Afrique : systèmes de santé et marchés de la santé…


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Dr Laetitia MAKITA NGADI
Dr Laetitia MAKITA NGADI

Analyse par Dr Laetitia MAKITA NGADI, Médecin de formation, spécialiste de la gynécologie-obstétrique, elle est également CEO de Semen Africa Consulting, un cabinet de conseil en intelligence médicale, basé au Maroc.

En quelques années, les systèmes de santé en Afrique, et tout particulièrement en Afrique subsaharienne, ont connu des transformations majeures, avec une croissance à deux chiffres appelée à se poursuivre sur les prochaines décennies. Les enjeux majeurs, dont dépendent les équilibres démographiques, sanitaires et géopolitiques de demain, placent désormais l’Afrique au cœur des changements globaux en matière d’alimentation, de santé et d’environnement, expliquant cette politique d’investissements en cours.

Les systèmes de santé en Afrique : des faiblesses…

L’une des principales études de l’OMS, en 2018, résumait ces faiblesses en quelques chiffres frappants : le continent africain regroupait 25% des malades à travers le monde, alors qu’il ne représentait que 3% des personnels de santé, 2 % des médicaments et 1,3% des investissements financiers mondiaux dans l’économie de la santé et du soin. 

L’Afrique subsaharienne est la région du monde la plus touchée par les maladies et la mortalité infantile : 56% des décès d’enfants de moins de 5 ans au niveau mondial ont lieu en Afrique subsaharienne (OMS). Par ailleurs, on estimait l’accès aux services essentiels de santé en Afrique couvert à seulement 48%, avec des pans entiers de la politique sanitaire, comme la prévention et la communication, trop longtemps négligés.

Les défaillances du système de santé africain peuvent être imputées à un ensemble de facteurs parmi lesquels la pauvreté des populations fait notamment partie des causes majeures. Les populations les plus défavorisées ont moins accès aux soins de santé, car elles ne peuvent pas financer les soins ou les médicaments dont elles ont besoin. Le manque de ressources fait également rage dans de nombreuses régions. Les États africains ont des ressources limitées ou n’en consentent pas assez pour investir dans la santé. Ce manque de ressources se traduit par un manque d’infrastructures sanitaires, de personnel médical qualifié et de médicaments. La proportion des dépenses publiques consacrées à la santé est un indicateur important de la priorité accordée à ce secteur. Selon les chiffres de l’OMS, en 2019, l’Afrique était la cinquième région du monde en termes de dépenses publiques pour la santé, avec 5,3% de son PIB consacrés à ce secteur. Les dépenses moyennes en Afrique subsaharienne ont toutefois triplées, entre 2002 et 2011, passant de 27 à 90 dollars US. Quant à la pénurie de personnel de santé, il s’agit d’un défi majeur pour les systèmes de santé africains. En 2020, la région africaine présentait la plus faible densité de médecins (2,9 pour 1 000 habitants) par rapport aux autres régions de l’OMS. La région compte également 12,9 personnels infirmiers et obstétricaux pour 10 000 habitants, alors que l’Amérique et l’Europe en comptent plus de 80. Seuls 28% des pays africains étaient au-dessus de la moyenne régionale. Seychelles, Namibie, Maurice et Afrique du Sud sont les seuls pays africains à avoir atteint ou dépassé le seuil de densité de 4,45 médecins pour 1 000 habitants, fixé par les objectifs de développement durable. Le continent est également confronté à un exode des médecins formés sur place vers les pays développés. La migration des diplômés d’Afrique de l’Ouest a augmenté, par exemple, de 123% entre 1990 et 2000, contre 53% pour les non diplômés, et ne cesse de croître.

Même si certains indicateurs de santé en Afrique, comme la mortalité infantile et maternelle, connaissent une réelle amélioration, il reste encore de nombreux défis à relever. Ces défaillances du système de santé ont un impact négatif sur le développement économique de l’Afrique subsaharienne. 

…Les effets du changement climatique…

Tous les spécialistes reconnaissent aujourd’hui le lien étroit entre changement climatique et défis sanitaires de demain, et les conséquences en termes de politique de santé et d’investissement médical.

L’approche doit être globale, tant les interactions entre santé, climat et géopolitique sont nombreuses et complexes :  

Le réchauffement climatique agit directement à travers des vagues de chaleurs croissantes, fragilisant la santé des populations les plus exposées (personnes âgées, nouveau-nés, malades chroniques…) ;

 Il favorise également le développement de situations météorologiques extrêmes (cyclones, inondations…) propices au développement de nombreuses épidémies, comme le choléra ;

L’inaction climatique est responsable d’une transformation des biotopes, avec le risque de voir des insectes s’installer dans de nouvelles régions, devenant alors des vecteurs endémiques pour des maladies infectieuses considérées jusque-là comme « tropicales » : des pathologies comme le paludisme, la dengue ou le chikungunya pourraient ainsi s’étendre, par exemple, sur une bonne partie du continent européen ;

La remontée des températures modifie aussi localement les écosystèmes, pouvant favoriser l’émergence de nouvelles zoonoses ;

Le réchauffement climatique va enfin être responsable d’une augmentation des migrations de populations à l’échelle mondiale, favorisant de facto la circulation des maladies.

Selon l’OMS, le changement climatique serait déjà responsable de 150 000 décès par an, et cette surmortalité devrait doubler d’ici 2030. Des zones entières comme l’Afrique subsaharienne seraient alors parmi les plus touchées. C’est pourquoi la première journée dédiée à la santé, lors de la COP28 à Dubaï, re présente un vrai espoir.

Mais aussi des opportunités d’investissement

La fatalité n’est toutefois pas de mise. Malgré les insuffisances du système de santé africain, ce secteur offre en effet de nombreuses opportunités d’investissement pour les différents acteurs économiques. Les industriels ont notamment la possibilité d’investir dans la production de médicaments, de matériel médical et de produits de santé. Les PME peuvent quant à elles investir dans des services de santé, tels que les cliniques privées, les pharmacies et les centres de diagnostic. Les réseaux associatifs et les ONG peuvent aussi investir dans des projets de santé communautaire, tels que la prévention des maladies, la promotion de la santé et la formation des personnels de santé. Les investissements dans le secteur de la santé en Afrique subsaharienne ont un impact positif sur la santé des populations et sur le développement économique de la région. De nombreux acteurs se sont déjà lancés dans cette direction. C’est notamment le cas de Sanofi qui est présent en Afrique depuis plusieurs décennies, notamment au Cameroun, au Sénégal et en Côte d’Ivoire. La société a d’ailleurs signé, en 2021, un accord avec E.P.DIS (Groupe Eurapharma). Les deux groupes sont désormais partenaires dans la distribution de vaccins et médicaments dans près de 25 pays d’Afrique subsaharienne. ONG, industriels, PME, réseaux associatifs… ont la voie libre en matière d’investissement en Afrique subsaharienne. La région manque de presque tout en termes d’infrastructures (hôpitaux, cliniques, centres de diagnostics, etc.) mais aussi en termes de production et de distribution de vaccins et de médicaments.

La formation des professionnels de la santé représente aussi une opportunité d’investissement stratégique en Afrique subsaharienne tout comme le développement de technologies en e-santé et en télémédecine.

Les décisions de la COP 28 en matière de santé 

L’impact des changements climatiques sur la santé est un axe d’effort substantiel. En effet, lors de la réunion santé climat du 3 décembre 2023, 120 pays ont approuvé une déclaration politique commune.

Parmi les quatre objectifs principaux retenus par les dirigeants mondiaux, deux semblent vraiment prioritaires pour l’Afrique subsaharienne :

 – renforcer les systèmes de surveillance et d’information en matière de santé, pour s’engager dans une politique sanitaire exigeante de prévention et d’adaptation au changement climatique ;

 – diminuer les inégalités sanitaires et alimentaires, à travers notamment une couverture sanitaire universelle, assurant à tous une vraie protection sociale.

Bien évidemment, cela suppose que ces déclarations politiques s’accompagnent d’investissements supplémentaires dans l’économie de la santé africaine. Car, comme le souligne l’OMS, seulement 0.5% des financements mondiaux alloués à l’action climatique sont aujourd’hui orientés vers le secteur de la santé. Cette Première Journée de la Santé de la COP 28 aura donc permis de rappeler l’importance de l’économie médicale. 

Ces opportunités économiques pour investir dans le système de santé africain ou subsaharien supposent toutefois de bien comprendre les enjeux, connaître les spécificités du marché, et le rôle des différents acteurs (autorités publiques, ONG, milieu associatif, investisseurs privés…), pour repérer et analyser les opportunités, avec un double regard sanitaire et économique et une approche communautaire, globale et pragmatique. 

Par Dr Laetitia MAKITA NGADI, Médecin de formation, spécialiste de la gynécologie-obstétrique, elle est également CEO de Semen Africa Consulting, un cabinet de conseil en intelligence médicale, basé au Maroc.

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