Un plan d’action commun pour lutter contre l’immigration clandestine, c’est le fruit de la conférence ministérielle euro-africaine qui s’est tenue les 10 et 11 juillet derniers à Rabat, au Maroc. Un programme qui déçoit la société civile. Cette dernière estime, entre autres, qu’elle fait primer la sécurité des frontières européennes.
La conférence ministérielle euro-africaine sur la migration et le développement, qui s’est déroulée du 10 au 11 juillet et rassemblé plus d’une centaine de pays à Rabat, au Maroc, s’est soldée par l’adoption d’un plan d’action. Son objectif : lutter contre l’immigration clandestine. Une coopération plus accrue entre les pays africains et européens, en matière de contrôle des frontières maritimes et terrestres, et la réduction de la pauvreté, par l’accroissement de l’aide au développement, en sont les grands axes. Ce programme prévoit ainsi la mise en place d’un observatoire euro-africain des migrations, des procédures de rapatriement plus souples dans le souci du respect de la dignité humaine, des actions de sensibilisation auprès de la jeunesse africaine afin de l’avertir des dangers de l’immigration clandestine. Et le renforcement de la coopération régionale en associant, par exemple, les efforts des municipalités et des entreprises pour combattre la pauvreté en Afrique par la croissance économique.
Pour la société civile, ce programme « trop vague » ne saurait permettre de lutter efficacement contre l’immigration clandestine. « Nous sommes déçus et assez choqués que la question migratoire soit réduite à un problème alors que c’est un phénomène tout à fait naturel », explique Brigitte Espuche, chargée des relations extérieures de l’Association pro Derechos Humanos de Andalousia (APDHA) (Espagne). Selon elle, dans ce plan d’action, la question de la migration est limitée à son aspect sécuritaire. « On traite les conséquences – ce qu’ils appellent « l’immigration clandestine » – au lieu de traiter les causes » d’une situation dramatique pour des milliers de personnes. Ce sont déjà 10 000 personnes, cette année, qui ont tenté l’aventure européenne à leurs risques et périls. Brigitte Espuche regrette, par conséquent, cette « politique dictée par les pays européens » tout en n’excluant pas la responsabilité des pays du Sud qui ont accepté de la valider. C’est « sans surprise », constate-t-elle, que les responsables politiques n’ont pas tenu compte des propositions faites par la société civile, qui s’est réunie le 30 juin et le 1er juillet derniers à Rabat, en prélude à la rencontre ministérielle.
La migration : un phénomène naturel
Quant à ce qui est de sensibiliser les jeunes Africains, premiers candidats au départ, comme l’envisage le programme adopté au Maroc, « notre devoir est de donner l’information pour les prévenir des risques qu’ils encourent » en tentant cette aventure de l’émigration dans des conditions aussi périlleuses. « Mais nous n’avons pas le droit, alors que nous avons la liberté de circuler, d’entraver la leur. Nous ne sommes pas confrontés aux réalités qui sont les leurs ». En d’autres termes, prévention mais pas dissuasion. « Qui sommes-nous, conclut Mme Espuche, pour donner des leçons ? »
Le plan d’action de Rabat, selon Redouane Saadi, conseiller régional pour l’Afrique du Nord et le Moyen-Orient sur les questions migratoires à l’Organisation internationale pour les migrations internationales (OIM), « allie les impératifs pragmatiques liés à la gestion des frontières et des flux et les raisons qui sont à l’origine du départ des migrants. Entre 95 et 96 % d’entre eux sont des migrants économiques. Il faut comprendre cette réalité des choses ». Dans ce contexte, le plan d’action adopté à Rabat ne saurait être efficace que si les pays relèvent le défi, « en se mettant au travail, d’appliquer les points sur lesquels les ministres se sont mis d’accord » au Maroc. Selon le responsable de l’OIM, le propos ne peut être en aucun d’arrêter les migrations, d’où l’inadéquation d’une politique sécuritaire. « Chaque fois que cela a été le cas, nous avons assisté, un peu partout dans le monde, à une recrudescence du trafic des êtres humains. » Il s’agit plutôt de « bien gérer » les flux migratoires en les rendant notamment plus fluides pour éviter qu’ils soient « source de dysfonctionnements ». C’est aussi à une évolution des mentalités que Redouane Saadi appelle. La migration ne saurait et ne devrait être associée à la misère, quand il est avéré qu’elle est « une source de richesse aussi bien pour les pays de départ que les pays d’arrivée ».