L’accès à l’eau sera de plus en plus difficile en Afrique dans les prochaines décennies. 75 à 250 millions de personnes auront du mal à satisfaire leur besoin d’ici 2020, selon les dernières prévisions. Principale raison : la forte croissance démographique du continent. Dans l’ouest du Cameroun, le cas de la petite ville de Mbouda dont les autorités ont récemment tiré la sonnette d’alarme, illustre bien le problème. Afrik.com a interrogé Elvis Tangwa Sa’a, le responsable de l’ONG Knowledge for All (KFA) qui opère sur le terrain.
Dans la petite ville de Mbouda, dans l’ouest du Cameroun, se procurer de l’eau pour ses besoins quotidiens relève du parcours du combattant. Les autorités de cette localité, frappée par une grave pénurie d’eau, ont récemment lancé un appel aux dirigeants du pays. Le système d’alimentation de Mbouda a été conçu pour répondre aux besoins de 50 000 habitants. La ville compte aujourd’hui près du double. A cela s’ajoute le gaspillage des ressources en eau de cette petite ville. L’exemple de Mbouda confirme les problèmes d’approvisionnement en eau, dans le monde notamment dans les pays pauvres, que prédisent les experts pour les prochaines décennies. Les principales raisons avancées sont : la mauvaise gestion des ressources naturelles en eau, le changement climatique, mais surtout la démographie galopante. Selon un rapport des Nations unies publié lundi, à l’ouverture du 5e Forum mondial de l’eau à Istanbul, en Turquie, la population mondiale, qui se chiffre à 6,6 milliards aujourd’hui, croît de près de 80 millions par an. Conséquence : les besoins en eau dans le monde augmente de 64 milliards de mètres cube d’eau portable par an et ils sont plus criants dans les pays africains.
Afrik.com : Comment se traduit concrètement la pénurie de l’eau dans la ville de Mbouda?
Elvis Tangwa Sa’a : Mbouda est une ville de près de 100 000 habitants. Concrètement, il n’y a plus d’eau dans les robinets tout comme dans les réservoirs de la société nationale des eaux, la Camerounaise des eaux. A la station de captage de Balatchi située à une dizaine de kilomètres au sud de la ville de Mbouda, le lit de la rivière est sec. Les populations s’approvisionnent dans les sources d’eau naturelle de la ville, dont la plupart ne sont pas aménagées. Les gens se lèvent dès 4h du matin pour aller faire la queue dans les points d’eau où on voit encore des queues vers 22 heures dans la nuit. Certains points d’eau comme la source dite « Des 24 escaliers » sur la route de Bamesso sont monopolisés par des gros bras qui sont les seuls à puiser. Il faut leur donner 400 F CFA (environ 60 centimes d’euros) pour qu’ils vous puisent un bidon de 20 litres. Les plus nantis prennent leur voiture pour aller puiser l’eau dans les fûts à Bafoussam. Le médecin chef du service de santé de district de Mbouda a déclaré, samedi 14 mars, que des cas de diarrhée avaient déjà été enregistrés dans les formations sanitaires de la ville. Le maire de Mbouda a loué un camion citerne avec lequel il va puiser l’eau à Bafoussam, pour ensuite la distribuer aux populations. La distribution se fait dans une bousculade incroyable.
Quelques chiffres
340 millions de personnes n’ont pas accès à l’eau potable.
Dans le monde, près de 3 millions de personnes meurent chaque année de maladies liées à une eau souillée. Ces décès surviennent essentiellement dans les pays pauvres.
Seulement 5% de l’aide au développement est destiné aux problèmes d’accès à l’eau.
1,6 million de vies pourraient être sauvées chaque année si les conditions d’accès à l’eau potable étaient améliorées, selon les Nations unies.
La consommation journalière d’eau à usage domestique est de 10 à 40 litres par habitant en Afrique alors qu’elle est de 600 litres par habitant en Amérique du Nord et au Japon, entre 250 et 350 litres en Europe, entre 50 et 100 litres en Asie et en Amérique du Sud.
Afrik.com : Qu’est ce qui explique cette pénurie d’eau ?
Elvis Tangwa Sa’a : La pénurie est le résultat d’une absence d’anticipation de la part des autorités. Par exemple, notre association, Knowledge For All, a lancé une alerte en février 2003. Mais personne n’a réagi. Les 222 hectares de réserve forestière des monts Bamboutos ont été presque entièrement accaparés par des individus pour des activités agricoles et pastorales. Bien que les monts Bamboutos [situés près de la ville de Mbouda, Ndlr] soient un château d’eau, il n’y existe pas de projet gouvernemental de gestion durable des ressources naturelles, comme c’est le cas avec le mont Cameroun, le mont Oku, le mont Manengoumba, le mont Mbappit et bien d’autres.
Afrik.com : Que font les autorités pour résoudre ce problème?
Elvis Tangwa Sa’a : Le ministre en charge de l’eau était à Mbouda le 14 mars dernier. Une panoplie de mesures sont envisagées. Prospections géophysiques aux environs immédiats des réservoirs pour réaliser des forages destinés à stocker l’eau et la mettre dans les bacs de traitement, construction en amont du site de captage de Balatchi d’un barrage de retenu d’eau pour augmenter la capacité de stockage de ce bassin, la construction sur la branche de la Mifi (un fleuve, ndlr), de Bamesso d’une station de pompage pour amener l’eau à Mbouda…
Mais encore une fois, la pénurie résulte d’une absence d’anticipation de la part des autorités compétentes.