Le vingt-et-unième album d’Aicha Koné, Farafina Miria, déjà sorti en Afrique depuis février, fait son entrée officielle sur le marché français à compter de la semaine prochaine. Onze titres pour évoquer l’amour et la paix qu’elle souhaite voir revenir dans sa chère Côte d’Ivoire. Entretien avec une grande dame de la chanson ivoirienne, dont les trente ans de carrière ne semblent avoir émoussé ni le talent, ni l’amour du métier.
Aicha Koné est née un 21 mai à Adjamé Dallas, quartier populaire de la ville d’Abidjan, capitale économique de la Côte d’Ivoire. La petite Aicha est la benjamine des 15 enfants de Koné Yanourga Moussa, Sénoufo originaire de Gbon (village situé à 45 km de Boundiali, ville du nord de la Côte d’Ivoire) et de Férima Macoura Traoré, native de Daloa (Ouest du pays). Née noble, son père médecin aura du mal à la laisser poursuivre sa carrière musicale, comparable en pays mandingue à une vie de griot. Celle que l’on surnomme l’impératrice de la chanson ivoirienne, qui fêtera bientôt ses 30 ans de carrière, débute véritablement sa carrière musicale au sein de l’Orchestre de la Radio Télévision Ivoirienne (ORTI) où elle est engagée comme choriste sous la direction, entres autres, de Boncana Maïga.
Celui qui deviendra son mentor et sera jusqu’à Farafina Miria son arrangeur attitré, lui est présenté par Georges Benson, alors directeur des programmes de la Radio Télévision Ivoirienne (RTI), qui l’a révélée au public ivoirien. L’adolescente côtoie ainsi d’autres grands maîtres de la musique africaine comme Manu Dibango avec qui elle a travaillé sur son dernier album. De ses années à l’ORTI, Aicha Koné dit qu’elles l’ont aidée à « s’organiser et à se structurer ». Très tôt influencée par la Sud-africaine Myriam Makeba, qu’elle rencontrera durant son exil guinéen, et interpellée par les mandolines de Nana Mouskouri et les guitares d’Enrico Macias aux accents d’Orient qui lui rappelle la musique mandingue, elle sort son premier 45 tours Denikeleni en 1979.
Afrik.com : Farafina Miria est votre vingt-et-unième album. Que représente-il pour vous ?
Aicha Koné : Farafina Miria pourrait être traduit du bambara par « pensée positive africaine ». Cet album est un message de paix et de réconciliation à l’endroit de mon pays par rapport à ce qu’il a connu ces quatre dernières années. C’est un appel à l’union et à l’amour. C’est l’invitation lancée à une Afrique qui doit se renouveler pour combattre ses maux : les guerres, les enfants soldats… Une Afrique qui se prend en charge, un dessein plus noble que de s’adonner à des guerres fratricides.
Afrik.com : Sur votre dernier album, vous avez travaillé avec de grandes pointures de la musique comme Manu Dibango, Boris Bergman… Il y a également un duo avec Meiway. Comment se sont déroulées ses rencontres artistiques ?
Aicha Koné : Je connaissais Manu Dibango, j’ai été choriste au sein de l’ORTI. Je peux dire que je suis l’une de ses filleules. Manu Dibango est intervenu sur « La Complainte d’Eledjibo : cité perdue ». Quant à Boris Bergman, la rencontre s’est faite grâce Alpha Condé. Boris a écouté « Adouma » (titre fétiche d’Aicha Koné, ndlr) et il a aimé. Il a trouvé qu’avec ma voix, on pouvait faire quelque chose. Il m’a fait chantée en brésilien : « Hotel Pelorinho » est une complainte en hommage à nos ancêtres esclaves. C’est une chanson qui m’a beaucoup touchée de par son propos et parce que je suis très romantique (rires). Boris a également réécrit les paroles d’ « Adouma » en anglais et en français. Avec Meiway, j’interprète « Kambéléba ».
Afrik.com : Peut-on dire de cet album qu’il marque un renouveau de la carrière d’Aicha Koné notamment sur la scène musicale européenne, un retour sur la scène internationale ?
Aicha Koné : Un grand retour si l’on considère qu’il faut être connu à Paris pour avoir une carrière internationale (rires)… Il est vrai que c’est une grande première parce que j’ai collaboré avec des artistes de renom dont les compositions sont un pas vers un autre public, plus large que le public africain qui me connaît déjà.
Afrik.com : Question bâteau : qu’est-ce que « la fille du Nord », bien que 100% abidjanaise, pense de la situation politique en Côte d’Ivoire ? Vous, à qui les Nations Unies ont fait appel pour célébrer la paix durant le mois qui lui a été dédié en Côte d’Ivoire…
Aicha Koné Je ne peux que souhaiter la paix dans mon pays. Nous sommes appelés à vivre ensemble. Je ne peux prôner que la réconciliation entre tous les fils de ce pays et je suis bien placée pour le faire. A un moment, il y a eu des incompréhensions avec certains parents du Nord qui trouvaient que je ne prenais pas fait et cause pour leur guerre. J’estime en tant que mère que quand deux enfants se déchirent, la première réaction est de leur demander d’arrêter les hostilités pour qu’on s’asseye et qu’on discute. Mon rôle à moi était d’encourager tout le monde à mettre balle à terre pour qu’ensemble nous puissions trouver une solution. Aujourd’hui, je suis heureuse que nous soyons sur le chemin de la réconciliation. C’est dans ce sens là que j’ai toujours marché.
Afrik.com : Depuis 30 ans, vous fréquentez la scène musicale ivoirienne. Quel regard portez-vous sur elle ?
Aicha Koné : Elle est toujours aussi dynamique. La Côte d’Ivoire est un grand carrefour de la musique, un tremplin qui continue de faire découvrir de nouveaux talents, des talents qui se confirment comme le groupe Magic System qui s’est fait connaître en France. Je ne doute pas qu’on entendra parler encore longtemps de la culture ivoirienne et africaine.
Afrik.com : Qu’est-ce qui vous a poussée vers la chanson ?
Aicha Koné C’est le destin – j’y crois – et mon amour pour la chanson. Si c’était à refaire, je le referai parce que cela permet d’être le porte-parole des sans voix.
Afrik.com : Une carrière d’artiste est faite de hauts et de bas. Qu’est-ce qui vous permet de résister ?
Aicha Koné : Il y a, avant tout, mon public. Mais ce qui me soutient, c’est aussi les critiques. Il faut savoir les accepter pour se remettre en cause.
Afrik.com : On vous a vu récemment dans un spot de Institut national de prévention et d’éducation (Inpes) en France qui vise à sensibiliser les populations africaines sur le sida. Comment avez-vous été contactée ?
Aicha Koné : J’ai été contactée grâce à une sœur, Eugénie Diecky d’Africa n°1, qui a parlé de moi. Ils ont estimé que mon profil correspondait à ce qu’ils recherchaient. J’ai été enchantée de pouvoir, encore une fois, apporter quelque chose. Si à travers mon métier, je peux contribuer à sauver des vies en donnant des conseils…
Afrik.com : La Côte d’Ivoire est en Afrique de l’Ouest le pays le plus touché par le sida. La lutte contre le sida est-elle une cause pour laquelle vous vous êtes engagée dans votre pays ?
Aicha Koné : Nous faisons des campagnes de sensibilisation. Et le 27 juillet, j’ai donné un grand gala à l’Hôtel Ivoire dont la recette ira aux malades du sida. J’œuvre également au sein de notre association dénommée Femmes Calao du Nord pour la paix. C’est une plate-forme de discussion et de réflexion sur des questions qui touchent de très près les femmes dans notre région comme l’excision, les mariages forcés, la scolarisation des enfants… L’association existe depuis trois ans. L’initiative a débuté dans le Nord du pays, mais des femmes sur l’ensemble du territoire s’y intéressent. Qu’elles soient de l’Est, du Sud ou du Nord, les problèmes des femmes restent en définitive les mêmes. C’est d’ailleurs de cette manière qu’on peut parler de paix et se donner la main.
Afrik.com : Le Burkina est un pays auquel vous êtes très attachée, mais certains Burkinabé ne souhaitent pas votre venue sous prétexte que vous soutenez le régime de Laurent Gbagbo. Que s’est-il passé exactement ?
Aicha Koné : Après mon premier album qui est sorti en 1979, le Burkina Faso est le premier pays dans lequel je me suis produite avec feu le grand frère François Lougah. Quand la guerre a commencé, je venais de faire un album avec Gadji Celi pour dire « Halte à la guerre ». C’était un message de paix et je n’ai pas compris la réaction de mes frères Burkinabé. Pendant que je pleure pour que mon pays ne parte pas à la guerre, il y a des gens qui se lèvent pour dire qu’ils ne veulent pas d’Aicha Koné au Burkina. Jusqu’à présent, je ne comprends pas. J’étais au Cameroun récemment, eux aussi m’ont fait part de leur incompréhension. Je souhaite d’ailleurs qu’il y ait une rencontre pour qu’on en parle. Ce chant avec Gadji Celi ne parle que de paix et quand on me dit que des Burkinabé sont sortis dans la rue pour exprimer leur mécontentement à ce propos, je ne comprends vraiment pas.
J’ai reçu des invitations pour faire des concerts à Ouagadougou, mais par rapport à cela, j’ai peur d’y aller. Je chante la paix avec un artiste de chez moi. J’ai chanté « Kanawa », « Halte à la guerre » au Liberia, j’ai reçu en 1989 en RDC, le prix Ngomo pour la paix (trophée de la chanson dans l’ex-Zaïre, ndlr), j’ai reçu le Lion d’or en Guinée, en 2003, pour mes efforts en faveur de la paix. J’ai toujours milité en faveur de la paix et je souhaiterais vraiment que mes frères burkinabé se fassent traduire cette chanson avec Gadji Celi. Est-ce parce qu’il est de la tribu du Président Gbagbo ? Je ne sais toujours pas pourquoi j’ai été ainsi attaquée alors que je ne parlais que de paix.
Afrik.com : Comment vont les yeux d’Aicha Koné – votre marque de fabrique en quelque sorte – qui mettent K.O les hommes et suscitent le courroux de bien de femmes africaines ?
Aicha Koné : Ce n’est plus le cas aujourd’hui car au début, elles pensaient que je le faisais pour séduire les hommes. La chanson « Aminata », où j’évoque la douloureuse question de la stérilité féminine, nous a définitivement réconciliées.
Afrik.com : Que prévoyez-vous pour célébrer vos 30 de carrière ?
Aicha Koné : Je prépare la célébration de mes trente ans de carrière qui se fera dans une Côte d’Ivoire réunifiée. Je laisse donc un peu tarder les choses. Je reçois de nombreux coups de fil de mes frères de Korhogo, de Boundiali… qui me disent qu’ils espèrent faire la fête avec moi. Ce sont des mots très encourageants.