Ahmadou Kourouma, 76 ans, a déposé les armes. L’écrivain ivoirien est mort, jeudi, en France. Il laisse quatre romans majeurs, une littérature africaine francophone orpheline, et un livre inachevé qui devait parler de la Côte d’Ivoire.
Ahmadou Kourouma, dont le nom signifie « guerrier » en malinké, s’est battu jusqu’au bout. Mais la mort l’a emporté sur ce géant de la littérature africaine, aussi grand par la taille que par le talent. Ahmadou Kourouma, 76 ans, s’est éteint jeudi, à Lyon (France) après avoir été opéré d’une tumeur bénigne. Loin de son pays, la Côte d’Ivoire, vers lequel ses pensées se tournaient sans cesse, surtout depuis le début de la crise en septembre 2002. Loin de ce pays qui s’est toujours méfié de son verbe haut et de sa vision acerbe.
S’il est aujourd’hui considéré comme l’un des plus grands écrivains africains de langue française, Ahmadou Kourouma a peu écrit. Mais quels livres ! Quatre ouvrages en plume majeure auront marqué toute une génération d’écrivains et de lecteurs. Et sont aujourd’hui enseignés dans les universités d’Afrique, d’Amérique et d’Europe. Il sort sa première œuvre, Les Soleils des indépendances en 1970, il a alors 44 ans. Un livre-rupture qui détonne et rompt avec le style très classique des auteurs africains de l’époque et leurs thèmes de prédilection (l’esclavage, le colonialisme…). Kourouma, lui, choisit de porter un regard très critique sur les gouvernements issus des indépendances. Il traduit le malinké, sa langue natale, en français et casse la langue française afin de restituer le rythme africain.
Guerrier de l’écriture
En 1990, dans Monnè, outrages et défis, il récapitule un siècle d’histoire coloniale. En 1998, il livre une satire féroce de trois décennies de régimes totalitaires, largement inspirée du parcours du chef de l’Etat togolais Gnassingbé Eyadéma, En attendant le vote des bêtes sauvages. Enfin, en 2000, dans Allah n’est pas obligé (prix Renaudot), il s’attaque aux conditions de vie des enfants-soldats. Ahmadou Kourouma laisse aussi une pièce de théâtre, Le diseur de vérité et une demi-douzaine de romans pour enfants.
Ce « guerrier », venu tard à l’écriture, s’est battu toute sa vie. Né en 1927 près de Boudiali, au Nord de la Côte d’Ivoire, il est élevé par un oncle « infirmier, chasseur, musulman et féticheur ». Il fait ses études au Mali puis s’engage dans l’armée française, de 1950 à 1954. Il sera tirailleur sénégalais en Indochine ! Après sa démobilisation, il retrouve le chemin des cours. A Lyon, il suit une formation de statisticien pour les assurances et rencontre sa femme avec laquelle il aura deux enfants. A l’indépendance de son pays, en 1960, il décide de retourner y vivre mais il sera mis à l’index par Félix Houphouët-Boigny qui le considère comme un opposant. Après quelques semaines de prison, débutent les années d’exil. L’Algérie pendant cinq ans, le Cameroun pendant 10 ans puis le Togo pour une décennie de plus…
Lynchage médiatique
Victime des déchirures identitaires qui saignent son pays depuis le 18 septembre 2002, il a été régulièrement la cible, pendant tous ces mois de crise, de certains journaux ivoiriens. Accusé de sympathie avec la rébellion qui contrôle la moitié nord du pays, la presse a été jusqu’à remettre en cause sa nationalité ivoirienne. L’écrivain a pris position, c’est vrai. Contre l’ivoirité, « une absurdité qui nous a menés au désordre ». Et pour la paix. En septembre dernier, il avait pris part à la Coalition pour la patrie, une association ivoirienne d’hommes politiques, de culture et de loi, qui souhaite aider à ramener la paix en Côte d’Ivoire.
En mars, il avait commencé un roman sur le drame de son pays. « Mes enfants me l’ont demandé », se justifiait-il. « Dans ce livre, mon héros arrive en Côte d’Ivoire mais il n’a pas de chance, les événements éclatent. Il poursuit son aventure avec les escadrons de la mort, la situation politique, les charniers. Je voudrais que le pouvoir le lise. Cela pourrait permettre de réfléchir, de prendre du recul sur la situation, de voir les responsabilités de chacun et ce qui a conduit à tout cela. Je n’écris pas rapidement. J’espère que la situation se sera améliorée avant que le livre ne soit terminé. » Un espoir fauché. Le livre n’est pas terminé. La crise non plus. La Côte d’Ivoire, comme l’Afrique, avait encore besoin de sa plume terriblement lucide. En attendant la réincarnation de Kourouma, il faudra se contenter de relire ses livres.