De sa connaissance intime de l’Afrique, le grand journaliste et homme de médias français Hervé Bourges vient de tirer un Dictionnaire. Mais pas n’importe quel dictionnaire : un « dictionnaire amoureux », qui restitue au continent les émotions et les expériences qu’il lui a apportées. Une lecture surprenante et souvent bouleversante.
L’ordre alphabétique fait bien les choses : le premier mot est « abacost ». Défini en quelques termes simples : « l’uniforme de la décolonisation ». Abréviation de l’expression « a bas le costume », mot d’ordre vestimentaire imposé par Mobutu au Zaïre… et très vite popularisé. Pour s’affranchir de la culture coloniale, le port du costume et de la cravate est interdit. Et Hervé Bourges de confesser : « entre nous, j’aimais beaucoup ce style, adapté aux climats africains, et au delà : j’endossais d’ailleurs volontiers des vestes abacost à Paris, lors de mon retour d’Afrique, à l’UNESCO puis à RFI.
Ainsi dans cette toute simple définition tout est dit : Hervé Bourges est revenu d’Afrique avec des usages, des cultures, des mémoires différentes dont il est devenu amateur, et même plus qu’amateur : amoureux. Et c’est de toute cette mémoire d’Afrique qu’il se propose de composer, en un livre, la somme raisonnée et fidèle.
Que l’on ne s’y trompe pas, Hervé Bourges n’est pas objectif. Il fait des choix, dont on comprend les raisons, parce qu’il les livre sans ambages. Son Afrique est d’abord celle des milliers d’Africains qu’il a rencontrés, fréquentés, appréciés. Et d’abord en Algérie. En bonne logique, la seconde entrée du dictionnaire revenait de droit à un Algérien. Mais surprise : c’est Ferhat Abbas qui arrive. Le compagnon de Ben Bella et de Bouteflika ne se laisse pas détourner d’une lecture honnête de l’histoire : viendront les pages, nombreuses et belles, sur le premier et l’actuel présidents algériens, avec lesquels Hervé Bourges a travaillé. Mais il ne faut pas négliger celui qui fut le père du mouvement national algérien et président de la première Assemblée Nationale Constituante, même si le FLN l’a très tôt écarté du pouvoir.
Tout Hervé Bourges est là : dans cette double postulation permanente de l’engagement et de la vérité. Chaque fois que l’engagement pourrait tordre la vérité, il se corrige, parfois d’un sourire, et revient aux faits. Conforme en cela aux leçons qu’il a dispensées aux élèves journalistes de « son » Ecole internationale de Journalisme de Yaoundé, la première école de journalisme du continent africain, qu’il a créée au lendemain des indépendances dans un pays, le Cameroun, où il vivra 6 ans. « Ni griot service, ni détracteur stérile », le journaliste est au service de la connaissance, avec pour objectif de dire la vérité des faits pour permettre leur interprétation.
Alors il faut lire les pages sur Alger, dont il écrit : « Alger est une des villes de ma vie », avant de nous entraîner à flanc de collines de la Casbah à la Villa Pouillon en passant par l’Hôtel ex-Saint-Georges, Notre-Dame-d’Afrique ou le Club des Pins… Occasion de croiser quelques figures : Bachir Boumaza, par exemple, qui fut président du Sénat, ou Jacques Vergès, l’avocat qui mit au point la « défense de rupture » par laquelle il parvint à améliorer le sort des prisonniers FLN et probablement même à sauver certains d’entre eux, voués à une condamnation certaine, pendant la guerre d’Algérie.
Mais l’amour de l’Algérie ne doit pas conduire à l’impartialité, et c’est ce que vont prouver les nombreuses pages consacrées au Maroc… Et à ses trois souverains successifs, Mohammed V, Hassan II, Mohammed VI. Le récit se fait presque haletant lorsque est décrite la manière dont Hassan II parvient presque miraculeusement à échapper aux tentatives d’assassinat et de coups d’Etat.
Et c’est encore une caractéristique frappante de ces 856 pages qui se dévorent d’un trait : leur constant renouvellement, la grande variété des formes, la surprise à chaque page tournée, la diversité des approches. Il y a parfois la rigueur et la précision de l’universitaire, parfois la fantaisie du poète, souvent la salive du gourmet, qui invite à jouir de la vie et de l’Afrique dans un même mouvement. L’étonnement frappe le lecteur qui découvre sous un jour nouveau Omar Bongo, Paul Biya, Denis Sassou N’Guesso ou Félix Houphoët-Boigny, devient familier des Noah à Yaoundé comme à New-York, croise l’écrivain égyptien Mahmoud Hussein avec Michèle Cotta et Régis Debray… Et il faudrait en citer tant et tant…
La logique imparable du Dictionnaire facilite les circulations multiples. Et ainsi il devient à la fois ludique et éclairant de traverser le livre en tous sens, en cherchant tout simplement, sur tel ou tel sujet, les guerres, les religions, les personnages historiques, « ce qu’en pense Bourges » -Et toujours c’est avec le même bonheur que l’on comprend mieux, que l’on découvre avec plus ou moins de surprise ce qu’il voulait en dire, mais aussi ce qu’il est important d’en connaître. C’est la double postulation permanente du journaliste amoureux : la rigueur et l’engagement.
Et ce n’est qu’à la longue que l’on devine la stratégie parfaite de séduction qui est derrière cette œuvre : car comment ne pas être séduit par la personnalité qui avoue ici son amour de l’Afrique? Soucieux de ne pas mentir, de ne pas médire, de ne pas tromper… Mais incapable de ne pas trahir, fût-ce d’un sourire, ce qu’il croit, ce qu’il aime, ce qu’il désire? Et comment, de quelque bord qu’on soit, ne pas comprendre et partager?
NB : photo FlachFilm Productions, Dossier du Documentaire Les Braises et la Lumière, consacré à Hervé Bourges, photo prise en marge du tournage au Cameroun.
Le Dictionnaire amoureux de l’Afrique, disponible dans toutes les bonnes librairies, est publié aux Editions PLON.