pas ce qu’est la polygamie. Il est content d’avoir deux mères, et c’est son bonheur. Il ne connaît pas les arcanes du système polygamique car il n’a jamais vu sa mère se chamailler avec la première femme de son père, parce qu’il a toujours su tirer profit de cette situation. Parfois, il a senti beaucoup d’amour dans les yeux de celle qui n’était pas sa vraie mère, et c’est cela aussi l’amour : dépasser le cadre biologique. Lorsque j’étais petit, je ne voyais pas la polygamie dans ma famille, je voyais deux mères. Ce qui signifiait que, quand on avait un problème, il y avait deux possibilités de le résoudre… C’était naïf comme vision, mais cela m’a permis d’aimer toutes les femmes qui avaient l’âge de mes mères comme si elles étaient de ma famille…
Afrik.com : Michel est marqué par la mort de ses deux sœurs. « Je suis un bébé, mais attention, je sais déjà comment on meurt, mais je n’ai pas envie de ne plus respirer ! Je veux vivre ! Laissez-moi me reposer, je viens de loin ! » Que faut-il y lire ?
Alain Mabanckou : Je pense que c’est un enfant qui, lorsqu’il arrive sur terre, comprend déjà qu’il aura beaucoup de problèmes avec les adultes. Il saisit le langage des adultes parce que les enfants savent lire ce qui est derrière les masques. Michel veut tout simplement dire que même s’il n’est pas capable de réfléchir comme un adulte, il sait lire dans les cœurs des adultes. C’est l’hymne au respect de l’enfance, ce n’est pas parce qu’un enfant ne peut pas réfléchir comme un vieux qu’il faut le considérer comme un insecte, c’est quelqu’un qui cherche à se faire une place dans ce monde.
Afrik.com : L’autre moment fort du roman est la clé du ventre de maman Pauline.
Alain Mabanckou : La clé est symbolique. C’est l’instrument qui sert à ouvrir les portes et là, on sent que la porte du ventre de ma mère est fermée et que la clé essentielle se trouve chez l’enfant, mais il n’est pas au courant de tout cela. Il est dépassé par la mythologie, par les croyances. Pourtant, il doit faire quelque chose parce qu’il veut sauver celle qu’il aime, sa mère. Il lui faudra donc trouver n’importe quelle clé pour ouvrir le ventre de sa mère. Je ne sais pas s’il y parviendra, c’est au lecteur de se faire son idée… selon ses croyances ou ses doutes.
Afrik.com : Pour exprimer le ressenti de cet enfant, vous utilisez le même style sur 400 pages, sans la coupure d’un autre regard ?
Alain Mabanckou : Il y a plusieurs points de vue dans ce livre. L’enfant capte les échos des adultes. Le discours qu’il tient vient des de ces adultes : son père, son oncle, ses amis, les « grands » du quartier. Un grand développement est fait par sa première mère, maman Martine lorsqu’elle raconte sa rencontre « mythique » avec papa Roger. Certains « spécialistes » diraient que c’est une narration à plusieurs voix (une polyphonie)…
Afrik.com : Votre roman sort dans la fameuse collection blanche de Gallimard. Parallèlement Présence Africaine republie en poche votre premier roman Bleu Blanc Rouge…
Alain Mabanckou : Comme tous les écrivains, j’ai eu des difficultés pour publier mon premier roman et je remercie Présence Africaine d’avoir accepté ce roman en 1997 et de l’avoir publié en 1998. Il m’a donc fallu presque 12 ans pour la parution de ce premier roman en poche. Bleu Blanc Rouge reste comme le point de départ de mon parcours. Revoir ce livre douze ans après c’est comme une renaissance. En ce qui concerne Demain j’aurai vingt ans, je tenais à ce que ce roman soit publié chez Gallimard, dans leur prestigieuse collection « Blanche ». Cela signifie aussi que la littérature africaine n’a pas à être cloisonnée, complexée vis à vis de la littérature française. C’est dans cette collection « Blanche » de Gallimard que j’ai lu Louis-Ferdinand Céline, Marcel Proust, André Gide ou encore J-M G Le Clézio, Patrick Modiano, Albert Camus, Jean-Paul Sartre…