Afrique : liberté économique avant démocratie ?


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Nouveau coup dur pour la démocratie africaine le mois dernier – cette fois-ci au Niger. En dehors d’exceptions comme le Ghana ou du Botswana, force est de constater que la transplantation de la démocratie occidentale en Afrique n’a pas été un vif succès. Coups d’État, violences post-électorales, modifications de la constitution supprimant les limitations du nombre de mandats présidentiels, la démocratie africaine ne semble pas s’imposer comme l’aurait souhaité la communauté internationale et sans doute une majorité d’Africains.

Par Emmanuel Martin d’Un Monde Libre

Comme dans le cas d’une greffe médicale, ce qu’il est convenu d’appeler le « transplant institutionnel » requiert des conditions pour que la greffe prenne et qu’il n’y ait pas de rejet. Il faut qu’il y ait une compatibilité entre les éléments importés et les éléments locaux. A cet égard, en matière socioéconomique, les éléments en question sont les institutions, c’est à dire les règles sociales qui permettent une coordination entre les individus ou les groupes d’une société. Les économistes et historiens de l’économie ont pour habitude de faire la distinction entre les institutions formelles (codes, réglementations, constitutions…) et les institutions informelles (coutumes, tabous…). Or les institutions formelles importées de l’extérieur ne sont pas forcément compatibles avec les institutions locales – qui expliquent, mais dépendent aussi du degré de progrès économique.

Dans le cas de l’Afrique la colonisation avait déjà opéré un transplant institutionnel plutôt brutal pour les populations locales. La décolonisation (parfois uniquement officielle, comme dans le cas de certaines ex-colonies françaises), n’a pas permis de revenir aux anciennes institutions ni de profiter de certains éléments positifs des modèles des ex-colonisateurs. La centralisation de la violence politique a ruiné des années de perspectives de développement. Avec les années 90 et la chute de la menace soviétique, les choses durent changer. Notamment pour les ex-colonies françaises, le discours de La Baule du président Mitterrand mettait explicitement en garde les autocrates africains : l’aide de la France sera nécessairement tiède pour les pays qui n’amorceraient pas un virage démocratique.

Transplantation de la démocratie ?

Le nouveau transplant institutionnel allait donc être celui de la démocratie pluraliste. Mais l’Afrique était-elle prête ? Ses institutions étaient-elles compatibles avec cette importation forcée ? On entrevoit ici le risque d’une interprétation « raciste » : « les Africains sont-ils incapables de faire fonctionner la démocratie ? » Après « l’homme africain qui n’est pas assez entré dans l’histoire », on pourrait voir comme une insulte « l’homme africain qui n’est pas assez entré dans l’histoire démocratique ». Loin de nous tout préjugé raciste (d’ailleurs de nombreux peuples africains ont une pratique ancestrale d’une certaine forme de démocratie – mais différente de la démocratie moderne occidentale). C’est donc plus en termes de niveau de maturité économique que se posent les termes du débat. Il faut oser poser la question : « la démocratie pluraliste ne vaudrait-elle que pour les riches ? »

En premier lieu la pauvreté peut empêcher la démocratie de fonctionner correctement. Ce n’est pas une loi immuable et partout vérifiée, mais force est de constater qu’il y a des tendances de fond. Non seulement l’illettrisme alimenté par la misère empêche une participation informée au débat démocratique, mais lorsque la priorité de populations entières est de pouvoir manger le lendemain, la démocratie – outre qu’elle devient un luxe – génère un effet pervers : la lutte des clans ou ethnies pour le contrôle d’une partie de la rente que procure le pouvoir politique « démocratique » n’est que plus féroce dans un monde de rareté. La tradition démocratique a émergé avec la richesse : la réduction de la rareté par la croissance économique a permis de pacifier les relations humaines et d’instaurer le dialogue et la culture démocratiques modernes. Ils ne sont d’ailleurs que très récents en occident.

Par ailleurs, la démocratie pluraliste peut-elle vraiment résoudre les problèmes des pauvres ? Certains n’ont que le mot « élections » à la bouche, oubliant les aspects fondamentaux des réformes institutionnelles sociales. Il semblerait que les élections soient une recette magique pour sauver tout un peuple : nouveau mirage après celui de l’aide ? (l’aide inter-étatique, même si elle peut améliorer à court terme la vie de certaines populations, empêche les populations des pays récipiendaires de demander des comptes à leurs dirigeants et peut nourrir la corruption). Dans un contexte interethnique au sein d’États créés de toutes pièces par l’Occident il y a plus d’un siècle sans respect des véritables « nations », le jeu démocratique ne devient qu’une façade, donnant lieu à un fantastique clientélisme, préparant le terrain pour la lutte inter-clanique et l’instabilité, qui ne favorisent pas le développement.

Liberté économique avant politique ?

Ce sont bien plus les réformes en faveur de la prospérité économique fondée sur l’ouverture et l’échange créateur qui peuvent améliorer le sort des pauvres. Les exemples asiatiques abondent en la matière. Bien sûr se pose à nouveau la question du transplant institutionnel, car l’échange nécessite pour se développer le respect des droits de propriété et des contrats. Mais, à l’exemple des miracles asiatiques encore une fois, ces institutions économiques sont « adaptables » aux cadres locaux et, dans un contexte de pauvreté, n’initient pas principalement des jeux à sommes nulles contrairement à la démocratie imposée.

Se pose évidemment le problème de la légitimité politique des dirigeants dans ces conditions. On ne peut effectivement éluder le problème. Mais vouloir de toute force imposer un système démocratique à l’occidentale dans un contexte qui n’était pas prêt à le recevoir n’a-t-il pas été une prétention « constructiviste » ? N’a-t-on pas mis la charrue avant les bœufs ? Ne fallait-il pas se concentrer sur l’objectif moins ambitieux, mais sans doute plus crucial, du recul de la pauvreté par les conditions institutionnelles favorisant le dynamisme économique, avant la « démocratie » ? La liberté économique pour permettre la liberté politique, en somme ? Question ouverte.

Publié en collaboration avec UnMondeLibre.org

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