Agathe Uwilingiyimana, martyre et emblème du Rwanda


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Drapeau du Rwanda
Drapeau du Rwanda

Les langues se délient autour du Rwanda et des diverses responsabilités à l’oeuvre dans la tragédie épouvantable du génocide tranquillement planifié, organisé, perpétré, qui a ensanglanté ce paradis, au coeur de l’Afrique des Grands Lacs.

L’Eglise catholique, tellement liée au pouvoir hutu depuis l’indépendance, et qui s’appuyait sur cette terre sur une intense ferveur populaire, reconnaît elle-même ses erreurs dans une dénonciation insuffisante des préparatifs des massacres et dans une passivité invraisemblable de certains de ses hauts responsables locaux lors de leur déclenchement. Dans un pays comme le Rwanda, où les Européens, belges et français confondus, faisaient bloc avec les Américains pour défendre une dictature hutu apparemment assurée d’un soutien massif de la population et d’une alliance inébranlable avec l’Eglise catholique, les paroles des ONG et des opposants n’avaient qu’une bien faible audience, à commencer par celles du leader du FPR, Paul Kagame.

Sans aller entièrement à Canossa, les catholiques rwandais reconnaissent aujourd’hui un aveuglement difficilement vraisemblable, et qui ne peut s’expliquer, pendant les derniers mois qui précédèrent les massacres, que par une volonté un peu folle de préserver un ordre national établi lors de la décolonisation sur l’exclusion, artificielle, des élites tutsi, alors même que la société rwandaise paraissait capable de dépasser ces affrontements et de se donner les moyens de construire la paix civile, comme l’avaient prouvé les accords de partage du pouvoir signés à Arusha, que la France fut bien coupable, elle, de juger inapplicables, au lieu de travailler au contraire à leur mise en oeuvre.

« Les négociateurs d’Arusha n’étaient pas des enfants. Ils savaient ce qu’ils faisaient. Pour que de tels accords aient une chance de faire naître un nouveau Rwanda, il fallait impérativement veiller à ce que les équilibres militaires, en particulier, soient définis de telle façon qu’aucun coup de force ne soit plus jamais possible. C’était peut-être difficile, mais c’était la seule voie pour permettre l’apparition de la paix civile dans un pays qui, depuis l’indépendance, cahotait de violence massive en violence massive contre sa minorité tutsi. Cette violence était inscrite dans la constitution même du Rwanda monoethnique. Elle était dans la mécanique du régime imposé lors de la décolonisation par les Belges. «  (Michel Sitbon, « Un génocide sur la conscience »)

La mécanique d’un régime ethniciste

Le livre de Michel Sitbon, publié en 1998, est venu au bon moment éclairer une opinion publique internationale prise entre les faisceaux de désinformation officielle, comme cette rumeur de  » second génocide « , anti-hutu, celui-là, et perpétré par le nouveau pouvoir tutsi, que certaines voix tentèrent de répandre dans la presse, pariant sur la méconnaissance du terrain et l’ignorance des réalités rwandaises. Deux ans supplémentaires ont passé, mais la France n’a toujours pas tiré les leçons d’une expérience désastreuse où la défense de ses intérêts en Afrique la fit aller au-delà des attentes de ceux qui dirigeaient alors officiellement le Rwanda, en secondant l’idéologie ethniciste la plus extrême.

Il faudra un jour faire le portrait d’une femme, Agathe Uwilingiyimana, ancien ministre de l’éducation, nommée Premier ministre en juillet 1993, dans le même mouvement de réconciliation et de tolérance qui présida aux accords d’Arusha.

L’une des premières victimes

Elle qui disait aux journalistes, dans une de ses dernières interviews : « Je suis une Rwandaise et je suis une personne. J’ai un rôle à jouer pour mon pays et que je sois homme ou femme, Hutu ou Tutsi, n’a aucun intérêt. «  Refusant de livrer ses origines ethniques, elle plaçait la citoyenneté au-dessus des différences, tenant un discours civique et républicain qui aurait dû trouver des échos en Europe, et d’abord en France. Elle incarnait une nouvelle dynamique, indépendante et mûre, d’une société rwandaise désireuse de dépasser les affrontements ethniques dont ses dirigeants du passé se servaient pour l’embrigader.

Pas de mystère : cette femme fut l’une des toutes premières victimes du génocide anti-tutsi que favorisèrent les alliés européens, et d’abord français, du pouvoir hutu. Alors Premier ministre d’un pays qui s’apprêtait à sombrer dans l’apocalypse du génocide, cette femme était, on peut le dire aujourd’hui, car cela grandit encore son portrait, d’origine hutu.

Mais cette détermination doit aussitôt être effacée, car le Rwanda pour lequel elle se battait, celui de la réconciliation nationale et de l’indépendance, c’est celui à l’essor duquel toutes les forces sociales et diplomatiques doivent aujourd’hui travailler. Les responsables des tragédies sont connus, les coupables des massacres châtiés ou en voie de l’être, la reconstitution de l’unité nationale est à l’ordre du jour. La figure d’Agathe Uwilingiyimana, assassinée en avril 1994, peut en être le triste emblème.

Michel Sitbon, , éd. L’Esprit frappeur

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