Rejetés, raillés, malmenés, emprisonnés, les membres de la communauté gay en Afrique continuent d’être décimés par le VIH/SIDA et doivent de toute urgence être intégrés dans les programmes de lutte contre l’épidémie, selon un nouveau rapport.
Résultat d’une année de recherches et de rencontres avec des acteurs nationaux et internationaux de la lutte contre le sida et de la défense des droits de minorités sexuelles, le rapport « Off the map », réalisé par l’organisation américaine International gay and lesbian human rights commission (IGLHRC), révèle à quel point «les gouvernements et les programmes internationaux de lutte contre le sida dénient les droits humains élémentaires des personnes ayant des pratiques [homo]sexuelles en Afrique».
«La stigmatisation liée à l’homophobie, le déni de l’homosexualité et les législations qui criminalisent les relations entre personnes du même sexe, tout cela a conduit à rendre encore moins visibles les questions liées à la transmission du VIH entre personnes du même sexe, et a limité de manière drastique l’accès de ces personnes aux services VIH», a dit Cary Alan Johnson, spécialiste principal de l’IGLHRC pour l’Afrique et auteur du rapport.
Le rapport cite un grand nombre de témoignages d’hommes et femmes à qui l’accès aux soins a été interdit du fait de leurs pratiques sexuelles, donnant l’exemple d’un jeune Kényan chassé d’un centre sanitaire parce qu’il avait demandé à être ausculté pour une infection anale.
Pourtant, les quelques études menées auprès des minorités sexuelles ont toutes révélées que ces groupes étaient particulièrement vulnérables à l’infection. Au Sénégal, le taux de prévalence du VIH au sein de la population est estimé à moins de un pour cent, mais il dépasse 21 pour cent parmi les MSM (hommes ayant des relations sexuelles avec des hommes, en anglais), selon une étude nationale.
De manière générale, a dit un expert de l’IGLHRC lors d’une conférence internationale sur le sida à Abuja, au Nigeria, en décembre 2005, «des estimations laissent penser que les taux d’infection au VIH parmi les MSM sont en moyenne quatre à cinq fois supérieurs à ceux du reste de la population.»
Les femmes ayant des relations sexuelles entre elles, bien que généralement moins infectées que les femmes hétérosexuelles, enregistrent également «des taux de séroprévalence bien plus élevés que ceux auxquels on pourrait s’attendre», a souligné le rapport «Off the map» de 124 pages, sous-titré «Comment les programmes VIH/SIDA échouent à prendre en compte les pratiques entre personnes du même sexe en Afrique».
«La vulnérabilité des hommes et femmes ayant des relations sexuelles avec des personnes du même sexe n’est due à aucune prédisposition biologique, mais est le résultat d’un ensemble de violations des droits de l’homme et d’inégalités sociales qui augmentent le risque d’infection au VIH. La discrimination anti-gay alimente l’épidémie de VIH/SIDA en Afrique», a dit le rapport.
Si dans certains pays, les relations entre personnes du même sexe sont tolérées, voire légales, comme en Afrique du Sud, en revanche dans d’autres elles sont passibles de sanctions, allant d’une simple amende à des peines de prison ferme –jusqu’à 14 ans d’emprisonnement au Nigeria – et même jusqu’à la condamnation à mort, notamment dans le cadre de la Chari’ah, la loi islamique, comme au Soudan ou dans les états du nord du Nigeria.
Au Nigeria, les défenseurs des minorités sexuelles se battent depuis un an contre une loi destinée officiellement à interdire le mariage entre personnes du même sexe, mais qui interdit en fait toute relation homosexuelle et criminalise toute personne ou groupe défendant les droits des minorités sexuelles, identifiées comme les hommes et femmes ayant des relations avec des personnes du même sexe, les bisexuels et les transsexuels.
Le Cameroun a également été récemment pointé du doigt et publiquement condamné par le groupe de travail des Nations unies sur les détentions arbitraires pour avoir incarcéré 11 hommes soupçonnés d’être homosexuels pendant plus d’un an. L’un d’entre eux, infecté par le VIH, est mort quelques jours après sa sortie de prison.
Des programmes pour les minorités sexuelles
Pour remédier à cette situation qui constitue un danger non seulement pour les minorités mais aussi pour la population en général –une grande partie des MSM sont des hommes mariés-, le rapport de l’IGLHRC recommande aux gouvernements africains d’harmoniser les législations nationales avec les lois internationales protégeant les droits de l’homme et des minorités sexuelles, et de poursuivre les auteurs d’attaques physiques ou verbales, d’expulsions et d’autres formes de harcèlement contre ces minorités.
Le document recommande également aux gouvernements d’établir des relations directes avec les associations de défense des droits sexuels pour améliorer la prévention de l’infection et l’accès aux soins, et de mettre à la disposition des détenus des préservatifs et autres lubrifiants.
S’adressant au gouvernement américain, le rapport exhorte les autorités à «stopper l’exportation de l’homophobie en supprimant les restrictions sur les subventions internationales liées à la santé reproductive, qui aggravent la stigmatisation contre les minorités sexuelles».
Les bailleurs de fonds, de leur côté, devraient s’assurer qu’ils augmentent les financements accordés à des gouvernements ou des organisations prêts à mettre en place des programmes destinés aux minorités sexuelles, tandis que les organisations sur le terrain doivent s’assurer que ces minorités ne sont pas exclues des messages et des programmes d’éducation sur le VIH/SIIDA, a dit le rapport.
«A moins qu’il n’y ait une augmentation substantielle des ressources, les besoins de moins d’un pour cent des Africains ayant des relations avec des personnes du même sexe seront satisfaits», a estimé le rapport.
Citant le docteur Dela Attipoe, du Programme national de contrôle du VIH/SIDA/IST (Infections sexuellement transmissibles) au Ghana, le rapport a averti que le manque d’attention portée aux pratiques sexuelles entre personnes du même sexe «pourrait anéantir tous les gains enregistrés dans la lutte contre le VIH/SIDA».
Le rapport « Off the map »
Photo: International Gay and Lesbian Human Rights