Afrique : les dangers du lit conjugal


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Le lit conjugal est devenu un lieu à risque pour la transmission du VIH. C’est l’endroit où se produisent nombre des nouvelles contaminations en Afrique. Et contrairement aux idées reçues, une étude tend à prouver que ce sont en majorité les femmes qui transmettent la maladie à leur compagnon.

Ce n’est pas dans les hôtels de passe ou sur le siège arrière d’une voiture mais dans le lit conjugal que les relations sexuelles à risque ont lieu à l’heure actuelle en Ouganda, ont dit des intervenants à une conférence sur l’élargissement des services de prévention du VIH organisée la semaine dernière à Kigali, au Rwanda.

Le docteur David Apuuli, le directeur général de la Commission ougandaise de lutte contre le sida, a déclaré que 42 pour cent des nouvelles contaminations se produisaient dans le lit conjugal, alors que le taux de prévalence national commence à croître après des années de stabilisation.

Les responsables de la lutte contre l’épidémie portent désormais leur attention sur le phénomène des couples sérodiscordants – où un seul des deux partenaires est séropositif. Lutter contre la transmission du virus au sein de ces couples, dont la plupart n’a pas conscience de son statut sérologique, est devenu un nouveau centre d’intérêt pour les activistes.

S’agit-il toujours de la même rengaine, à savoir que ce sont les hommes qui continuent à rapporter le virus dans le foyer et à contaminer leurs partenaires ? Pas forcément, à en croire une nouvelle étude controversée, dont les résultats ont été présentés à l’occasion de la conférence, organisée par le Plan d’urgence du président George Bush contre le sida (Pepfar).

En effet, dans une grande majorité des couples sérodiscordants, ce sont les femmes qui sont porteuses du virus et représentent une éventuelle source de contamination, a souligné Vinod Mishra, directeur de recherche à Macro International, un groupe de recherche basé aux Etats-Unis. « Nous avons découvert que dans de nombreux pays, tels que le Kenya et la Côte d’Ivoire, plus de 60 pour cent des couples sérodiscordants étaient formés de femmes séropositives – un phénomène largement ignoré par les activistes de la lutte contre l’épidémie », a-t-il déclaré à IRIN/PlusNews.

Une étude menée dans 12 pays d’Afrique

En effet, les campagnes de prévention actuelles ciblent en priorité les hommes, qu’elles considèrent comme étant le lien entre les comportements à risque et les groupes à risque élevé, et négligent la vulnérabilité des hommes séronégatifs qui appartiennent à un couple sérodiscordant, a-t-il poursuivi.

L’étude, fondée sur des enquêtes sanitaires et démographiques menées dans 12 pays d’Afrique subsaharienne, dont le Burkina Faso, le Ghana, le Malawi, l’Ouganda et le Zimbabwe, a examiné les tendances chez les couples sérodiscordants et a tenté d’apporter des explications à cette « apparente anomalie ».

« Les données nous ont appris que de toute évidence une importante partie des femmes avaient été contaminées par une autre personne que leur époux, alors qu’elles étaient déjà mariées », a rapporté M. Mishra.

Selon lui, l’une des raisons les « plus plausibles » derrière cette tendance est que les femmes mariées ont davantage d’aventures extraconjugales que ce qui est généralement admis ou répertorié.

Cet argument n’a pas fait l’unanimité auprès des participants de la conférence. En outre, il risque de recevoir le même accueil partout ailleurs, car selon les résultats de l’étude, l’idée qu’ont les femmes mariées de l’infidélité va à l’encontre des principaux modèles de progression de la pandémie et des comportements sexuels des femmes.

La chasse aux coupables ?

Vinod Mishra a prévenu qu’en négligeant le risque que représentent les femmes pour leurs époux, « une importante partie de l’épidémie » menaçait de ne pas être prise en considération. « La question n’est pas de rejeter la faute sur quelqu’un, mais de sauver des vies. Il s’agit de lutter contre les nouvelles contaminations au sein du mariage, car le mariage… est désormais la principale voie de transmission de l’épidémie et la principale source de nouvelles contaminations dans la plupart de ces pays », a-t-il ajouté.

Pour des raisons d’ordre biologique, les femmes sont davantage exposées au VIH que les hommes. En outre, une forte prévalence d’autres infections sexuellement transmissibles peuvent rendre ces dernières encore plus vulnérables au VIH/SIDA.

Par ailleurs, certains hommes et femmes sont déjà porteurs du virus avant leur mariage, et ont été contaminés soit par un partenaire occasionnel soit par leur précédent conjoint. Lynde Francis, directrice de The Centre, une ONG zimbabwéenne de défense des droits des personnes séropositives, a rappelé qu’un nombre important de jeunes filles étaient contraintes d’avoir des relations intergénérationnelles, et avaient une liaison avec des « papas gâteaux » afin d’obtenir une aide matérielle.

Ainsi, selon elle, c’est ce type de relations qui constitue la principale voie de transmission de l’épidémie et non les relations extraconjugales. M. Mishra a reconnu que certaines femmes avaient été contaminées au virus avant leur mariage, mais il a ajouté que ces contaminations ne représentaient qu’une infime proportion des infections répertoriées chez les couples sérodiscordants. Pourrait-il alors s’agir de cas de transmission non sexuelle du VIH ?

« Est-ce que cela provient du fait que les femmes sont plus exposées que les hommes à recevoir des injections à risque ? Est-ce que cela provient du fait que les femmes sont plus exposées que les hommes à des interventions médicales à risque pendant la grossesse ou l’accouchement ? Nous n’avons aucune preuve pour étayer cette hypothèse », a-t-il fait savoir.

Rebecca Bunnell, du Centre américain pour le contrôle et la prévention des maladies (CDC), en poste au Kenya, a demandé à ce que davantage de recherches soient menées avant de tirer des conclusions trop hâtives.

En outre, elle a rappelé qu’il fallait également chercher à expliquer les raisons pour lesquelles les taux de prévalence enregistrés chez les jeunes femmes étaient entre trois et 10 fois supérieurs à ceux répertoriés chez les hommes. « Il est vraiment nécessaire de regarder ces données en toute objectivité, de ne pas en faire une question liée au genre, et de ne pas chercher à rejeter la faute sur quelqu’un », a conclu M. Mishra. « Penchons-nous sur les données et étudions la manière dont nous pouvons améliorer les programmes. »

Photo: IRIN / Roberto and Raquel Moiana, un couple HIV

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