A l’envers du dogme en vigueur dans l’Islam, l’autorité religieuse égyptienne – l’Université d’Al-Ahzar – vient de prononcer une fatwa qui autorise l’usure. S’il ne devrait pas modifier profondément le marché bancaire égyptien, le décret d’Al-Azhar jette un pavé dans la marre des institutions bancaires islamiques.
La mosquée d’Al-Ahzar, qui fait autorité en matière de religion en Egypte, vient de prononcer un décret – une fatwa – qui promet de faire date. On connaissait déjà les positions assez » libérales » du cheikh d’Al-Azhar, Muhammad Sayyed Tantawi, sur l’éthique bancaire au regard de l’islam. Si la religion interdit la riba (l’usure ou l’intérêt sur de l’argent placé), le cheikh avait depuis longtemps interprété le dogme de façon à ne proscrire que l’intérêt » excessif « . Aujourd’hui c’est toute l’Université d’Al-Azhar et le Conseil islamique supérieur qui se rangent à ses côtés : les 21 sages ont décrété licites les intérêts sur les dépôts bancaires. Et par cette simple décision, c’est toute la raison d’être des » banques islamiques » que l’autorité religieuse égyptienne remet en question.
» J’ai appris cela avec le plus grand étonnement. Je ne connais pas d’autres écoles qui interprètent de cette façon le dogme musulman ! « , commente Bertrand Levec, responsable du Moyen-Orient et de l’Afrique du Nord au Crédit Agricole-Indosuez. » En même temps, les banques islamiques ne constituent pas un phénomène très important dans ce pays. Nous-même n’y développons pas de produits spécifiques pour les musulmans, alors que nous le faisons au Barhein par exemple… » En effet, seules trois banques islamiques sont présentes en Egypte : la Banque Fayçal islamique, la Maison de financement égypto-saoudien et la Banque islamique internationale pour l’investissement et le développement.
Le cas égyptien
Comme le souligne l’hebdomadaire Al-Ahram, le total des dépôts dans ces banques – 12,3 milliards de livres égyptiennes en 2001 – est faible par rapport aux 195,6 milliards que brassent les banques commerciales. Cependant, la concurrence est réelle. Depuis le début des années 1980, les fonds des banques islamiques croissent chaque année de 15%. Le contexte international de lutte contre le terrorisme et les accusations dont ces banques sont l’objet depuis les attentats du 11 septembre 2001 ont conduit à une méfiance des milieux financiers. En même temps, on assisterait à une radicalisation des positions de certains musulmans pour qui placer son argent dans ces institutions constitue, plus que jamais, un geste à la fois religieux et politique.
C’est en tout cas la thèse d’Ibrahim Warde, chercheur à l’université de Harvard et spécialiste de la question. L’auteur de Islamic Finance in the Global Economy* ne manque pas de rappeler la particularité du cas égyptien. » Il y a eu de gros scandales entre 1984 et 1988 en Egypte. Des établissements dits » islamiques » promettaient des placements mirifiques et il y a eu des pertes énormes. Cela a coûté 15% du PNB. Le Fonds monétaire international est même intervenu. Ceci explique la méfiance de l’Egypte vis-à-vis des banques islamiques. Or l’Université d’Al-Azhar est sous la coupe du gouvernement, ce qui est aussi une spécificité égyptienne. Si cette décision ne devrait pas profondément transformer le marché bancaire du pays, il est intéressant de se demander comment vont réagir les autres autorités religieuses dans le monde arabe. » Lorsqu’on touche à l’argent, la polémique théologique prend une dimension très concrète.
Lire aussi :
L’Islam, les banques et l’usure.
*Ibrahim Warde, Islamic Finance in the Global economy, Edinburgh University Press, 2000.