La fête de l’Aïd El Adha est célébrée ce lundi par les Algériens. Mais a-t-elle la même saveur pour tout le monde ? Pas si sûr en ces temps d’érosion du pouvoir d’achat et de flambée des prix. Si certains ont pu se payer un mouton, d’autres ont été contraints de passer outre ce sacrifice et ne pourront pas perpétuer la tradition d’Ibraham, toufefois ce rite résiste globalement à la crise.
Dans les points de vente, généralement des garages ou des dépôts transformés en enclos à bétail en pleine capitale, les citoyens n’ont qu’un mot à la bouche : « Les prix sont très élevés ! » Cette année, ils sont à 20 000 DA et ce n’est que la moyenne, car les prix atteignent les cimes de 40 000 DA.
La désillusion chez les employés et les petites bourses s’installe rapidement, car ils ont l’impression d’être sacrifiés sur l’autel du profit en l’absence du contrôle de l’Etat. Les négociations avec les vendeurs n’aboutissent généralement pas. Ali est un fonctionnaire dans une administration publique et père de deux enfants. Cette année, il a décidé de sacrifier le mouton pour leur faire plaisir et parce que « c’est la religion qui le veut ». Cependant, la partie est mal engagée pour lui, lorsqu’il tente de faire baisser le prix du côté du quartier algérois de Belouizdad. Il arrive quand même à acheter un mouton à 17 500 DA. Un autre citoyen a beau faire tous les calculs, son salaire et ses économies ne lui permettront jamais de s’offrir un mouton. Alors, il a dû recourir à un emprunt auprès de son employeur. Une autre formule en vogue : l’achat par facilité. 50% du prix est versé à la commande et le reste du paiement est échelonné sur quelques mois. Néanmoins, il y a ceux qui sont déjà assez endettés pour être tentés… tant il s’agit encore de dépenser le peu qu’il leur reste. Ils achèteront de la viande chez le boucher du coin et feront la fête en famille.
Le sens de la fête demeure en dépit des difficultés
Les plus démunis, composés généralement de familles nombreuses, vont se contenter de viandes congelées. Nourredine, la trentaine bien consommée, souligne : « L’Aïd ne peut être réduit à la surconsommation de la viande. C’est un moment important dans la vie du musulman. Le sacrifice permet de réduire l’individualisme et laisser place à la générosité. C’est la fête du partage avant tout. » « Autrefois, l’Aïd avait ses traditions. C’était une occasion pour la famille et les amis de se retrouver pour échanger les vœux. La communion entre les voisins était profonde et pouvait aller jusqu’à offrir une partie du mouton aux familles nécessiteuses. Mais les temps ont bien changé. Le sacrifice et son sens demeurent ancrés. Mais les modes ont changé », se désole un sexagénaire.
Depuis une semaine, le bêlement des moutons résonne dans nos quartiers et s’ajoute aux bruits de la ville. Les grandes villes se transforment en un « souk » pour bétail. Des parkings, maisons, jardins et des impasses servent d’espaces de vente pour les commerçants d’ovins. On confie aux enfants la mission de les escorter pour brouter des parcelles d’herbe. C’est un rituel pour eux. Comme chaque année, à la veille de l’Aïd El Kébir, les béliers s’affrontent dans des combats singuliers pour la suprématie locale de leurs propriétaires. Les joutes se déroulent dans les quartiers populaires mais n’ont rien de sacré. Les enfants sont ravis du spectacle. Les adultes se réjouissent des gains qu’ils ont réalisés ou se lamentent de ne pas avoir parié sur le bélier le plus agressif.
Par Kamel Benelkadi, pour El Watan