Afrique : le palais, un raccourci vers la prison ?


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Jacob Zuma
Jacob Zuma

D’anciens Présidents en prison, l’Afrique en compte de plus en plus. Depuis 2011, au moins six Présidents africains ont été embastillés après leur départ du pouvoir. Pour des raisons diverses, certes. Mais on en vient finalement à se demander si le palais présidentiel n’est pas un raccourci vers la prison.

Le point sur certains dirigeants qui se sont retrouvés derrière les barreaux, au lendemain de leur mandat présidentiel. Certains d’entre eux sont même morts en prison, sans assistance aucune.

Le colonel Mamadou Tandja au Niger

Mamadou TandjaC’est le 22 décembre 1999 que Mamadou Tandja a été investi président de la République du Niger, après avoir remporté l’élection présidentielle, un mois plus tôt. En 2004, il est réélu pour un second mandat au terme duquel l’envie de se maintenir au pouvoir en dépit des limites constitutionnelles le prend. En juin 2009, à trois mois de la Présidentielle, Mamadou Tandja tente une révision de la Constitution pour prolonger de trois ans son mandat. Il se heurte au refus catégorique de la Cour constitutionnelle et de l’Assemblée nationale qu’il décide de dissoudre, gouvernant par ordonnances. Le 4 août 2009, il organise un référendum pour entériner la révision de la Constitution. Face à la cacophonie qui s’installe dans le pays, les militaires entrent en lice et renversent le Président, le 18 février 2010. La junte baptisée Conseil suprême pour la restauration de la démocratie place, dans un premier temps, Mamadou Tandja en résidence surveillée avant de le déposer en prison, en janvier 2011. L’ancien chef d’État sera remis en liberté, le 10 mai 2011, un mois après l’élection présidentielle de 2011. Il aura passé environ quatre mois en prison. C’est donc en homme libre que le colonel Mamadou Tandja meurt à Niamey, le 24 novembre 2020.

Laurent Gbagbo de la Côte d’Ivoire

L'ex-Président ivoirien, Laurent GbagboL’année 2011 a également connu la mise aux arrêts du Président ivoirien, Laurent Gbagbo. Devenu chef de l’État, le 26 octobre 2000, après avoir remporté la Présidentielle face au général Robert Guéï, Laurent Gbagbo a dirigé un pays miné par une rébellion au Nord. Alors que son mandat se terminait en 2005, il a dû reporter à plusieurs reprises l’organisation de l’élection présidentielle qui n’eut finalement lieu qu’en fin d’année 2010. Les deux principaux adversaires, le Président sortant, Laurent Gbagbo, et Alassane Ouattara, revendiquent chacun de son côté la victoire. La Commission électorale indépendante déclare Alassane Ouattara vainqueur alors que le Conseil constitutionnel proclame la victoire de Laurent Gbagbo qui prête serment le 4 décembre 2010. Chacun des deux hommes se proclame Président et le pays bascule dans la violence. Soutenu par l’Occident, notamment la France, les Etats-Unis, l’Union européenne et par l’ONU, Alassane Ouattara réussit à s’emparer du pouvoir, en avril 2011. En effet, le 11 avril, le palais présidentiel où s’étaient retranchés Laurent Gbagbo et son épouse, Simone, est pris d’assaut par la Force Licorne et l’ONUCI, après dix jours de combats intenses. Laurent Gbagbo est arrêté, mis en résidence surveillée à Korhogo, une ville du Nord de la Côte d’Ivoire, avant d’être transféré à La Haye, le 30 novembre 2011. Il est accusé de crimes contre l’humanité. Au terme d’un procès fleuve, l’ancien Président est acquitté, blanchi de tous les chefs d’accusation retenus contre lui, faute de preuves. Il fait un retour triomphal dans son pays, le 17 juin 2021, après dix années d’absence.

L’éphémère Président de l’Égypte, Mohamed Morsi

Mohamed MorsiIssu des Frères musulmans, Mohamed Morsi est devenu, le 30 juin 2012, le cinquième Président égyptien, le premier élu démocratiquement et le premier civil à ce poste. Agité par de gigantesques manifestations populaires de contestation, le mandat de Mohamed Morsi sera écourté par l’armée. En effet, le 3 juillet 2013, à peine un an après son investiture, l’homme sera renversé par le chef d’état-major de l’armée qu’il a lui-même nommé, le général Abdel Fattah al-Sissi. Il ne recouvrera plus la liberté jusqu’à sa mort, le 17 juin 2019. En prison, Mohamed Morsi a fait l’objet de plusieurs chefs d’accusation (incitation à la violence contre des manifestants et espionnage au profit du Qatar notamment) et de nombreuses condamnations. Les conditions de sa détention sont inhumaines : il est placé à l’isolement 23 heures par jour, n’a pas d’accès aux journaux et à la télévision ; en six années de prison, il n’a reçu que trois visites de sa famille ; il est privé de soins malgré son diabète, sa maladie du foie, son insuffisance rénale, et est obligé de dormir à même le sol. Tout était donc mis en œuvre pour qu’il meure prématurément.

Le Président tortionnaire du Tchad, Hissène Habré

Hissène HabréPrésident du Tchad de 1982 à 1990, Hissène Habré se serait rendu coupable d’actes de torture et d’assassinat systématique des opposants. Soupçonné d’être responsable de la mort de quelque 40 000 personnes, le dictateur s’était réfugié au Sénégal où son procès a finalement été ouvert en 2015. Condamné en première instance à la prison à perpétuité et au versement d’une somme allant de 10 à 20 millions de francs CFA par victime, Hissène Habré fait appel pour voir la confirmation de la peine de prison à vie et la fixation de la compensation financière à verser aux victimes à la somme de 82 milliards 290 millions de francs CFA. Il continue de purger sa peine.

Le Mauritanien Mohamed Ould Abdel Aziz

L'ex-Président de la Mauritanie, Mohamed Ould Abdel AzizL’un des cas les plus récents d’incarcération d’ancien Président, qui font le plus jaser ces dernières semaines, est celui de l’ancien dirigeant de la Mauritanie, Mohamed Ould Abdel Aziz. Il s’est écoulé très peu de temps entre son retrait, à la fin de son second et dernier mandat constitutionnel, en 2019, et le début de sa descente aux enfers. Ses ennuis avec la justice ont commencé en août 2020 où des accusations de corruption, détournements de biens publics, blanchiment d’argent, enrichissement illicite ou encore dilapidation de biens publics ont été portées contre le général. En mars 2021, il est inculpé et placé sous contrôle judiciaire, avec une dizaine de ses anciens collaborateurs. En mai, il est placé en résidence surveillée, avec obligation de se présenter trois fois à la police par semaine, et de requérir l’autorisation du juge avant de quitter Nouakchott. L’ancien chef d’État a été mis aux arrêts, le 22 juin dernier, pour avoir finalement refusé de se présenter à la police.

Le cas de Jacob Zuma en Afrique du Sud

Jacob ZumaEnfin, Jacob Zuma, ancien Président d’Afrique du Sud, est le tout dernier dirigeant à être écroué sur notre liste. Son incarcération remonte seulement au 7 juillet. Quelques jours plus tôt, le 29 juin 2021 précisément, la Cour constitutionnelle sud-africaine avait condamné l’homme à 15 mois de prison ferme pour outrage à la justice. La raison de cette condamnation ? Jacob Zuma avait refusé de se présenter devant les juges pour répondre dans le cadre des nombreuses affaires de corruption dans lesquelles il est cité. Après une tentative de résistance, l’ancien chef d’État s’est résolu à se constituer prisonnier, dans la nuit du mercredi 7 juillet, à quelques minutes de la fin de l’ultimatum qui lui était notifié. Et depuis, le pays est agité par des scènes de violence inouïe.

Un ancien Président devrait-il être si fragilisé ?

S’il est vrai que certains ex-chefs d’Etat, à l’instar du Tchadien Hissène Habré, pourraient mériter pleinement leur sort, force est de reconnaître que jeter en prison un ancien Président devrait être l’ultime recours. Devrait-on, comme il est désormais de coutume, se cacher derrière le fait que tout le monde est égal devant la loi pour jeter aussi facilement en prison des hommes qui ont conduit la destinée de leur pays pendant des années ? Comment dans ces conditions peut-on espérer procéder à une alternance pacifique et durable en Afrique ? Comment céder facilement son fauteur dès l’instant qu’on est certain de finir ses jours derrière les barreaux ? N’est-ce pas là la porte ouverte à des tentations de confiscation du pouvoir, avec tout ce que cela comporte comme conséquences ?

L’exemple de la France est très édifiant, avec un ancien Président comme Nicolas Sarkozy qui, en dépit des nombreuses casseroles qu’il traîne (affaires Bygmalion, Bettencourt, financement libyen de sa campagne), demeure toujours libre. Sans chercher à faire l’apologie de l’impunité pour les anciens chefs d’État, chacun devant répondre de ses actes, l’Afrique gagnerait à faire de l’emprisonnement d’un ancien chef d’Etat l’ultime recours. Surtout lorsque que parfois, l’emprisonnement ne repose sur aucune base solide, comme ce fut le cas pour Laurent Gbagbo, finalement blanchi par la Cour pénale internationale.

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Par Serge Ouitona, historien, journaliste et spécialiste des questions socio-politiques et économiques en Afrique subsaharienne.
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