En visite officielle au Cameroun, du 8 au 10 mars derniers, Alain Joyandet, le secrétaire d’Etat français à la Coopération et à la Francophonie, a rencontré les autorités locales, la communauté française et effectué des visites de terrain. Il s’est rendu à Yaoundé et dans le Haut Penja où il s’agissait principalement, pour lui, d’observer les résultats des politiques d’aide au développement soutenues par la coopération. Un an après sa prise de fonction, Alain Joyandet entend refonder la relation entre la France et l’Afrique, en la basant sur le partenariat. Il nous a accordé un entretien lors de ce déplacement.
Le Cameroun est l’un des premiers bénéficiaires de l’aide française. Et le Contrat de désendettement et de développement (C2D) qu’il a signé en 2006 avec la France est l’une des plus grosses opérations historiquement financées par la coopération française. Ce mécanisme, qui porte sur 537 millions d’euros sur 5 ans, consiste à réemployer les échéances de la dette extérieure allégée du Cameroun dans des opérations de développement. Alain Joyandet, lors de son dernier passage au Cameroun, a visité les projets d’aménagement urbain financés dans le cadre de ce C2D. Il a également parcouru, à l’ouest de Douala, la société des plantations du Haut Penja (SPHP), productrices de bananes, d’ananas, de poivre, et l’hôpital rural de la SPHP. Echangeant tant avec les autorités – Président de la République, Premier ministre, Délégué du gouvernement auprès de la commune de Yaoundé… – qu’avec la population, le secrétaire d’Etat français à la Coopération et à la Francophonie entend imprimer son style à sa fonction et rompre avec le paternalisme d’antan. Explications.
Afrik.com : Vous dites vouloir établir de nouvelles relations avec l’Afrique, de nouvelles formes de coopération. Quelles sont-elles ?
Alain Joyandet : L’idée, c’est d’essayer d’établir de nouvelles relations basées sur le partenariat, et plus particulièrement sur un partenariat économique. Nous faisons en sorte que nos partenaires fassent un certain nombre de propositions, et de venir ensuite en appui. Cela permet de sortir de cette relation paternaliste dont personne ne veut plus. Nous établissons trois formes de partenariats : sur le plan de la politique de développement, des accords de défense et de la diplomatie. Ces trois grands éléments refondent la relation France-Afrique. Sur le plan de la diplomatie, lorsqu’il y a des conflits, l’Union africaine ou les Nations unies se saisissent du dossier, puis nous intervenons en tant que partenaires de l’UA ou de l’ONU. A Madagascar, par exemple, pour tenter de faciliter le dialogue entre le président Marc Ravalomanana et le maire d’Antananarivo, Andry Rajoelina, la France n’est pas intervenue toute seule, le mois dernier, mais en compagnie d’une délégation de la Commission de l’Océan Indien (COI), aux côtés des Comores, des Seychelles et de Maurice [[La France fait partie de la COI parce que la Réunion, département français d’Outre-mer, se trouve dans l’Océan indien]].
Afrik.com : Votre prédécesseur, Jean-Marie Bockel, disait être pour un changement radical. Il voulait « signer l’acte de décès de la Françafrique ». Une ambition qui ne lui a pas porté chance puisque suite à ses déclarations, les présidents gabonais, camerounais et congolais, Omar Bongo, Paul Biya et Denis Sassou N’Guesso ont, semble-t-il, obtenu sa tête de Nicolas Sarkozy…
Alain Joyandet : Je ne sais pas, au fond des choses, ce qui a motivé le changement [à la tête du secrétariat d’Etat à la Coopération, ndlr]. Mais, moi, j’ai une façon de faire qui est orientée vers l’avenir. Je veux construire cette nouvelle relation entre la France et l’Afrique de manière positive. Plutôt que d’évoquer un « acte de décès », je préfère parler d’un bulletin de naissance.
Afrik.com : Dans un discours prononcé en juin dernier, à Paris, vous déclariez : « l’Afrique nous réclame : elle souhaite plus de France ». Pourquoi voudrait-elle renforcer ses relations avec la France alors qu’aujourd’hui elle peut avoir d’autres partenaires, parmi lesquels des pays émergents tels que la Chine et l’Inde ?
Alain Joyandet : Je constate dans mes déplacements dans toute l’Afrique, même anglophone, qu’on nous demande beaucoup de programmes de coopération. Au Botswana, par exemple, j’ai signé une convention pour l’apprentissage du français. Au Kenya, on nous a réclamé une assistance administrative, juridique, financière, dans le cadre de la reconstruction suite à la guerre civile de 2007. Le Premier ministre, Raila Odinga, nous a reçus à Nairobi, en avril 2008. Avec les nouveaux moyens que nous avons mis en place, de plus en plus, en Afrique francophone comme anglophone, on nous demande des partenariats. Il faut que nous arrivions à trouver le bon positionnement sur le curseur pour atteindre la quadrature du cercle entre ceux qui nous accusent de nous retirer de l’Afrique et ceux qui nous accusent d’être trop présents et de rester la puissance coloniale d’antan et de trop en faire, il nous faut trouver un nouveau positionnement. Ce nouveau positionnement tient dans la politique de partenariats en trois points – développement, défense, diplomatie – dont je parlais tout à l’heure.
Afrik.com : En 2008, la France a prévu d’augmenter son aide aux pays du Sud, parmi lesquels ceux d’Afrique sont les plus nombreux, d’un milliard d’euros cette année. Va-t-elle maintenir ses engagements, malgré la crise économique ?
Alain Joyandet : Oui, elle les maintiendra. Et on parle là essentiellement des interventions de l’Agence française de développement (AFD). L’augmentation budgétaire est d’1 milliard d’euros pour l’année 2009, donc on va passer de 3,6 à 4,6 milliards. Et ceci ne tient pas compte de l’aide publique au développement qui sera, elle, en augmentation de 2,46% par rapport à 2008, puisqu’en loi de finance initiale on passera de 3,099 à 3,166 milliard d’euros.
Présentation du C2D Cameroun La France a conclu une vingtaine de Contrats de désendettement et de développement (C2D) dans le monde. Il s’agit d’un mécanisme d’allègement de dette extérieure, une initiative prise en faveur des pays pauvres très endettés (PPTE). |
Afrik.com : Le Cameroun est l’un des premiers bénéficiaires de l’aide française via, en particulier, le C2D dont il bénéficie de 2006 à 2011. Sur quels critères a-t-il été sélectionné pour bénéficier d’une telle aide ?
Alain Joyandet : Pour bénéficier d’un C2D, il faut avoir satisfait aux critères du Fond monétaire international (FMI), parmi lesquels l’efficacité, la transparence, l’ouverture… L’Etat fait une demande au FMI qui se penche sur la question, via une commission qui l’observe pendant trois ans. A la fin de la procédure, le FMI nous dit s’il accorde ou pas à l’Etat demandeur « le point d’achèvement ». Quand le FMI nous donne son accord, il nous permet de rentrer avec l’Etat demandeur dans une procédure de désendettement. Certains Etats créanciers abandonnent la dette, ils tirent un trait dessus. La France, elle, va plus loin. Elle veut s’assurer que l’argent qu’elle abandonne sera consacré au développement, afin que les objectifs du millénaire soient atteints. L’Etat qui veut en bénéficier nous fait une proposition de contrat pluriannuel. Et nous analysons la proposition avant de nous mettre d’accord. Avant de signer un contrat, il y a de longues discussions. Il y a un comité paritaire permanent qui suit le dossier. En ce moment, pour le Cameroun, par exemple, il y a une révision à mi-parcours du C2D.
Afrik.com : Le Cameroun est un pays qui connaît de graves problèmes de corruption. Avez-vous les moyens de savoir ce que devient l’aide au développement que vous lui attribuez ?
Alain Joyandet : Oui. Souvent, on nous demande : où va l’argent ? Pour les C2D, nous n’avons aucune incertitude. L’Etat qui veut en bénéficier paye son échéance à la Banque centrale (BEAC), et nous lui renvoyons cet argent en fonction des projets qu’il propose. Par exemple, si un projet de route coûtait trop cher, notre ingénieur, après analyse, le refuserait. Dans tous les cas, la France fait en sorte que l’argent arrive aux populations.
Afrik.com : La France dit haut et fort défendre les droits de l’homme et la démocratie, des valeurs qu’elle juge fondamentales. Cela ne vous dérange-t-il pas, en tant que secrétaire d’Etat français à la Coopération, de traiter avec des gouvernements qui ne les respectent pas. Nombre de chefs d’Etat africains modifient les constitutions à leur guise afin de s’éterniser au pouvoir. Et l’on se rappelle, pour le cas du Cameroun, à quel déchainement de violence ces tripatouillages conjugués aux problèmes de vie chère ont abouti en février 2008…
Alain Joyandet : Quand il y a un événement récent qui pose problème, on n’y va pas. Et on suspend nos opérations le temps qu’il faut. Ensuite, on agit en fonction des situations locales et de leurs évolutions. Y-a-t-il plus de démocratie, plus de droits de l’homme, plus de transparence ? On réajuste en fonction… Ceci dit, on ne peut pas demander à l’Afrique de faire en 50 ans ce que l’Europe a pris plus de 200 ans à faire. On veut plus de démocratie, plus de droits de l’homme, mais on ne peut pas mettre systématiquement l’Afrique au banc des accusés.
Afrik.com : Quel bilan faites-vous de votre voyage au Cameroun ?
Alain Joyandet : Le bilan est double. Il concerne le développement et la diplomatie. Sur le plan du développement, le C2D est en route, et c’est un vrai succès tant du point de vue comptable que sur le terrain. Il est à mi parcours et nous sommes à plus de 37% de décaissement. C’est un bon résultat. Et nous sommes déjà d’accord sur un deuxième C2D qui, comme les Camerounais eux-mêmes nous l’ont proposé, sera axé principalement sur l’aménagement du territoire (les équipements publics), et la relance de l’agriculture vivrière et de rente. Sur le plan diplomatique, j’étais porteur d’un message du président de la République française qui invitait le président camerounais Paul Biya à Paris. Ce dernier m’a dit qu’il acceptait l’invitation ainsi que la visite auparavant du Premier ministre, François Fillon, dans son pays. Mes rencontres avec le président camerounais, son Premier ministre et plusieurs autres membres du gouvernement ont montré que la politique de coopération française est bien reçue. Mais j’ai tout de même un regret. Toutes les institutions camerounaises, depuis le président de la République jusqu’aux entreprises qui agissent dans le cadre de la coopération, apprécient notre partenariat. Cependant, la majorité de la population ne sait pas, sur nos opérations, que c’est la France qui agit. Il n’y a aucune raison pour que, lorsqu’un autre Etat finance des opérations, ses drapeaux soient visibles partout, et que lorsqu’il s’agit des nôtres il n’y ait rien. Dans la rue, lorsque je demandais aux gens qui finançait tels ou tels travaux, ils ne la savaient pas. Or, si on renouvelle la relation France-Afrique, il faut que la population le sache.
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