Aïssa Maïga se fait sa petite place dans le cinéma français. A l’affiche du dernier Claude Berri, L’un reste, l’autre part et de Poupées russes, la suite de L’Auberge espagnole de Cédric Klapisch, Aïssa Maïga n’est pas passée, ces derniers mois, inaperçue dans les salles obscures. Et pour cause, plus fort que tous les préjugés dont elle pourrait être victime, son talent est devenu ce passeport qui lui permet de voyager toujours plus loin dans le Septième Art. Entretien.
Outre celui d’être l’œuvre de grandes pointures du cinéma européen, quel est le point commun de L’un reste, l’autre part, Les poupées russes et plus récemment Caché de Michael Haneke, qui sort ce mercredi en France ? C’est l’actrice Aïssa Maïga. Sa carrière démarre en fanfare alors que la jeune adolescente est encore sur les bancs. Et pour cause, son premier spectacle, La nuit la plus longue, est musical. Il ne se joue que pendant les vacances scolaires et durera trois ans. La jeune femme, qui se lance dans l’aventure de la comédie, sera encouragée par une tante comédienne qui lui propose de prendre des cours avec elle. Repérée à la suite de son spectacle de fin d’année par un des ses camarades d’école dont le père, chorégraphe, recherche des danseuses pour un film, elle vit sa première expérience cinématographique. Elle tourne Le Royaume du passage. Aïssa Maïga n’est alors pas très loin de son grand rôle au cinéma. A 20 ans, en 1996, Denis Amar lui offre le premier rôle féminin, celui de Danièle dans Saraka Bô aux côtés de Richard Bohringer. Des débuts prometteurs pour une carrière toujours plus prometteuse, surtout en cette année 2005, la trentième de la jeune vie d’Aïssa Maïga.
Afrik.com : A voir votre récente actualité, on a l’impression que 2005 est votre année et que les années difficiles qui ont suivi Saraka Bô appartiennent définitivement au passé…
Aïssa Maïga : Je ne sais pas si elles ont passées mais en ce moment, ça va bien ! Après Saraka Bô, cela n’a pas toujours été facile mais il y a eu plusieurs autres rencontres importantes. Notamment avec Alain Tanner en 1999, le réalisateur de Jonas et Lila, à demain. D’être, la même année, dans le film de Michael Haneke (Code inconnu, sa première collaboration avec le cinéaste autrichien, ndlr), a été aussi important pour moi, tout comme de jouer Bintou au théâtre. Ce qu’il y a de différent aujourd’hui, c’est que des réalisateurs comme Claude Berri, Cédric Klapish et Abderrahmane Sissako ont déjà un nom et une aura qui attire.
Afrik.com : Est-ce que vous en voulez à ce premier film, qui vous a laissé, d’une certaine manière croire que faire du cinéma c’était facile ?
Aïssa Maïga : Je n’en veux pas du tout au film. Pour moi c’était une expérience inédite. C’était la première fois que j’avais un rôle véritable, que je jouais avec des acteurs comme Sotigui Kouyaté, Richard Bohringer, Alex Descas… Après, il est vrai que la dure réalité du métier de comédienne s’est imposée à moi. J’ai commencé à halluciner en fait : les gens du métier avait un discours qui était terrifiant. Je pourrais rappeler à certains d’entre eux les propos qu’ils ont tenus. Par exemple : « on voudrait prendre des acteurs noirs mais il n’y en a pas ! ». Il n’y en a pas parce qu’on ne leur donne pas de rôle. Par conséquent ils ne sont pas visibles et on a l’impression qu’ils n’existent pas. A l’époque, ils jouaient dans des pièces de théâtre, dans des courts métrages et faisaient quelques apparitions dans des films, des pubs. Après ça a été, « il y a des comédiens noirs mais ils sont pas bons ! ». Comme si, on n’était pas bons génétiquement. Certains étaient aussi habités par certains clichés parce qu’ils avaient connus des acteurs immigrés qui avaient débarqué d’Afrique. Ces derniers avaient des accents, des codes de jeu différents…Ce qui n’est pas notre cas. Nous qui avons grandi en France, quand nous parlons au téléphone, personne ne peut savoir que nous sommes Noirs. J’ai commencé à cette époque là, à aller dans des castings où ils cherchaient des jeunes filles de 20 ans. C’était soit mon agent qui s’en prenait plein la gueule, soit moi-même. Les gens lui disaient par exemple : « t’es conne ou quoi, on t’a demandé une comédienne de 20 ans, on t’a pas demandé une noire ». Ce qui était très différent pour eux.
Afrik.com : En même temps, n’est-il pas normal qu’un Noir joue son propre rôle ?
Aïssa Maïga : C’est quoi un Noir ? C’est ça le problème ! Si c’est eux qui définissent ce qu’est le Noir, cela ne me convient évidemment pas. J’ai une palette de jeu aussi riche qu’une actrice blanche. Partant de là, je peux tout jouer : je ne suis pas juste une sans-papier…Nous ne demandons pas d’avoir des rôles autres que ceux dévolus seulement aux Noirs, ce n’est pas notre propos. Le problème, c’est l’imaginaire étriqué en France aujourd’hui.
Afrik.com : Nous sommes en France…N’est-il pas « concevable » que les acteurs noirs, même issus de l’immigration, aient du mal à faire partie de l’imaginaire cinématographique collectif ?
Aïssa Maïga : Je ne trouve pas cela normal parce qu’on a l’impression que les acteurs noirs sont utilisés dans le cinéma français depuis une quinzaine d’années. Si l’on se documente bien, on se rend compte qu’il y a en France une tradition du personnage noir depuis au moins le 17è siècle. Et ça on n’en parle pas. Le Noir est donc présent dans cet imaginaire depuis des siècles. Le reproche que j’ai cependant à faire, c’est qu’il soit représenté de manière trop caricaturale. Car partout en France, nous vivons normalement, travaillons et payons des impôts comme tout le monde. Je ne demande pas qu’on nous idéalise, mais que notre présence soit justement représentée par rapport à la réalité de nos vies pour sortir de ces clichés souvent racistes.
Afrik.com : Pensez-vous que les choses peuvent changer ?
Aïssa Maïga : Si je ne pensais pas que les choses pouvaient changer, j’arrêterais ce métier. Cependant, ce n’est pas gagné. Il faut rester l’œil bien ouvert. Il y a une prise de conscience depuis l’intrusion du Collectif Egalité aux Césars, le débat qui s’en est suivi, la question des quotas qui dépasse largement le monde du cinéma. En gros aujourd’hui, les gens savent que ce racisme est une réalité.
Afrik.com : Les comédiens noirs ont donc toujours le même problème dans le cinéma français…
Aïssa Maïga : Les comédiens noirs, arabes, asiatiques ? Oui à peu près. Pour les Asiatiques, c’est encore plus dur. Il y a un film tous les 10 ans avec eux en France. On n’existe dans l’imaginaire mais la représentation pose problème parce que la qualité des rôles est importante. Pour ma part, j’ai toujours considéré que j’étais une rescapée. J’ai réussi à travailler miraculeusement avec des gens intéressants comme Alain Tanner, pour Jonas et Lila ou d’autres…Et là maintenant, je sens que grâce à des films comme celui de Berri, de Klapisch où même au théâtre, les gens commencent à me découvrir dans des personnages autres que les rôles complètement typés. Ils se disent que j’ai une personnalité intéressante à laquelle ils pourront faire appel.
Afrik.com : Talent sous-employé mais pas Caché en tout cas pour vous qui figurez dans la distribution du dernier film de Michael Haneke qui sort ce mercredi ….
Aïssa Maïga : C’est vraiment un tout petit rôle que j’ai dedans. C’est un clin d’œil. J’avais joué avec lui dans Code inconnu et nous ne nous étions pas vus depuis lors. Je l’ai revu à Cannes il y à environ près trois ans. Quelque peu timide, j’ai hésité à aller le saluer. Encouragée par mon producteur, j’ai fini par me décider et il ne m’a pas reconnue. Il m’a expliquée plus tard qu’il avait vu une jeune femme très féminine, différente de celle qu’il avait rencontrée sur Code inconnu. Et c’est à la suite de cela qu’il m’a confiée le rôle de la femme de Denis Podalydès qui apparaît lors d’un dîner avec Auteuil et Binoche (Daniel Auteuil et Juliette Binoche, les principaux acteurs de Caché, ndlr). Ça m’a fait plaisir de le retrouver. La prochaine fois, je lui demanderai un rôle.
Afrik.com : Jusqu’ici quel est celui qui vous a le plus marqué ?
Aïssa Maïga : Celui de Lila dans Jonas et Lila, à demain. D’abord, parce que je ne connaissais pas Tanner. Je n’avais pas à l’époque une culture cinématographique digne de ce nom. Je me suis donc plongée dans la filmographie de cet homme qui a environ 75 ans aujourd’hui et qui est un peu le Godard suisse. A l’époque de la Nouvelle vague, ils étaient quatre dont Tanner et Godard. Ce sont vraiment des cinéastes qui ont un cinéma libre, aussi bien dans la forme que dans le discours. J’ai découvert un homme qui avait un discours radicalement de gauche, alter-mondialiste, avec une conscience très aiguisée du monde, des injustices etc… Et qui avait un rapport très fort avec les acteurs. Je me reconnaissais totalement dans son cinéma.. Il a fait un film en 1975, l’année de ma naissance, intitulé Jonas aura 25 ans en l’an 2000 et dans ce film, il y avait 8 personnages principaux qui baignaient tous dans les idéaux de mai 68. Il a voulu, comme l’an 2000 approchait (c’était en 1999,ndlr), retrouver ces personnages mais il n’arrivait pas à écrire une histoire. C’est ainsi qu’on retrouve le petit Jonas, qui naît à la fin du film de 1975, 25 ans plus tard. Il a une amoureuse qui s’appelle Lila. Elle est d’origine africaine et a été élevée par des Suisses. Ils vivotent tous les deux comme vivotent beaucoup de jeunes dans les années 2000. Lui fait du cinéma et elle, intello, des boulots plutôt alimentaires parce qu’elle ne se trouve pas professionnellement. Dans l’intrigue, le père adoptif de Lila lui offre un billet pour qu’elle aille au Sénégal, son pays d’origine. Il se trouvait que moi j’avais 25 ans comme Lila et que c’était avec ce film, la première fois que je retournais au Sénégal en 20 ans. Mon père est du Mali et ma mère du Sénégal. Je retournais dans un pays que j’avais quitté à l’âge de 5 ans. Je ne connaissais pas du tout ma famille là-bas. Ça a été, à titre personnel, un voyage très fort.
Afrik.com : Votre filmographie est en définitive très « française » parce que vous avez très peu tourné avec des réalisateurs africains. Comment l’expliquez-vous ?
Aïssa Maïga : J’ai fait quelques films en Afrique notamment, Voyage à Ouaga avec Camille Mouyéké. Et là je vais faire le film d’Abderrahmane Sissako, (novembre 2005, ndlr) dans lequel je tiens l’un des rôles principaux. Si je ne tourne pas beaucoup avec des réalisateurs africains, cela tient peut être à la manière dont je parle, je bouge qui ne fait pas typiquement africain. Par ailleurs, ils recrutent localement des acteurs. Il y a également autre chose, que je comprends d’ailleurs un peu moins, c’est le fait que les réalisateurs africains aient beaucoup de barrières dans leur esprit. Ils ne pensent pas toujours à prendre des actrices d’ici pour certains rôles.
Afrik.com : Plus qu’une actrice, vous êtes désormais scénariste. Votre scénario, co-écrit avec Ariane Schrack, Il faut quitter Bamako, dont l’histoire se déroule au Mali met en scène deux amies : l’une est Parisienne et l’autre est Malienne …
Aïssa Maïga : J’ai voulu prendre les choses à contre-pied et je ne voulais absolument pas d’un retour aux sources parce que c’est très difficile à faire quand on veut éviter les clichés. Cela ne m’intéressait pas vraiment. La fille qui vient d’ici (France, ndlr) est issue d’une famille d’immigrés maliens. Quand elle retourne en Afrique, ce n’est pas du tout elle, contrairement à ce que l’on pourrait penser, qui veut changer les choses. Le confort matériel dont elle jouit lui convient parfaitement et elle n’est donc pas prête à remettre les choses en question. Ce n’est pas la Parisienne qui veut faire la révolution, c’est plutôt la Malienne, issue de la bourgeoisie locale, qui la souhaite. C’est elle qui remue un peu son amie française. Le tournage devrait débuter courant 2006 si on arrive à réunir les gros sous.
Afrik.com : Pensez-vous que l’on soit obligés d’écrire, comme le font beaucoup d’acteurs aujourd’hui, pour avoir des rôles qui vous conviennent ?
Aïssa Maïga : Ça fait longtemps que je tournais autour de l’écriture et que je n’y arrivais pas. Mon père était journaliste, l’écriture est pour moi une arme. Elle me paraît indispensable, j’ai de plus en plus d’idées, pas forcément pour me donner des rôles. Ce sont tout simplement des films que j’ai envie d’écrire. J’ai toujours eu cette envie. Je trouvais qu’en tant qu’acteur, on dépendait de l’imaginaire et de l’envie des autres. Par conséquent, j’avais envie d’avoir ma propre parole. J’ai des choses à dire.
Afrik.com : Qu’est ce qui a déclenché cette envie qui vous titille depuis très longtemps ?
Aïssa Maïga : C’était lors du tournage de Voyage à Ouaga. Nous sommes arrivés sur un décor de cascade hallucinant. Je n’avais pas vu beaucoup de cascades dans ma vie. J’ai été totalement saisie par ce que je voyais. Cet épisode a été une source d’inspiration pour moi : les personnages et la trame se sont ainsi dessinés. Et à ce moment là, j’avais retrouvé une copine de lycée que j’adorais que je n’avais pas vu depuis 6-7 ans, Ariane Schrack. Je me suis souvenue qu’elle avait une plume assez incroyable. Elle m’a donné une nouvelle à lire qu’elle reniait totalement. Et moi je l’ai adoré. Je lui ai donc proposé d’écrire ce scénario avec moi. Nous n’y connaissions pas grand-chose mais nous avons appris ensemble.
Afrik.com : A propos de rôles, y’en a-t-il un en particulier qu’Aïssa Maïga attend ?
Aïssa Maïga : Il y en a plusieurs au théâtre comme au cinéma. Mais je rêve d’un vrai rôle dramatique comme a pu en avoir Adjani, Binoche, Charlize Theron dans Monster. J’ai envie d’exprimer la folie qui est en moi que l’on ne voit pas forcément. Je rêve aussi de grandes comédies à la Woody Allen.
Afrik.com : Est-ce que vous avez l’occasion de vous rencontrer entre acteurs noirs pour échanger, notamment avec les aînés qui ont un vécu encore plus difficile que le vôtre ? Vous jouez par exemple dans Saraka Bô avec Félicité Wouassi…
Aïssa Maïga : Heureusement qu’on se voit, qu’on se rencontre. Quant à Félicité Wouassi, je l’adore. J’ai un énorme respect pour elle et pour son talent. On ne la voit pas beaucoup. Quand elle est arrivée dans le cinéma français dans les années 80, pour faire Black Mic Mac, elle était quasiment la seule. Elle a vraiment essuyé les plâtres. Je me souviens du discours qu’elle me tenait quand je me décourageais. Elle me réconfortait en me disant que c’était sur la longueur que je verrai les résultats de mes efforts.
Caché de Michael Haneke
avec Daniel Auteuil et Juliette Binoche
Sortie française : 5 octobre 2005