Ils sont nombreux les Sénégalais à effectuer un retour au bercail pour participer au développement de leur pays. Un phénomène auquel Afrik.com s’est intéressé. Dans cette quatrième publication, la Franco-mauritanienne Aïcha Sy nous explique pourquoi elle a décidé de rentrer au Sénégal pour de bon. Actuellement directrices des projets et stratégies du port de Dakar, elle nous explique les raison de son retour. Rencontre avec une jeune fille à la joie de vivre débordante.
À Dakar,
Elle fait partie de ces personnes qu’on a l’impression d’avoir toujours connues. Vêtue d’un élégant tailleur noir, aujourd’hui la journée a été longue pour Aïcha Sy, petit bout de femme, débordante d’énergie. Elle peut enfin pouvoir souffler en dégustant son jus de bissap (à base de fleurs d’hibiscus) dans ce centre culturel huppé de la capitale sénégalaise. Mais elle garde le sourire, comme toujours. Il faut dire qu’être directrice de projets et stratégies au port de Dakar n’est pas de tout repos. C’est une lourde responsabilité pour celle qui est à peine âgée de 27 ans. Elle en a consciente et est heureuse dans ses nouvelles fonctions. La franco-sénégalaise a visiblement réussi son pari en décidant de revenir en Afrique. Cela fait quatre mois qu’elle est revenue au Sénégal.
Alors que les rangs des chômeurs grossissent en Europe, elle a déjà décroché un poste à responsabilité en faisant le choix de rentrer dans son pays d’origine. Tout a commencé en novembre dernier, lorsqu’elle était encore en France « et que des amis m’ont incitée à revenir. Ils m’ont dit que c’est le boom au Sénégal. Les choses bougent. Plein de mes amis sont aussi revenus après leurs études en France. Je me suis dit pourquoi pas moi », raconte-t-elle dans une bonne humeur communicative.
« Depuis que je suis étudiante je sais que je rentrerai en Afrique »
Au fond la jeune femme a toujours su qu’elle rentrerait en Afrique : « Depuis que je suis étudiante je savais que je rentrerai en Afrique ». Et tout son parcours porte les germes de ce retour à sa terre d’origine. Aînée d’une fratrie de 12 enfants, elle est née et a vécu à Nouackchott jusqu’à ses quatre ans. Ses parents émigrent alors en France, où elle poursuivra sa scolarité. C’est à Sarcelles, dans le département du Val d’oise, qu’ils déposent leurs valises. Après son brevet des collèges, Aïcha Sy intègre le lycée Jean Jacques Rousseau. Elle y décroche son BAC. Elle intègre ensuite l’université de Paris 2 Assas, où elle étudie la géo-stratégie. Puis elle décroche un master en management des pays émergents à l’université de Paris Dauphine, puis un autre master en agronomie. « Toutes mes études étaient poussées vers l’international car je savais que je reviendrai en Afrique. J’ai alors dès lors choisi de faire études en fonction des besoins du continent. Tout mon parcours est réfléchi en fonction de l’Afrique », renchérit-t-elle.
Même son stage de fin d’étude, elle décide de le développement (PNUD). Elle comprend vite l’importance de l’agronomie et de l’aménagement rural, des secteurs clés pour la croissance du continent. Une fois son stage terminé, elle retourne en France pour valider son diplôme. Puis s’envole pour la Tunisie, où elle décroche un poste à la Banque Africaine de développement en tant que consultante à la Vice-présidence. Après deux ans à Tunis, elle décide de quitter la BAD, pour tenter sa chance au Sénégal. Après un entretien concluant, elle décroche son actuel poste au port de Dakar. Son objectif, doter le port dune stratégie globale. « Comme n’importe quelle structure le port a besoin d’une stratégie, d’une vision, pour atteindre ses objectifs. On veut que le port devienne quelque chose de grand à l’horizon 2025, pour cela il faut agrandir ses parts de marché pour mieux concurrencer le port d’Abidjan », explique-t-elle.
« Je n’ai jamais été coupée de l’Afrique »
Elle n’a jamais eu de craintes à rentrer en Afrique. Il faut aussi dire qu’elle n’a jamais coupé le cordon ombilical avec le continent. « J’avais l’habitude de revenir ici souvent lors des vacances. Je n’ai jamais été coupée de l’Afrique. Mes parents aussi nous ont toujours poussés à revenir. Ils ont toujours fait en sorte qu’on garde nos liens avec le continent. On allait souvent autant en Mauritanie qu’au Sénégal. Donc pour moi c’était évident que je revienne » , raconte-t-elle.
Pour la jeune femme, les jeunes diplômés en Europe ont des compétences à valoriser en Afrique. Selon elle « le problème en France c’est qu’on a deux type de profils issus de l’immigration. Il y a ceux qui n’ont pas été portés sur les études, et ceux qui ont essayé d’aller loin dans leur études. Ceux-là ont plus tendance à revenir en Afrique car ils voient qu’en France le système commence à atteindre ses limites. Ils savent qu’avec leurs diplômes ils apportent un plus à l’Afrique ». Elle souligne aussi que « d’autres jeunes n’ont pas forcément envie de revenir car lorsqu’ils viennent en Afrique on les emmène directement au village au lieu de passer du temps en ville. Donc ils s’imaginent que tout le pays ressemble au village alors que s’ils restaient en ville, ils auraient sans doute une autre image de leur pays d’origine ».
« J’ambitionne de faire mon propre projet »
En tous cas, elle compte bien faire de son retour une réussite totale et impulser sa carrière. Pourquoi ne pas créer sa propre entreprise? « Bien sûr j’y pense », affirme-t-elle en riant de bon cœur. « J’ambitionne de faire mon propre projet. Mon projet est très réfléchi en fait, ce n’est pas pour rien qu’on fait de l’agro-économie », précise-t-elle en souriant.
Bien que tout se soit déroulé au mieux pour elle, elle admet que le retour en Afrique n’est pas toujours simple. « Il faut le préparer sinon on risque de se retrouver dos au mur », conseille-t-elle. « On doit avoir un projet plus ou moins construit et travailler son retour, sinon on ne tient pas au bout de deux mois. Il faut se préparer à faire plein de sacrifices car ce qu’on gagne ici ce n’est pas forcément ce que j’aurais gagné avec mon niveau d’étude en France », assène-t-elle. Donc, « revenez mais préparez votre retour. Car je connais des gens qui sont rentrés sur un coup de tête et qui galèrent aujourd’hui, déplore-t-elle. On commence un projet, puis on l’arrête sans raison, on n’en recommence un autre… Au bout de six mois on rentre en France pour attendre que son RSA tombe tous les mois… C’est pas terrible comme résultat à mon avis.»
« Quand on a été diplômé au moment de la crise, a-t-on eu un autre choix que de rentrer dans son pays d’origine ? »
Selon Aïcha Sy, pour optimiser son retour, il est primordial de faire un bon calcul car cela demande certains sacrifices. « On ne peut par exemple plus aller au cinéma. De plus, les relations humaines sont parfois difficiles car il y a beaucoup de choses culturellement qu’on ne comprend pas, des attitudes qui ne nous paraissent pas normales et vice-versa », déplore la Franco-sénégalaise. D’autant que parfois, « on se dit j’arrête tout, on a juste envie de tout remballer et rentrer en France mais quand on sait ce qu’on est venu chercher, on reste sans problème. Ce sont de petits sacrifices qu’il faut accepter mais ce n’est pas grand chose à côté de tous les avantages, notamment la qualité de vie en Afrique qui est bien meilleure qu’en occident».
Surtout qu’en France, constate-t-elle, « l’ambiance est morose. J’y suis retournée récemment pour une semaine, j’avais hâte de revenir à Dakar car tout le monde semble déprimé, c’était horrible. C’est triste ». Face à cela, il n’est pas étonnant pour Aïcha Sy que sa génération soit de plus en plus portée sur le retour en Afrique. « En même temps, on a été diplômé en France au moment de la crise économique. Ce n’est pas étonnant qu’on rentre dans notre pays d’origine pour tenter de se réaliser. On a tout simplement pas eu le choix.»