Les anciens agents de la multinationale Air Afrique en liquidation depuis 2002, ont manifesté, mercredi, devant l’agence commerciale d’Air France à Paris-Opéra. Ils réclamaient le paiement de leurs droits promis par l’actionnaire majoritaire de la compagnie panafricaine. Un prélude à une éventuelle action judiciaire contre Air France.
«On a faim ! On veut manger !», scande Béatrice Mure, une ancienne hôtesse de la compagnie aérienne multinationale Air Afrique devant l’agence commerciale d’Air France, à Paris, place de l’Opéra. Nous sommes le mercredi 25 avril 2007. Cinq ans, jour pour jour, que le tribunal de commerce d’Abidjan a prononcé la liquidation d’Air Afrique. Cinq ans qu’Air Afrique a laissé à la rue quelque 4 000 agents qui n’ont fait l’objet d’aucun plan social et d’aucune indemnisation. Ils sont une vingtaine – pilotes, personnel navigant commercial, personnel au sol – de l’ancienne compagnie aérienne à s’être déplacés pour marquer ce triste anniversaire et faire savoir qu’ils sont prêts à engager une action judiciaire contre Air France, principal actionnaire d’une compagnie créée par 11 états africains le 28 mars 1961. Quand elle est déclarée en faillite le 7 février 2002, elle est la propriété de ces derniers à 68,44%, d’Air France à 11, 84% et de l’Agence française de développement (AFD) à 8,87%. Le reste du capital est alors réparti entre des petits actionnaires parmi lesquels les groupes français Accor et DHL.
Un calvaire qui dure depuis 5 ans
Tels les rois que l’on enterre avec des sujets vivants, la grande RK (code IATA d’Air Afrique), ne cesse d’emporter avec elle ses agents et leurs familles. Officiellement, 401 employés de la compagnie sont morts des conditions morales et physiques misérables dans lesquelles la cessation d’activité de leur employeur les a laissés. A Abidjan, siège social de la multinationale, de nombreux navigants et personnel basés dans ce pays, propriétaires et qui ne pouvaient plus payer leurs traites ont été expulsés de leurs maisons. «Les familles se sont retrouvées à la rue, en 2002, alors que le couvre-feu était à 18h, en pleine saison des pluies, explique, émue Livzan Coirault, présidente de la section parisienne de la Confédération régionale pour l’amélioration des conditions de vie et de travail du personnel de la compagnie aérienne Air Afrique (CRACVT-PCA). Nous rentrions à pied pour nous cotiser et acheter les produits de base – riz, pain, eau, sucre – pour permettre, au moins, aux enfants d’avoir un repas par jour ». Des drames qui se vivent au quotidien dans chacun des Etats membres.
D’où l’urgence pour les anciens salariés de confronter Air France à ses responsabilités déjà implicitement reconnues, selon Olivier Brane, l’avocat parisien en charge de cette affaire. « Air France promet de mettre en place, en 2002, un plan social financé à hauteur de 8 millions d’euros (5 milliards de F CFA, ndlr). Elle le réaffirme en 2005, et depuis plus rien. Nous pensons qu’une compagnie qui budgétise une telle somme est une entreprise qui a un certain degré de responsabilité. Autrement, Air France nous renverrait vers les Etats africains.», conclut-il. Seulement, Air France a conditionné ce décaissement destiné « exclusivement pour le paiement des arriérés de salaires des travailleurs en Côte d’Ivoire ». La firme française souhaite ainsi la création d’une nouvelle Air Afrique qu’elle détiendrait à hauteur de 50%. Elle exige également qu’elle-même et ses administrateurs au sein d’Air Afrique ne fasse l’objet d’aucune poursuite judiciaire de la part des travailleurs et de leurs syndicats. Une sorte de parachute doré légal pour le plus connu d’entre eux, Yves Rolland-Billecart. Le directeur général de la Caisse centrale de coopération économique, qui deviendra l’Agence française de développement, est dépêché par Paris pour redresser la compagnie panafricaine. Il la dirigera jusqu’en décembre 1996.
Air France face à ses responsabilités
Pour Ange Mouket, ancien directeur financier, de l’audit et du contrôle à Air Afrique, la société française est en mesure de s’acquitter de cette somme parce qu’elle est redevable de droits de trafic aux 11 Etats africains membres de la compagnie panafricaine. « Depuis la mort d’Air Afrique qui leur faisait office de compagnie nationale, ces droits n’ont pas été reversés aux Etats puisqu’ils faisaient l’objet auparavant d’une compensation. Quand un avion RK atterrissait à Paris, il y en avait un d’Air France qui décollait de Lomé, de Cotonou ou de Brazzaville. Il suffirait qu’Air France avance les fonds et les déduise des droits de trafic qu’elle doit.» La mobilisation est d’autant plus urgente, poursuit-il, que « la liquidation sera clôturée en 2008 puisqu’elle court sur une période de trois ans renouvelables. Nous ne voulons pas mourir bêtes, c’est pourquoi nous manifestons devant Air France pour réclamer nos droits.»
Si tous les agents d’Air Afrique sont logés à la même enseigne, la situation est particulièrement délicate pour ceux qui avaient eu la chance (qui s’est aujourd’hui transformée en malchance) d’être basés au siège. A l’exception des Ivoiriens. Une situation injuste pour Esther Tayou, ancienne chef de cabine, qui a fini sa carrière, commencée en 1970 au sein de la compagnie comme assistante de direction. « Le liquidateur ivoirien a vendu, récemment, pour près de deux milliards de F CFA le patrimoine d’Air Afrique. Ce qui lui a permis de calculer les droits des Ivoiriens sur des bases légales. Ils vont ainsi percevoir 200 à 300% de leurs droits au détriment des étrangers. Denis Attiba Mensah (président de la CRACVT-PCA, ndlr) s’est même retrouvé en prison parce qu’il est allé manifester, il y a quelques semaines, pour contester la décision des autorités ivoiriennes. Il fait l’objet d’une interdiction de sortie du territoire jusqu’à son jugement et on ne sait même pas quand il aura lieu. »
Un traitement inégal, surtout pour les agents basés au siège
La Côte d’Ivoire, le Sénégal ou encore le Congo-Brazzaville, qui a indemnisé à hauteur de 50% le personnel Air Afrique présent sur son territoire, et le Mali qui a payé la totalité de la créance des agents maliens expatriés, sont les quelques rares pays à avoir fait face à quelques unes de leurs obligations. De fait le Congo, paradoxalement, n’a pas pris en compte ses ressortissants employés au siège administratif. D’autres pays comme le Benin versent un petit pécule à leurs nationaux. «Dans leur ensemble, les Etats membres attendent surtout que le liquidateur ivoirien remplisse ses obligations, précise Esther Tayou. A la liquidation en 2002, les chefs d’Etat ivoirien et sénégalais ont été chargés par leurs pairs de veiller à l’indemnisation des agents. Une charge que le président sénégalais, fraîchement élu, a confié au président ivoirien Laurent Gbagbo.»
Parmi tous ces Etats coupables de « non-assistance à personne en danger », selon les anciens salariés d’Air Afrique, figure en bonne place la France à travers Air France. « La gestion technique de la multinationale a été confiée à la compagnie française, martelle l’ex-chef de cabine. Nous étions formés par Air France, nos pilotes avaient des licences Air France ». Le cabinet Brane, pour qui la spoliation est évidente, souhaite néanmoins privilégier le dialogue. « On souhaite d’abord négocier. Cependant, si jusqu’au 15 juin, prévient Olivier Brane, Air France ne fait pas un geste, nous l’attaquerons au tribunal de commerce de Paris sur sa gestion d’Air Afrique.» Ses anciens agents, présents à Paris, tout comme leurs collègues sur le continent ne sont pas près de renoncer aux 8 millions promis. C’est une question de (sur)vie ou de mort.