Le Président du directoire d’Air Austral, M. Marie-Joseph Malé se trouve avec ses actionnaires publics, les collectivités réunionnaises, à la croisée des chemins du développement de la Compagnie aérienne réunionnaise, qui fait face à un choix, décisif pour son avenir. Dans moins de trois mois la compagnie devra retenir le partenaire capable de lui assurer l’essor auquel elle est promise, dotée de capacités financières suffisantes (ou espérées) pour y contribuer; autrement dit, la compagnie sera sous peu dotée d’un actionnaire majoritaire. Un choix fondamental pour la compagnie, ses employés, le développement de La Réunion et son désenclavement. Un choix qui doit être fait en fonction de la situation géo-économique de notre île dans l’océan Indien, à la lumière des récentes évolutions des compagnies aériennes dans la zone et dans le monde.
Air Austral a commencé ses opérations commerciales en mars 1975 sous le nom de Réunion Air Service, elle a fêté en 2015 ses 40 ans d’existence. Renommée Air Réunion en 1986, la compagnie prend son nom actuel en 1990 à l’occasion d’une entrée au capital d’Air France. Avec la prise de contrôle des collectivités publiques réunionnaise, Air Austral devient l’outil stratégique et de service public du désenclavement aérien de La Réunion.
A l’heure des choix imminents que devront réaliser ces collectivités et surtout la Présidence régionale suite aux injonctions de la Chambre Régionale des Comptes et de la Commission Européenne de ramener la participation publique à 33% du capital, il est nécessaire de rappeler les enjeux fondamentaux et géopolitiques d’une entreprise qui assure la projection d’un territoire comme La Réunion sur plusieurs continents. Un état des lieux qui doit éclairer les décideurs politiques sur la qualité de l’offre qui sera retenue et les relais de croissance espérés.
L’aviation est assurément un outil de projection de force civile et économique d’un territoire qui permet de déplacer hommes d’affaires et populations, et d’étendre aussi son aire d’influence. C’est le cas pour les compagnies nationales portées à bout de bras par les Etats et largement subventionnées malgré leurs difficultés structurelles pour la plupart (Air France, South African Airways, Air Madagascar, Air Mauritius).
Certes, à la suite de British Airways, la plupart des compagnies européennes ont été privatisées, et Air France aussi lors de sa fusion avec KLM. Mais ces privatisations ne conduisent pas à une « dénationalisation ». On constate en effet que les Etats se battent becs et ongles pour « leurs » compagnies pourtant privatisées et qu’ils mettent en place des règles notamment pour les droits de trafic.
Air Austral est la dans la même situation pour La Réunion. La commande politique est d’assurer le désenclavement aérien de La Réunion et son développement économique. Malgré l’application des recommandations européennes faites aux collectivités de libérer le capital de la compagnie à des privés, celle-ci sera toujours la compagnie publique réunionnaise.
Dans la zone Océan Indien, les compagnies aériennes des îles voisines partagent ces mêmes objectifs avec comme enjeu national et vital pour leurs économies insulaires, le développement touristique
Trois axes de développement ont été observés au sein des compagnies à travers le monde : la négociation d’alliances entre elles, le développement de la logique des réseaux en fonction des aires d’influences du pays (économique et flux de population) et le positionnement via un hub (Plaisance, Dubai, Paris…).
Face à la concurrence du hub de Plaisance à Maurice qui accueille plus de 15 compagnies étrangères alors que Roland Garros n’en accueille que 2 (!), Air Austral n’a d’autre choix que de se tourner vers un autre ou plusieurs hub, en fonction de sa clientèle. Il sera difficile de concurrencer Plaisance mais plus aisé d’être complémentaire sur des segments délaissés par Port Louis : l’Afrique et les concurrents arabes.
Le marché d’importance pour lui est et restera l’axe Paris-Réunion en raison des flux quasi-exclusifs des liens économiques. Cet axe doit continuer à lui assurer sa croissance économique et des capacités financières lui permettant de se projeter en Asie et en Afrique. Un segment de marché qui se renforcera de plus en plus avec le désengagement progressif d’Air France.
Il est cependant illusoire de continuer à croire que les relais de croissance se situeront sur ce segment ou sur celui des Antilles ou de l’Australie (monumentale erreur stratégique de l’ancienne présidence). Une réalité géo-économique qui oblige cette compagnie à créer davantage de liens de proximité et des partenariats régionaux (Air Madagascar). Avec un marché de plus 850 000 habitants, il est l’heure pour cette compagnie de diversifier ses risques liés au seul marché émetteur réunionnais.
Alors que les compagnies mauriciennes et seychelloises ont noué soit des alliances capitalistiques ou commerciales avec les compagnies du Golfe et leurs gigantesques hubs (Abu Dhabi, Dubaï), des pistes existent et sont à explorer (Maurice ne pourra pas accueillir toutes les compagnies du Golfe comme Qatar Airways ou Etihad).
Cependant, la concurrence est rude… et les pétromonarchies du Golfe doivent être approchées par une vraie diplomatie économique réunionnaise, ce qui n’est pas pour l’heure la grande spécialité de nos décideurs politiques. Cette spécialité est à rechercher dans leur grande expérience et connaissance de la liaison Paris-Réunion… Ce qui se reflète dans l’avantage comparatif majeur d’Air Austral dans les liaisons long courrier entre l’île et la France métropolitaine. Un service de qualité, performant, sécurisé avec toutes les compétences requises pour pouvoir exporter ce savoir-faire.
Service, qualité, sécurité : des avantages que recherchent de plus en plus les pays de la zone dont les compagnies sont blacklistées en Europe. Une piste de développement très sérieuse à fort potentiel que devra assurer le nouveau pilote actionnaire: l’axe Afrique-Europe. Cette demande a déjà été formulée par les compagnies malgaches et mozambicaines, récemment. Une flotte, un service de qualité, un personnel formé et compétent, une localisation de choix à mi-chemin entre ces deux continents peuvent faire la différence face à des compagnies mauriciennes et seychelloises orientées exclusivement vers l’alimentation des flux touristiques de leur pays.
Enfin, les acteurs publics régionaux devront aussi poser, dans le cahier des charges de ce nouvel associé stratégique et majoritaire, la nécessité du développement touristique qui seul assurera le volet manquant de flux récepteur vers La Réunion. Des alliances régionales seront à négocier ainsi que des partenariats avec des compagnies plus puissantes qui pourront s’appuyer sur l’expérience d’Air Austral dans l’Océan Indien. A l’image du partenariat entre Air Seychelles et Etihad ou encore la création de Ewa à Mayotte.
Autant dire qu’au-delà des aspects financiers (dont les sommes sont relatives) le nouveau partenaire stratégique d’Air Austral devrait avoir une identité ancrée à La Réunion, une vision régionale et une expérience confirmée de ces marchés régionaux. Il y va de la survie de cette compagnie et du désenclavement de La Réunion. Air Austral est l’un des derniers outils restant entre les mains des Réunionnais pouvant assurer ses missions de service public.
Christophe Rocheland, Doctorant en Géopolitique