La réalisatrice Aïcha Macky a décroché la première édition du prix Femme Ambassadrice de Paix à la 27e édition du Fespaco avec son documentaire Zinder. Une distinction pleine de sens qu’elle entend désormais pleinement incarner et qui récompense toute une vie d’engagement.
« C’est une immense joie qui m’anime pour cet honneur fait au Niger et ma modeste personne avec le Prix spécial de « la femme ambassadrice de paix » initié par l’Agence Française de Développement (AFD) », expliquait, à Sahel.org la réalisatrice nigérienne Aïcha Macky pour sa distinction au Fespaco 2021 avec son documentaire Zinder.
« Être choisie parmi tant d’autres femmes cinéastes pour être ambassadrice de la paix me donne comme mission de perpétuer le message de la Paix dans mes films. C’est aussi de pouvoir rassembler les cinéastes au Niger et partout dans le monde car sans cohésion il n’y a pas de développement », poursuivait–elle.
« Sans la paix aucun développement n’est possible »
Interrogée à l’issue d’une cérémonie AFD de remise de prix, qui couronnait par ailleurs les associations de tisseuses lauréates du très remarqué concours du Pagne de la Paix, Aïcha confiait » que le prix Ambassadrice de la Paix [me soit ] décerné c’est comme si ça couronnait tout le travail de volontariat que j’ai eu à faire dans ma vie. »
Notamment à travers des programmes comme Paix à Travers le Développement, qui lui aura permis de former quelque 2 000 jeunes au Niger « sur la question du Conflict Vulnerability Analysis, ou comment contrer l’extrémisme violent.
Pour elle les choses sont très claires : « Comme on a l’habitude de le dire, rien ne vaut la paix. Parce que sans la paix aucun développement n’est possible ».
Le prix spécial Femme Ambassadrice de Paix résonne donc tout particulièrement chez Aïcha et touche au fondement de son engagement personnel et professionnel. Un engagement tout à fait incarné dans Zinder.
Un documentaire d’ailleurs récompensé d’une autre distinction au Fespaco, avec le « Prix de la meilleure réalisatrice ouest-africaine » de la CEDEAO, plus une mention spéciale du Jury du Conseil de l’Entente.
Une œuvre forte récompensée
Synopsis : À Kara-Kara, quartier marginalisé de Zinder au Niger, historiquement celui des lépreux, règne une culture de la violence entre gangs. Certains jeunes tentent de s’en sortir, fonder une famille parfois et s’offrir un avenir autre que celui de la prison.
La réalisatrice Aïcha Macky, elle-même originaire de Zinder, filme au plus près leur quotidien partagé entre leur gang, la famille, la débrouille et cette volonté de sortir du cycle de violence dans lequel ils se sont construits.
Une œuvre forte, authentique, pleine d’espoir et d’humanité qui interroge les préjugés et les déterminismes sociaux et invite à un nouveau regard.
A la violence d’un quotidien devenu banal, aux stratégies de survie dans un monde régit par d’autres règles, Aïcha Macky, qui se définit comme « socioréalisatrice », n’élude rien de ces vérités qui font partie d’un tout, miroir de leurs réalités.
Pour le jury, elle signe, haut la main, la meilleure copie des films en lice pour le prix spécial « Femme ambassadrice de Paix ».
Un jury avisé et exigeant, composé de Fanta Régina NACRO (Burkina Faso), Cornelia GLELE (Bénin), Nadine PUECHGUIRBAL (France), Gwénola POSSEME-RAGEAU (France), et Oumar KONE (Burkina Faso), qui ont passé au crible les différentes productions identifiées parmi la sélection officielle du Festival.
En observant des critères très précis, parmi lesquels l’originalité et créativité de l’œuvre, la direction et la réalisation, l’écriture, l’image, le jeux d’acteurs et d’actrices, le rythme et la structure du film, le son et la musique.
Refuser les déterminismes sociaux
Le documentaire, qui aura nécessité près de 8 ans de travail, procède pour Aïcha d’une prise de conscience. De ce grand écart entre son Zinder natal où elle a vécu sereinement dans un très épanouissant « syncrétisme religieux », entre musulmans, chrétiens et animistes et le Zinder d’après, frappé par la violence des gangs et l’extrémisme violent.
« Quand en 2015, avec l’attentat de Charlie Hebdo, il y avait la question de la riposte, particulièrement de la ville de Zinder et de Niamey par rapport à cette question de la marche contre le terrorisme et que j’ai vu ma ville à sang et à feu ça m’a réveillée de mon sommeil.
Et j’ai voulu tout simplement aller comprendre qu’est ce qui était arrivé à ma ville natale qui m’a tant bercée avec autant d’amour et de tolérance », expliquait elle à l’assistance lors de la remise de son trophée Fespaco AFD.
Et c’est la rencontre avec les habitants de Kara-Kara, quartier très stigmatisé de Zinder, qui a fait tomber les préjugés qu’elle avait malgré tout. Une histoire qu’elle a tenu à partager avec l’assistance.
« Quand je suis allée dans ces quartiers-là, j’avais autant de préjugés qui sont tout de suite tombés. Parce qu’en dehors de la pauvreté que j’ai trouvée, la question de l’analphabétisme… j’ai trouvé quelque chose de magnifique. C’était la question de l’amour.
Je suis allée dans le quartier. Les tous premiers que j’ai approchés, là où j’allais prendre du thé avec ces gens-là, j’avais trouvé une petite caisse au fond d’un couloir où tous les jeunes qui descendaient, il y en a qui étaient dockers, il y en a qui faisaient taxi-moto…
Ils mettaient un peu de jetons, 25 francs, 50 francs, 100 francs et à la fin je me suis rendu compte qu’ils se cotisaient pour amener à l’hôpital la mère d’un des leurs qui était souffrante.
Et plus tard, quand elle est décédée, ils ont fait le même parcours pour acheter le linceul qui devait la couvrir pour l’amener à sa dernière demeure.
Mes préjugés étaient tombés. Mon regard a changé.
Le projet a pris un autre tournant et j’ai voulu tout simplement raconter certains d’entres eux qui ont choisi la voie de la rédemption et qui refusent de rester dans le destin qu’on voulait leur donner.
Ce sont ces jeunes-là que j’ai accompagnés. J’ai documenté la bravoure, leur combativité pour sortir de l’illégalité et trouver leur place au sein de la société. »
La caméra comme arme de plaidoyer
D’un devoir de sensibilisation, d’alerte, de réconciliation et de cohésion sociale, Aïcha estime faire sa part. A son niveau. Avec ses armes, en l’occurrence ses films. Dont elle explique toute la puissance de l’impact.
« Quand on fait un film, on n’a pas besoin d’aller dans la rue pour scander des slogans, mais on est capable d’aller trouver les gens jusque dans leur chambre à coucher, pour les sensibiliser.
Et surtout les informer par rapport à beaucoup de choses qui se passent, que beaucoup de gens refusent de voir en face (…) C’est ce qui m’a amenée à franchir le pas pour sortir de mon confort et aller dans ces quartiers-là pour permettre à ces enfants-là de se raconter au monde. Et pour qu’on comprenne les processus… Qu’est ce qui fait qu’un jeune peut devenir radical ?
En plus d’une distinction pleine de sens et chargée de symbole, avec le prix Femme Ambassadrice de Paix, Aïcha Macky décroche une enveloppe de 7 millions de F CFA (10 600 euros) mais aussi le développement d’un projet genre dont elle façonnera les contours avec les équipes de l’AFD.
Des prix présentés au chef de l’Etat du Niger
La moisson d’Aïcha au Fespaco se récolte aussi au Niger. Car de retour au pays, c’est au chef de l’Etat, Mohamed Bazoum, que la réalisatrice est allée présenter ses différents prix. Le Président, conquis par celle qui est plus que jamais une fierté nationale, a salué le travail et n’a pas hésiter à poser des actes forts pour soutenir les industries culturelles dans le pays.
Il a ainsi pris l’engagement, rapporte Aïcha à Sahel.org, « de mettre un milliard de Francs CFA dans le cinéma et de prendre en charge d’autres difficultés au niveau du Ministère de la culture et du Centre National de la Cinématographie du Niger. Je crois avoir accompli ma mission ce jour-là… »
Un impact qui ne saurait que ravir les responsables locaux de l’ADF, à l’image de Bruno Leclerc, Directeur régional Grand Sahel, qui revient sur les initiatives AFD au Fespaco.
« Tout l’enthousiasme qui est né de ces deux prix (le Prix Femme Ambassadrice de Paix et le Pagne de la Paix, ndlr), plus le stand qui a été sur le site du Fespaco, tout cela est évidemment une réussite, mais pour nous c’est une réussite qui demande que l’on soit maintenant au rendez-vous.
Le rendez-vous c’est de continuer à combler les attentes que notre action a pu faire naître. Sur l’aspect cinéma, nous allons voir comment appuyer les industries culturelles et créatives en général dans le Sahel, mais ça c’est une action qui va se continuer en dehors du Fespaco.
Par contre, on a constaté beaucoup d’attentes du côté de la filière du tissage. On va tout de suite se mettre en ordre de marche » (…) pour « comment bâtir un appui qui pourrait être bénéfique pour tout le monde.
Donc, oui un succès mais c’est aussi le début d’une nouvelle action, parce que nous serons jugés aux résultats. Ce n’est pas un coup, ce n’est pas de la publicité, ce n’est pas de la communication, c’est du développement et le développement se mesure aux résultats obtenus. »
Et, pour le cinéma, on n’aurait sans doute pas rêvé mieux qu’une ambassadrice telle qu’Aïcha Macky pour promouvoir ce bien commun qu’est la paix. Une distinction qui à la fois raffermi son engagement, illustre un inspirant rôle modèle et démultiplie la portée de son travail.
Un combat qui s’annonce déjà sous les meilleurs auspices au vu de l’engouement suscité lors de la cérémonie de remise des prix de l’AFD où les discours ont su drainer l’adhésion de tous, et même se lever toute la salle pour accompagner en dansant la chanteuse Awa Sissao.
Frappée par le deuil sa mère, elle avait tout de même tenu à venir pour apporter son soutien. Et pour honorer la mémoire de sa mère, « une femme battante, une femme de paix ». Pour Awa Sissao : « qui parle de paix, parle d’amour ». Un message universel qu’elle a su délivrer à l’unisson avec chaleur et prestance. Un moment de grâce et de partage.