Afrique : leadership et développement


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Au moment où des signes annonciateurs de fin de règne s’amoncellent ici et là en Afrique et qu’on y voit toutes sortes de personnages se revendiquer comme de futurs leaders, il n’est pas inutile de s’interroger sur les liens qu’entretiennent Leadership et Développement. C’est ce à quoi nous invite Raoul Nkuitchou Nkouatchet, Conseil en relations industrielles et Président honoraire du Cercle Mont Cameroun à Paris.

Au moment où des signes annonciateurs de fin de règne s’amoncellent ici et là en Afrique et qu’on y voit toutes sortes de personnages se revendiquer comme de futurs leaders, il n’est pas inutile de se rafraîchir la mémoire avec une leçon délivrée il y a quelques années par un esprit brillant. Car, bien qu’il ait été dit et rabâché que le continent noir ne regorge pas de leaders, ces hommes capables de porter une grande cause en la valorisant, il n’a pas été assez dit jusque-là, qu’il ne pèse sur les Africains aucune malédiction, qu’il existe une méthode, des choix à faire pour relever le défi du développement.

Voir plus souvent des hommes et des femmes nourrir de grands desseins pour leur pays, pour l’Afrique, porter les habits du leadership, sera l’une des voies les plus sûres pour « s’échapper de la trappe à pauvreté durable dans laquelle les peuples de ce continent se trouvent depuis trop longtemps déjà  ». Tel est le message crucial du professeur Mamadou Koulibaly, économiste et Président de l’Assemblée nationale de Côte d’Ivoire lors de cette communication faite à Abidjan en avril 2008 (1). Il pose une question fondamentale, qui en Afrique est généralement abandonnée sur le bord de la route ; et y répond avec autorité. Qu’est-ce qui en dernière instance favorise le développement d’une société, d’un pays, d’un continent ?

Il commence par une mise au point décisive, après une longue confusion qui s’est avérée désastreuse pour le décollage des pays africains : la richesse c’est autre chose que des ressources minières et énergétiques, des matières premières, du capital naturel. Partout, depuis longtemps, la richesse des nations passe par le travail qui progressivement génère du capital produit, comme les machines, les routes, les infrastructures sanitaires, agricoles, éducatives ; et à terme du capital intangible. Celle-ci constituant la partie supérieure de la richesse, car immatérielle, donc quasi-indestructible, faite de la qualité des hommes (capital humain) et des institutions.

Ensuite il dit quelque chose d’extrêmement rare dans la littérature politico-scientifique africaine : à savoir que le destin des nations qui s’en sortent est souvent conduit par des hommes d’exception. Ceci constitue un tour de force, puisqu’il ramène la problématique du leadership dans le champ de la raison. Tant il est vrai que sur ce continent, on fait généralement appel à la technique magique pour appréhender ce phénomène absolument universel.

Pour sa démonstration, Mamadou Koulibaly procède à un véritable plaidoyer libéral. Le professeur et homme politique ivoirien ne donne pas dans l’exceptionnalisme que cultivent tant de belles âmes dès qu’il de l’Afrique. Reprenant sans sourciller les idées de la Banque mondiale et de Heritage Foundation – un think tank washingtonien – qui ont fait leurs preuves ailleurs, et depuis longtemps, il rappelle que la libre entreprise, la libre concurrence, la liberté monétaire et financière, la propriété privée, la bonne gouvernance, et au-dessus de tout l’esprit de compétition, sont des critères simplement indispensables à la prospérité d’un pays.

« Les leviers de la richesse des nations se trouvent dans l’éducation et les institutions  ». Avant d’ajouter : « Les voies pour en sortir existent. Il ne nous manque que le courage de décider d’entrer dans le monde des riches.  » Incisif, il touche décidément au but : « Les élites se renouvellent de génération en génération, mais ce changement se fait dans la stabilité des habitudes d’inefficacité et parfois, il arrive même que les générations nouvelles soient de moins bonne qualité que les générations passées.  » Dans ces conditions, il est certain que « revendiquer la démocratie » ou encore « faire des élections » ne sauraient suffire ! Il faut être solide sur ses jambes, pour s’autoriser une vision aussi simple, aussi franche, aussi nécessaire et aussi dure.

Pour Mamadou Koulibaly, « les défis du développement économique et social s’adressent au leadership africain. » Il ajoute que la mondialisation est « une compétition entre les élites, les leaderships ». C’est alors qu’il évoque la figure mythique, héroïque et parfaitement universelle de Georges Washington, le premier Président des Etats-Unis d’Amérique (1789-1797), pour dégager quelques principes d’un leadership fructueux. Washington, le commandant en chef de l’armée américaine pendant la guerre d’Indépendance contre l’Empire britannique, la superpuissance de l’époque, aurait pu se faire introniser Roi des Américains. Il refusa la proposition. A la fin de la guerre, en 1783, alors qu’il est le héros de l’Amérique, il se retire dans son domaine du Mont Vernon, où il gère la plantation familiale.

Cela ne l’empêchera pas de mettre son immense prestige dans la balance pour faciliter la marche des Etats confédérés vers la Fédération qui naîtra à la Convention de Philadelphie, en 1787. Elu Président des Etats-Unis en 1789, réélu en 1792, il refuse de modifier la Constitution pour faire durer le bail ; il quitte le pouvoir et retourne sur ses terres. Sa postérité est connue. Depuis la mort de Georges Washington en décembre 1799, aucun homme au monde n’est plus célébré que lui !

Des membres de l’association du Mont Vernon ont tiré des principes du leadership de Washington, qui peuvent évidemment servir sous d’autres cieux. Ils les résument à quinze. En voici quelques-uns : i/ le leader a une vision claire ; ii/ le leader est honnête ; iii/ le leader est ambitieux ; iv/ le leader est courageux ; v/ le leader est discipliné et sait se maîtriser ; vi/ le leader a une forte éthique opérationnelle ; vii/ le leader a un bon jugement ; viii/ le leader sait tirer les leçons de ses erreurs ; ix/ le leader est humble ; x/ le leader soigne sa présentation ; xi/ le leader sait anticiper les attentes ; xii/ le leader a foi en ce qu’il fait et aux autres.

C’est vrai que le leader est un type intemporel et l’on retrouve à peu près les mêmes vertus chez ces hommes hors du commun. Intrépide, redouté, il sait faire preuve de la plus grande humilité, jusqu’à sembler l’égal de ses compagnons. C’est ce qui permet à ceux-ci de s’abandonner complètement à sa conduite. Le leader place le devoir au-dessus de tout, y compris de sa propre vie. Le leadership n’est pas un mot ; celui qui en dispose n’a rien à prouver. On le reconnaît souvent au premier coup d’œil.

Les attentes sont donc considérables en matière de leadership en Afrique ; le temps presse. C’est aussi pour cette raison qu’il convient de redoubler de vigilance. Car, en dépit de la part mystérieuse qui embaume cette chose curieuse, les organisations africaines ont intérêt à fouiller le parcours de ceux qui aspirent à des responsabilités. C’est un indicateur qui souvent dit la vérité sur la qualité des hommes. Il est vrai que le vide n’étant pas possible dans les domaines du commandement, du mouvement d’une collectivité, le premier venu sera toujours prêt à se présenter comme le prochain élu.

Il faudra solliciter de hautes profondeurs dans les sciences anthropologique et historique, pour parvenir un jour à démêler les causes de cette étrangeté qui fait que les sociétés africaines étouffent avant même qu’ils ne viennent au monde, les hommes bien partis pour endosser de grands rôles – laissant ainsi la place à des bateleurs toujours plus loufoques. Pourtant, si ce sont les femmes qui accouchent les hommes, ce sont assurément les sociétés qui font – ou ne font pas – les grands hommes, c’est-à-dire les leaders. Et l’on sait grâce à Hamlet qu’« être grand, c’est soutenir une grande querelle.  »

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