La démocratie en Afrique est pour le moins imparfaite, au point que certains arrivent à douter de sa capacité à créer de la stabilité et de la richesse sur le continent africain.
Dans son article, Nonso Obikili, regarde objectivement son pays, le Nigeria. Toutes les institutions existent mais malgré tout, la démocratie a du mal à s’y installer. Pourtant, en faisant un comparatif avec l’époque des régimes autoritaires au Nigeria, il incite à voir les avancées. Pour cela, il prend l’exemple du volume de la dette qui était insoutenable du temps des régimes autoritaires. Aujourd’hui, alors que le gouvernement nigérian reprend le chemin de la dette pour combler les manques à gagner dus à la baisse du prix du pétrole, l’auteur incite le parlement et les contre-pouvoirs à s’opposer à cela. S’ils ne le font pas, cela signera selon lui l’illusion démocratique !
Au cours des dernières décennies, les démocraties n’avaient pas bonne presse. Et pour cause, l’expansion économique rapide dans des pays relativement autocratiques comme la Chine, Singapour et la Corée du Sud dans les années 1970, a laissé penser que les démocraties ne seraient peut-être pas les mieux adaptées pour générer une croissance économique rapide.
Les détracteurs de la démocratie trouvent plus commode d’ignorer les autocraties comme le Zimbabwe, le Venezuela et Cuba où les choses tournent horriblement mal. Dans cette perspective, l’avantage comparatif des démocraties est qu’elles empêchent le pire de se produire. Bien qu’elles ne permettent pas trop de flexibilité dans la politique, elles évitent des décisions désastreuses qui conduisent à l’effondrement économique. En substance, les «contrepouvoirs» empêchent, en principe, les décideurs de détruire l’économie par de mauvaises décisions.
Le Nigeria est une démocratie depuis 1999. Au moins, nous avons été une démocratie dans le sens où nous avons des élections, la primauté du droit, et il y a des institutions qui sont censées protéger les Nigérians et préserver leur avenir. Vous pouvez argumenter sur la qualité du fonctionnement de notre démocratie, mais au moins, nous sommes un peu mieux lotis qu’il y a trente ans. Dans le classement des démocraties réalisé par Freedom House, nous affichons un score de 50, ce qui est très loin du score de la démocratie idéale (100), mais n’est pas aussi mauvais que les pays les moins démocratiques qui ont des scores autour de 1. La question se pose alors en termes de capacité de notre démocratie à empêcher les décideurs de prendre les pires décisions. En ce sens, sommes-nous vraiment démocratiques?
Nous pouvons penser à cette question dans le contexte du récent débat sur la dette. Juste un rapide récapitulatif : face à l’effondrement des revenus dû à la chute des prix du pétrole brut en 2014, le gouvernement fédéral a poursuivi sa frénésie de dépenses, en comblant ses déficits avec des dettes. Le résultat a été une accélération de l’endettement au point où les coûts du service de la dette accaparent maintenant environ 60% du revenu national. Insatisfait de la situation précaire, le gouvernement fédéral propose de poursuivre le boom des dépenses et cherche à emprunter 5,5 milliards de dollars supplémentaires auprès de sources externes.
Ironiquement, nous avons été dans cette situation auparavant, lorsque nous n’étions pas une démocratie, à l’époque des dictatures militaires. Dans les années 1980, confrontés au même scénario d’effondrement des prix du pétrole brut, les régimes militaires ont choisi de maintenir la politique de dépenses publiques et de financer le déficit par la dette. Le début des années 1980 était la période des prêts « jumbo » auprès de diverses sources externes, c’est-à-dire des emprunts obligataires de grands montants lancés sur l’Euromarché. En rétrospective, nous savons que ces décisions étaient mauvaises, car les fonds ont été gaspillés et la dette a paralysé les activités du gouvernement au cours des deux décennies suivantes. Le pays ne sortirait pas de ce problème avant l’accord d’annulation de la dette en 2005, presque 25 ans plus tard.
Nous n’étions pas démocratiques à l’époque et les institutions qui auraient dû empêcher cette situation catastrophique n’existaient pas vraiment. Il n’y avait pas de bureau de gestion de la dette pour surveiller et communiquer sur les dettes réelles. Il n’y avait pas d’Assemblée nationale pour contrôler les actions des régimes militaires. La société civile et la presse n’étaient pas non plus en très bonne forme, en termes de capacité à s’opposer et à tenir tête aux régimes militaires. Cette fois-ci, nous sommes démocratiques et avons toutes ces institutions. Allons-nous nous retrouver avec le même scénario, avec des problèmes d’endettement qui paralysent le gouvernement pendant des décennies ? Ou, est-ce que nos institutions fonctionneront mieux pour assurer un résultat différent et meilleur cette fois-ci?
Le gouvernement fédéral pense généralement en cycles de quatre ans, et sur des questions telles que les problèmes d’endettement à long terme, on s’attend à ce qu’il penche vers les avantages immédiats et négligent les coûts à long terme. C’est à ce niveau là que les autres institutions, théoriquement supposées adopter une vision à plus long terme, doivent fonctionner et assurer leur rôle de contre-pouvoirs. Plus précisément, l’Assemblée nationale est l’institution chargée de protéger les intérêts à long terme des Nigérians et elle doit démontrer que nous sommes bel et bien une démocratie, et que nous sommes capables d’éviter les pires décisions.
La question de savoir si ce nouvel emprunt de 5,5 milliards de dollars est économiquement justifié ou pas n’est pas vraiment le principal enjeu. Le vrai enjeu est de faire en sorte que nous ne tombions pas dans la même spirale de la dette que celle que nous avons connu sous les militaires dans les années 1980. Si nous ne résistons pas, cela voudra dire que notre démocratie n’existe que sur le papier.
Nonso Obikili, analyste pour Africanliberty.org.
Article publié en collaboration avec Libre Afrique.