Pour l’observateur moyen, le concept de démocratie ne semble pas voir trouvé un terreau fertile en Afrique. La raison en est que les partisans de la démocratie insistent dans leur tentative de persuader les africains d’adopter la démocratie représentative – une version du système qui a évolué dans les pays occidentaux. Une attention insuffisante a été accordée à la nature fondamentale de la démocratie directe africaine et à son bon fonctionnement pendant de nombreux siècles avant l’arrivée des européens en Afrique.
George Ayittey, dans Africa Betrayed (L’Afrique trahie) alertait le monde sur le manque général de compréhension de la nature véritable du système économique en Afrique : les africains ne sont pas fondamentalement « socialistes », comme on le croit généralement. Il soulignait que dans la communauté africaine, il y a une tradition séculaire de possession privée sur les maisons, outils, ustensiles, et le bétail. La propriété foncière n’est devenue un problème, comme en Amérique du Nord et sur d’autres continents, qu’à l’arrivée des européens avides de terres. Les populations nomades vivant dans les vastes plaines ouvertes, reconnaissaient les territoires tribaux, mais n’avaient pas besoin de systèmes de titres fonciers et d’enregistrement de propriété.
Les africains connaissaient la propriété privée, les marchés et des formes de gouvernance démocratique qui fonctionnaient bien. Les pouvoirs coloniaux ont fait des ravages en Afrique non seulement en ne reconnaissant pas les institutions indigènes africaines, mais également en les subvertissant et en imposant des démocraties représentatives à l’occidentale extrêmement centralisées à divers groupes de personnes qui avaient été rassemblées dans des « pays » dans le but de les contrôler. Nombre des problèmes rencontrés en Afrique proviennent de l’imposition de ces structures de gouvernance inadaptées à des personnes ayant une idée totalement différente de la gouvernance.
En Afrique, la démocratie représentative n’a pas fonctionné aussi bien que les systèmes de démocratie directe où les gens prennent des décisions, généralement par consensus, après une discussion approfondie de questions spécifiques. Il n’est pas vrai que la démocratie africaine permettait aux rois, aux reines et aux chefs d’agir de façon autocratique et d’imposer des décisions impopulaires à leurs communautés. Mais cela est possible dans les démocraties représentatives où « cinquante pour cent plus un » fournit une majorité suffisante pour appliquer une décision.
Il y a une tendance chez les électorats africains post-coloniaux à continuer à voter pour les politiciens tyranniques et oppressifs et d’afficher une réticence apparente à utiliser leur voix pour révoquer des incompétents. Il est possible que cette réticence soit enracinée dans la tradition de l’Afrique, c’est-à-dire que les dirigeants politiques deviennent investis, dans l’esprit des électeurs, du même statut héréditaire que les chefs traditionnels.
Il est également possible que la réticence à destituer les autocrates résulte d’une incapacité à apprécier les pouvoirs massifs exercés dans les démocraties représentatives à l’occidentale, en comparaison aux pouvoirs limités accordés aux chefs de démocraties directes à l’africaine. En d’autres termes, les gens ne savent pas pourquoi leurs votes abattent autant de misère sur eux. Ils ne réalisent pas qu’un système mieux conçu, plus conforme à leur propre vision de la façon dont les choses doivent se faire, leur fournirait des résultats largement supérieurs.
La démocratie représentative à l’occidentale, qui a été adoptée dans une grande partie de l’Afrique, est appliquée dans des régions vastes ayant des populations plus diversifiées que les régions africaines traditionnelles de gouvernance, et n’est pas soumise aux contrôles et aux contre-pouvoirs qui existent dans les régions plus petites avec des populations homogènes que l’on trouve dans les communautés africaines traditionnelles.
En Afrique du Sud par exemple, l’adoption d’une constitution fondée sur la démocratie représentative ne signifie pas que les formes de gouvernance traditionnellement démocratiques de l’Afrique n’ont aucun rôle à jouer dans le gouvernement de notre pays. La démocratie directe à l’africaine est particulièrement appropriée aux problématiques de la gouvernance locale.
La prise de décision africaine est démocratique. L’Afrique du Sud peut obtenir le meilleur des deux modèles, et sauvegarder au moins une partie de son héritage africain, en continuant à appliquer les processus de prise de décision africains au sein des communautés traditionnelles, tout en appliquant la règle de la majorité à l’européenne au sein du gouvernement national et provincial. Certains observateurs ont soutenu que la prise de décision africaine n’est pas démocratique et que les communautés traditionnelles veulent priver leurs peuples de leurs droits démocratiques en plaidant pour le maintien des formes coutumières de gouvernement dans les zones traditionnelles. Cette critique provient d’un manque de connaissance et de compréhension de l’Afrique et de ses processus décisionnels traditionnels et efficaces.
Il est vrai que les pouvoirs coloniaux et les gouvernements d’apartheid ont tenté de pervertir et de détruire les meilleurs éléments du régime africain, mais ils n’ont pas réussi à détruire les valeurs et les traditions du peuple. Après tant d’années d’oppression les gens sont heureux quand ils peuvent se réunir à un « indaba » et prendre part aux décisions qui les touchent de plus près : où construite une nouvelle école ou clinique où est nécessaire une nouvelle route … L’aspect le plus proche de la démocratie africaine que les pays occidentaux ont réussi à reproduire est le système de référendum suisse, qui, naturellement, est né du processus de prise de décision traditionnel de la communauté suisse.
Si les communautés traditionnelles d’Afrique du Sud étaient autorisées à suivre la nature de la démocratie africaine, correctement pratiquée, elles auraient démontré au monde que les processus de prise de décision africains méritent d’être préservés pour le bien des générations futures.
Si les Noirs Sud-Africains souhaitent préserver leur héritage africain, ils ont besoin d’endroits où leurs jeunes peuvent apprendre leurs langues, leur histoire et leurs cultures dans des environnements qui sont imprégnés de chaque aspect de ce patrimoine. Ils ont besoin de lieux où les jeunes peuvent apprendre de leurs aînés la grandeur de leurs ancêtres et être fiers de qui ils sont et de ce qu’ils sont.
Ils ont besoin de lieux dans lesquels les processus de prise de décision traditionnels d’Afrique peuvent être rétablis comme ils étaient avant l’arrivée des régimes oppressifs qui ont empêché les processus de fonctionner correctement pendant tant d’années. Les lieux existent déjà. Ils sont ces parcelles de terres appartenant aux communautés traditionnelles.
Toutes les terres communautaires devraient être converties en « terres possédées » reconnues en droit comme la propriété inviolable de leurs communautés respectives. Actuellement, la terre est dévolue à l’État, ce qui rend les gens vulnérables à la dépossession. Le Communal Land Rights Act de 2004, contient des dispositions accordant des droits de propriété, sur demande, aux communautés. La loi a été contestée devant les tribunaux et certains aspects jugés inconstitutionnels pour défaut de protection adéquate des droits des petites communautés indépendantes. Il faut rapidement corriger les failles dans la législation afin que toutes les communautés qui souhaitent prendre possession de leur propriété puissent le faire. Ils devraient alors avoir le droit de gérer leurs propres affaires relativement à la propriété foncière, suivant leurs procédures traditionnelles de démocratie directe dans la prise de décision, y compris le droit de convertir tous les droits d’usage en pleine propriété.
Enfin, le droit de prendre leurs décisions communautaires propres à la mode traditionnelle africaine ne doit pas seulement être rendu, mais aussi inscrit dans la constitution du pays. Le chapitre 12 de la Constitution reconnaît officiellement les chefs traditionnels, mais c’est la seule institution mentionnée dans la Constitution pour laquelle aucun pouvoir ni fonction n’a été défini. Les lacunes dans la constitution pourraient être corrigées par l’ajout de pouvoirs et fonctions équivalents à ceux des autres administrations locales, avec une exception importante. Les communautés devraient avoir le droit, si elles le souhaitent, de se gouverner selon leurs systèmes traditionnels de démocratie directe et de ne pas être contraintes d’adopter des systèmes de démocratie représentative dans leurs zones communales.
Eustace Davie est Directeur de la Free Market Foundation en Afrique du Sud.
Publié en collaboration avec UnMondeLibre.org