Depuis plus d’un an et demi des centaines de réfugiés, originaires majoritairement du Soudan et d’Afghanistan, dorment à même le sol dans les rues de Paris, attendant d’être logés et pris en charge par les pouvoirs publics. Parmi eux, figurent aussi beaucoup de mineurs isolés qui vivent dans une situation très précaire. Profondément touchée par leurs conditions de vie, Agathe Nadimi s’est engagée à leur côté pour leur prêter main forte. Elle parle de leurs principales difficultés à Afrik.com. Interview.
Assise dans un café en face du métro Couronne, Agathe, qui a le visage fatigué suite à l’enchaînement de plusieurs nuits blanches, peut enfin souffler après avoir accompagné comme tous les matins des réfugiés mineurs au Demie, la structure qui est censée les prendre en charge. Autour d’elle, on peut apercevoir plusieurs sacs contenant de la nourriture et des vêtements qu’elle leur distribuera quand ils reviendront de leur rendez-vous au Demie. Dépitée par leur situation catastrophique en France, la jeune femme très engagée dans la cause des mineurs étrangers ne cache pas sa colère face à ce qu’elle estime « un manque de volonté des pouvoirs publics pour les prendre en charge » comme le stipule la loi.
AFRIK.COM : Quelles sont les structures mises en place en France pour la prise en charge des mineurs ?
Agathe Nadimi : Lorsque les mineurs arrivent sur le territoire français, ils doivent être pris en charge par le Dispositif d’évaluation des mineurs isolés étrangers (Demie). Cette structure spécialement conçue pour les mineurs non accompagnés est censée les mettre à l’abri. Mais aujourd’hui ce dispositif ne fonctionne absolument pas. Il y a un vrai problème de non assistance à personne en danger face à ces mineurs isolés puisque plus de 80% d’entre-eux qui signalent leur situation au Demie sont systématiquement rejetés. Ils sont donc obligés de retourner dans la rue, sans assistance, livrés à eux-mêmes. Or la loi en France stipule que tout mineur isolé doit immédiatement être pris en charge et logé.
Que doit faire un mineur étranger lorsqu’il arrive sur le territoire français
Normalement quand un mineur étranger arrive sur le territoire français, la première chose qu’il doit faire c’est de se rendre au Demie pour demander une assistance. Il doit ainsi être pris en charge, avoir un hôtel de façon immédiate, sans aucun préavis, ou encore être placé ans un foyer, ce qui est encore mieux. Une fois qu’il est logé, il doit dans les dix jours qui suivent être reçus par le Demie pour un entretien d’évaluation avec un traducteur. Lors de cet entretien d’évaluation, le mineur explique les conditions précaires dans lesquelles il évolue en France, notamment comment il est arrivé, pourquoi il est venu… Sauf que dans la réalité, aujourd’hui en France, ce n’est pas du tout ce qui se passe. La demande d’assistance des mineurs est quasiment systématiquement rejetée par le Demie, qui leur adresse une lettre de refus très sèche en français, qui explique que leur dossier n’est pas complet, qu’il y a des lacunes dans leur récit ou encore que rien ne prouve qu’ils soient mineur.
Les mineurs ont-ils la possibilité de faire recours une fois que le Demie leur a signifié un refus de les prendre en charge
Ils ont la possibilité de faire recours et d’être accompagnés par des associations pour cela. Mais il faut savoir que c’est un processus extrêmement long, qui dure en moyenne neuf mois, le temps que le juges statuent sur le cas. Mais pendant ce temps-là ils restent dans la rue à errer.
N’est-il pas également difficile pour eux d’obtenir des informations sur la marche à suivre pour être pris en charge
Il est vrai qu’il y a un vrai travail d’information à faire parce ce qu’ils ne sont pas au fait de la façon d’agir pour être pris en charge. C’est aussi pour cette raison que j’en suis venue à m’intéresser à la question des mineurs, d’autant que leur situation me touche profondément. Il faut des personnes sur le terrain pour les informer et les accompagner au Demi régulièrement tous les matins à 8h. C’est ce que je fais avec une petite équipe de soutiens. Nous nous relayons pour tenter de les sortir de la rue car c’est un véritable parcours du combattant pour eux. Même lorsqu’ils sont placés dans des hôtels ce n’est pas des colonies de vacances. D’abord ce sont des hôtels miteux, où ils sont confrontés aux piqûres de punaises. La plupart quittent ces hôtels et préfèrent retourner dormir dans la rue. Dans ces hôtels, il n’y a pas d’éducateurs à part des vigils qui ne sont pas forcément bienveillants avec des jeunes qui ont vécu des traumatismes, dont pour la plupart les parents sont morts… Un vigil a d’ailleurs récemment tabassé un jeune de 15 ans dans un hôtel car il refusait d’être filmé. Nous avons des photos qui le prouvent. Une plainte a été déposée au commissariat. La situation est tellement grave qu’on n’en arrive parfois à se demander qu’est ce qui est le pire pour les mineurs : la rue ou l’hôtel miteux
Quels sont les dangers auxquels les mineurs sont exposés dans la rue
Ils sont exposés à de multiples dangers telles que les agressions sexuelles, la violence, la faim… Il faut savoir que ces mineurs n’ont pas un euro en poche ! Ce n’est pas étonnant qu’ils soient nombreux à partir ailleurs retenter leur chance dans d’autres pays européens. La plupart sont très déçus de ce manque d’assistance et de prise en charge et finissent par disparaître. Dernièrement on cherchait un petit Afghan de 15 ans qui avait disparu après avoir reçu un refus du Demie. Il pleurait à chaudes larmes avec sa lettre en main quand il a été refusé. Maintenant on ne sait pas où il se trouve. Il est peut-être à Calais… On ne sait pas ce qu’il est advenu. Il y a vraiment une faille dans l’accueil des mineurs en France. Sans compter les violences à leur encontre qui sont quotidiennes. Même au Demie ils n’y échappent pas. Une fois un animateur du Demie s’en est pris à un mineur en le violentant avant de le traîner de force par terre jusqu’à le mettre dehors alors que le jeune hurlait de douleurs. La police a constaté cela et a même fait un rapport de ce qu’elle a vu commissariat du 3eme arrondissement de Paris. J’ai été auditionnée quant à moi au commissariat du 11e pour témoigner. Là où on doit les protéger on les violente. C’est aberrant ! J’ai été témoin de cette scène par chance en arrivant au bon moment. Et comme l’animateur avait une coque qui dépassait en forme de son pistolet, le mineur a eu peur qu’il le tue alors que ce sont des jeunes encore traumatisés par les guerres qu’ils ont vécues.
Et la Mairie de Paris dans tout cela Quelle est sa position
Souvent la réponse de la mairie de Paris c’est de dire qu’ils ne sont pas assez petits pour être pris en charge. C’est sûr qu’ils ne vont pas partir d’Afghanistan à l’âge de sept ans ou de huit ans ! Mais plutôt vers 15, 16 ans. La mairie affirme aussi souvent qu’il n’y a pas assez de place dans les hôtels. Pourtant, il y a pas mal de solutions à expérimenter. Il est par exemple facile de les placer dans des gymnases en attendant de leur trouver un logement. En Allemagne, par exemple, ils sont tous pris en charge et on ne les laisse pas dans la rue. Ils ont des logements et des cours pour apprendre l’allemand. Mais en France, c’est de la négligence qui est même devenue de la maltraitance à l’encontre de ces mineurs. La preuve est que pas plus tard que le 15 août, des mineurs sont venus au Demie et ont trouvé les rideaux de fer baissés. On leur a donné un rendez-vous le 15 août alors que c’est un jour férié où personne ne travaille. Je trouve que c’est même un manque de considération. Je pense que les personnes qui travaillent au Demie ne savent rien de leur histoire. Elles ne savent pas qu’il y a les talibans en Afghanistan, ou encore la guerre au Soudan. Lorsqu’on est au courant de tout cela, on les regarde d’un autre œil et on a envie de les protéger. Ce qui n’est pas le cas du Demie.
Selon-vous qu’est-ce qui manque pour un meilleur fonctionnement de l’accueil des mineurs
La fraternité c’est ce qui manque profondément dans ce système. Pourtant, malgré tout ils font des efforts et n’hésitent pas à venir à 8h du matin pour prendre des cours de français au métro Couronne même s’ils savent que leur demande pour être pris en charge sera rejetée. Ils s’accrochent et ont envie d’apprendre le français, d’être scolarisé. Il suffit de leur parler et de les voir durant ces cours pour s’en rendre compte.