Afrique : la crise remet la décentralisation à l’ordre du jour


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De gauche à droite, Ole Tarayia Kores, Hamidou Yaya Marafa et le ministre marocain de l’Intérieur Chakib Benmoussa à la cérémonie de clôture d’Africités 5

Les collectivités locales réclament toujours davantage de décentralisation. La crise leur donne l’occasion d’attirer encore une fois l’attention des Etats africains, dont une majorité restent frileux en dépit des engagements pris. Ils les ont réitérés au dernier sommet des collectivités locales qui s’est tenu du 16 au 20 décembre au Maroc.

Face à la crise, l’accélération du processus de décentralisation
s’impose sur le continent africain. « L’urgence d’une réponse africaine et locale a été réaffirmée dans la recherche des « réponses des collectivités locales et régionales à la crise globale  » », a souligné la déclaration du cinquième sommet des collectivités locales africaines, Africités 5, qui s’est achevé ce dimanche à Marrakech, au Maroc. Ce n’était pas un coup d’Etat, mais ce sommet avait les allures d’une révolution. Africités 5 a été l’occasion d’envoyer un « message » aux Etats en faveur de plus de décentralisation. « Laissez le pouvoir aux peuples ! », a plaidé le président de Cités et gouvernements locaux unis d’Afrique (CGLUA), le Kenyan Ole Tarayia Kores.

Allouer 10% des ressources de l’Etat aux collectivités locales

En matière de décentralisation, beaucoup d’Etats africains sont attentistes ou craintifs, selon Alioune Badiane, directeur régional pour l’Afrique et les Etats arabes de ONU-Habitat, le programme des Nations Unies pour les établissements humains. Les plus récalcitrants y voient « une perte » de pouvoir alors que la décentralisation est « un élément de politique de développement durable », surtout dans le cadre de la gestion des villes. Si les Etats en définissent les grandes lignes, elles doivent en partager la mise en œuvre avec les autorités urbaines. De même que les ressources publiques. A Marrakech, Alioune Badiane est venu faire un plaidoyer pour obtenir des pays africains qu’ils s’engagent « à donner chaque année 10% de la richesse nationale aux collectivités locales », qu’elles investiraient dans leur développement. « Exceptés le Ghana, précise le responsable onusien, qui est à 7-8%, l’Afrique du Sud (où les cercles concentriques de gouvernance locale) permettent aux autorités locales de mobiliser des ressources, les pays africains consacrent autour de 2 à 3% de la ressource nationale aux autorités locales ». Alors même que le transfert des responsabilités s’accroît. Conséquence : « un double échec dans la mise en œuvre de la décentralisation » parce que les collectivités locales n’ont pas les ressources nécessaires et que les Etats, quand ils transfèrent leurs prérogatives, constatent la carence des autorités locales. L’un des principaux freins à la décentralisation est le manque de ressources d’autant plus que les collectivités locales arrivent difficilement à les mobiliser à leur propre niveau.

De gauche à droite, Ole Tarayia Kores, Hamidou Yaya Marafa et le ministre marocain de l’Intérieur Chakib Benmoussa à la cérémonie de clôture d’Africités 5Aussi, les Etats souhaitent « élargir » et « approfondir  le processus de décentralisation dans lequel tous les pays sont engagés », a indiqué dimanche Hamidou Yaya Marafa, le ministre d’Etat camerounais en charge de l’Administration territoriale et de la Décentralisation et président de la Conférence africaine de la décentralisation et du développement local (Caddel) qui représente les gouvernements centraux. « Il n’y a pas un seul pays africain qui ait remis en cause cette stratégie (…) Il faut l’approfondir avec le maximum d’engagements afin que chaque année, nous puissions constater qu’il y a un pourcentage plus important du budget national, du PIB national qui est géré par les collectivités locales ». Par ailleurs, « contrôle et formation » doivent présider à ce processus qui ne doit pas opposer le développement local et le développement national. « Il faut un Etat fort et il faut des collectivités locales efficaces. », a poursuivi le responsable camerounais. « (Ces dernières) et les gouvernements centraux ont partie liée », a rappelé Jean-Pierre Elong Mbassi, le secrétaire général du CGLUA. Tenter de les opposer, c’est les fragiliser. » Notamment dans la réforme nécessaire de la fiscalité et de la dépense publique en prévision de la mise en œuvre des accords de Doha qui plafonneront à 15% les droits de douane à l’horizon 2020. Des droits qui constituent encore dans beaucoup de pays une part importante des ressources publiques. Les collectivités locales doivent donc travailler en étroite collaboration avec leurs Etats pour assurer les prélèvements les plus économiquement efficaces.

« Si nous voulons une décentralisation opérationnelle (transfert de prérogatives, de ressources et de pouvoir), il est indispensable qu’il y ait des élites locales, a affirmé Hamid Narjiss, président du conseil de la région de Marrakech, en rapportant les résultats des délibérations du sommet . A ce titre, l’accompagnement par l’Etat des élus locaux devient un passage obligé ». Il a ainsi annoncé la création d’un centre d’appui aux collectivités locales africaines qui aura « pour mission le renforcement des capacités, la diffusion des « success stories » et des pratiques de bonne gouvernance ». Une structure qui, espère Hamid Narjiss, « verra le jour le plus tôt possible ». L’objectif affiché des Etats étant, selon Hamidou Yaya Marafa , de rendre les collectivités locales « indépendantes ».

Des autorités locales en quête de plus d’unité

Africités a été également une exortation à l’unité des collectivités locales dont l’organisation souffre encore de quelques dissensions. La question sera l’ordre du jour de la prochaine assemblée de l’organisation qui se tiendra en mars prochain au Nigeria. « Les gouvernements locaux doivent êtres unis parce que nous sommes les représentants du peuple », a insisté le président du CGLUA. D’autant que, selon Alioune Badiane, « les autorités locales africaines ont besoin d’un leadership fort, coalisé, pour faire pression sur les Etats afin que l’esprit et le poids de la décentralisation puissent s’exprimer ».

De gauche à droite, Jean-Pierre Elong Mbassi et Omar Bahraoui, le président de l'Association nationale des collectivités locales du Maroc lors de la cérémonie de clôture d'Africités 5Une décentralisation, aux yeux de l’ancien président ghanéen Jerry Rawlings qui a pris part au sommet, synonyme de lutte contre la corruption. « La plupart des décisions prises par les autorités locales s’appuient sur les priorités de la communauté », justifie Ole Tarayia Kores. De Rabat, un fonctionnaire peut par exemple décider de la construction d’une route parce qu’il a obtenu un financement dans un village où il n’y a pas de voitures. Alors que la priorité est peut-être dans la construction d’une école. » Dans certaines situations, les collectivités locales, plus proches des populations, peuvent ainsi mieux définir les priorités que le gouvernement central.

La décentralisation est en marche, mais il faudra du « temps », analyse Alioune Badiane parce que « les gouvernements ne jouent pas toujours le jeu » à cause des conflits, des luttes internes de pouvoir ou de la simple frilosité à transférer leurs prérogatives. Si à travers le continent, les progrès sont disparates et les bons élèves ne sont pas monnaie courante – on compte parmi eux des pays comme le Maroc (prix Africités 2009 de la décentralisation) -, Africités, selon le responsable Afrique de ONU-Habitat, demeure « le véhicule le plus dynamique » de la décentralisation. Au Maroc, 3 600 participants dont les élus de 47 pays africains et 34 ministres africains l’ont de nouveau emprunté. Prochaine escale : Dakar, en 2012, pour le sixième sommet des collectivités locales africaines.

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