Ahmed Ibrahim est le candidat de la « Mobadar a », l’initiative nationale, une coalition de trois partis de gauche. Professeur et linguiste de formation, le premier secrétaire d’Ettajid (autrefois Parti communiste tunisien, la formation compte aujourd’hui trois députés au Parlement) affiche une volonté féroce de marquer ces élections. Il a déclaré dès le départ vouloir entrer en compétition d’égal à égal avec le président candidat, Zine el-Abidine Ben Ali. Il se montre très déterminé à jouer son rôle sans complaisance. Ettariq el jadid, l’hebdomadaire du parti se démarque par ses prises de position et sa ligne éditoriale en rupture avec la langue de bois et les formules d’usage.
Afrik.com, qui n’a pas obtenu d’interview d’Ahmed Brahim en aparté, a été invité à participer au point presse organisé par le parti Ettajid lors de son université d’été, le 5 septembre. Nous avons donc répondu présent et avons happé le candidat en lui posant une série de questions auxquelles il a bien voulu répondre jusqu’à ce qu’il décide d’écourter le point, « pressé ».
Afrik.com : Quels sont les dossiers que vous traiteriez en priorité une fois au pouvoir ?
Ahmed Brahim: Notre programme est clair, et je vous invite à le consulter. Mais la priorité, c’est la condition démocratique, c’est la clé de voûte de tout. D’abord, il faudrait changer la manière de décider des affaires d’Etat. Cela implique par exemple une comptabilité transparente, une justice indépendante, des médias neutres…
Afrik.com : En terme de campagne, quel regard portez-vous sur les affiches qu’on voit partout émanant des administrations de l’Etat soutenant le président candidat ? Ces administrations représentent-elles tous les administrés ?
Ahmed Brahim: C’est évident que non. J’ai déjà abordé ce problème, ce n’est pas normal que le gouvernorat ou la mairie de tel endroit affiche des portraits géants du président et l’appelle à se présenter ou le félicite de l’avoir fait. Cela part d’une confusion totale entre le statut de président de la République et celui de candidat.
Afrik.com : Et au niveau de votre campagne ?
Ahmed Brahim: C’est incomparable. Lesdites affiches sont là depuis plus de deux ans, alors qu’on nous interdit même d’afficher ma photo sur le balcon de nos locaux.
Afrik.com : Qui vous l’a interdit ?
Ahmed Brahim: Nous avions accroché l’affiche une demie journée, et la mairie nous a envoyé une grue pour l’enlever sur le champ.
Afrik.com : Quelles étaient les raisons invoquées ?
Ahmed Brahim: C’est parce que nous autres, petits candidats, devons attendre 13 jours avant le scrutin pour rentrer en campagne.
Afrik.com : Comment êtes-vous financés ?
Ahmed Brahim: Nous sommes financés par les subventions de l’Etat tunisien, selon le barème du nombre de députés, et nous recevons une subvention pour notre presse.
Afrik.com : Arrivez-vous à faire face grâce à ces subventions, ou avez-vous d’autres sources de financement ?
Ahmed Brahim: Non justement. Nous avons aussi les cotisations de nos adhérents, mais nous sommes encore très en deçà de ce qui pourrait nous permettre de nous battre à la loyale.
Afrik.com : Que répondez-vous à ceux qui assimilent l’opposition en Tunisie à une opposition de façade ?
Ahmed Brahim: Il existe une conception tout à fait négative de l’opposition en Tunisie. On ne connaît de l’opposition que celle qui passe à la télé. On pourrait la qualifier d’opposition de façade, même si la qualification « de façade » implique que de temps en temps on la ravale, la façade, qu’on la retape, qu’on agisse quoi ! Nous autres, au mouvement Ettajdid, nous agissons, et nous tenons à jouer pleinement notre rôle.
Afrik.com : Comment cela se manifeste-t-il au niveau de vos députés ?
Ahmed Brahim: Nous sommes le seul groupe parlementaire qui joue son rôle d’opposition au Parlement. A chaque fois qu’une loi ne convenait pas, nous avons voté contre. Ce fut le cas par exemple lors de la modification de la loi électorale, y compris celle qui régit les règles de la députation, et ce parce que nous avons estimé que ce sont des lois qui limitent le droit à la candidature. Nous avons aussi voté contre la loi qui donne au Conseil supérieur de la communication un rôle exorbitant de censeur.
Afrik.com : C’est-à-dire ?
Ahmed Brahim: C’est-à-dire que lorsqu’un candidat s’exprime par exemple à la radio, il y trouve toujours un représentant de ce conseil pour s’assurer de la conformité de ses propos avec la loi. Il a autorité pour demander la suppression d’un passage entier. Si le candidat refuse, il a le droit de supprimer purement et simplement l’intégralité de la communication. A charge pour ce candidat de porter plainte et de se pourvoir en justice ensuite !
Afrik.com : Comment considérez-vous les partis islamistes ?
Ahmed Brahim: Nous croyons que la démocratie impose de compter avec toutes les tendances que compte le pays. De ce point de vue-là, nous ne refusons pas a priori le principe d’un parti qui prend cette tendance en compte.
Afrik.com : Vous êtes le candidat de la « Moubedra », l’initiative nationale, c’est-à-dire d’un ensemble regroupant votre parti, Ettajdid, et deux autres non reconnus. Vous n’avez pas inclus de partis religieux, interdits aussi, dans votre coalition. Cela signifie t-il que vous ne les reconnaissez pas ?
Ahmed Brahim: L’islam est une composante de la société tunisienne, et un parti qui reconnaît cela pourrait travailler dans un cadre républicain. Mais qu’on vienne me dire qu’on a un téléphone direct avec Dieu, ça non ! Qu’un dirigeant se réclame de Dieu ou du Coran pour gouverner et insuffler la loi, c’est inacceptable. Nous ne transigerons pas avec la séparation de la religion et de l’Etat. C’est un principe fondamental. Nous ne souhaitons pas collaborer avec les partis qui tiennent ce genre de discours ni faire des alliances avec eux. Notre passé et notre vision de la politique nous opposent.
Afrik.com : En pratique, donc, vous ne seriez pas favorable à l’établissement des partis islamistes. Vous rejoignez le pouvoir sur ce point…
Ahmed Brahim: Nous avons des divergences, mais aussi des convergences avec le pouvoir. Ça, ça fait partie des convergences, lorsqu’il s’agit de partis se réclamant de ce genre de discours extrémiste. Par contre, et je le redis, nous sommes absolument contre les solutions policières et l’interventionnisme au niveau de la liberté de culte. Nous dénonçons la répression que subissent les adhérents des partis religieux. Et de ce point de vue, nous avons toujours demandé de privilégier le dialogue en appelant à une amnistie générale.
Afrik.com : A part vous-même, quel est le candidat le plus sérieux selon vous ?
Ahmed Brahim: Ben Ali. A écouter les candidats de complaisance, on trouve qu’ils ont en commun l’idée suivante : « on n’entre pas en compétition avec un candidat de la stature de Ben Ali ». Ils prennent à chaque fois la précaution de rappeler que leur candidature est une contribution au processus démocratique. On a même connu dans le passé, un candidat qui a appelé à voter Ben Ali !
Afrik.com : Vous êtes donc l’homme de la situation pour faire poids cette fois ci face à lui ?
Ahmed Brahim: Je suis l’homme de la situation. J’ai un programme alternatif et une vision alternative. Le poids se mesure par le vote, et là-dessus, nous exigeons des élections en toute transparence. A ce moment-là, on pourra voir qui a rassemblé quelles voix. Il est urgent qu’il y ait les conditions pour créer le débat et mettre en route des élections transparentes. Et puis, mon slogan est sans équivoque : mener une compétition d’égal à égal avec le candidat du régime.
Consulter :
Le site du parti Ettajid
Le site du journal Ettariq el jadid