A priori, la problématique africaine, dans la galaxie de ses facettes les plus décisives et les plus urgentes, déploie un besoin qui jaillit de ses tréfonds. Tout être, quel qu’il soit, nourrit un désir inaliénable de se réaliser. Ceci, parce que, plus qu’une contingence que l’on ne saurait balayer du revers de la main, la vie est à prendre au sérieux. Impossible d’élaborer ici une distanciation coupable de l’utopie – sans fourberie – du commun qui instaure et édifie toute l’architecture humaine.
A la suite de ce qui précède, il s’agit proprement de se poser à distance d’une banalisation anthropologique et historique qui suggère définitivement le refus d’être. Bien entendu, une telle détermination est appelée à se décliner en possibilisations réelles (philosophie concrète). De toute façon, tous les philosophes, de l’Antiquité à la contemporanéité, interprètent le monde ou le leur en particulier – Europe, Asie, Amérique ou Afrique – à partir du réel insubmersible. En dehors des hordes de spéculations outrageuses, le réel est à saisir, à regarder dans son ampleur intégrale ; c’est-à-dire sous toutes ses coutures. Trivialement donc, il s’agit de voir la vie en face, de l’apprivoiser en pleine connaissance.
Ainsi, vivre n’est pas tant une vulgaire ou quelconque présence au monde mais un (re)déploiement, une effectuation résolue au-delà des considérations idéologiques ou culturelles. Une présence au monde a ainsi vocation de dépasser sa simple présentation ou représentation.
Or toute réalisation authentique n’est possible qu’à partir d’une radicalisation dont la souveraineté en explicite le pro-jet. Ce dernier se définit ici comme projection de sa conscience au monde. La notion de souveraineté est inscrite au centre de l’existence africaine secouée dans l’histoire de ce même monde. Habituellement, il est marqué par le signe de la domination. Certes, l’histoire humaine globale semble se saisir à travers le prisme de l’hégélianisme dit de droite. Ce qui n’est pas moins étroit au regard de la complexité du réel. A contrario, cette même histoire n’est pas non plus à promouvoir à partir d’un hégélianisme dit de gauche. Clairement, le résultat ne serait absolument pas différent de celui que sécrèterait l’horizon précédent. Les limites du marxisme, au-delà de sa pertinence analytique, est là pour le démontrer. En Afrique, comme partout ailleurs, un au-delà de ces perspectives s’avère envisageable.
Il est vrai qu’il est impossible de poser le problème africain, d’une manière générale, sans rappeler cette évidence de la domination historique passée, beaucoup plus récente ou furieusement actuelle. Mais force est d’admettre qu’il existe au moins deux manières de l’évoquer : d’abord la victimisation, ensuite le défi. Ces deux facettes ne se posent pas comme deux extrêmes même si elles diffèrent fondamentalement. Il y aurait pire. La victimisation a ceci de spécifique qu’elle adoube inconsciemment l’infériorisation et en instaure une détermination psychologique permanente. On se définirait alors comme tel (c’est-à-dire victime) et l’on se profilerait dans une subordination qui se décline sous son mode d’être au monde. Le risque ici est celui d’une éternisation non pas d’un désir absurde d’être abrité sous la toile d’une remorque paradoxalement confortable, mais celui d’un rejet asymétrique de pouvoir se projeter réellement dans le champ de l’existence universelle. Convoquer sans cesse une telle subordination asphyxie et détériore le désir d’être dans une perspective à la fois ontologique, phénoménologique et philosophique.
L’idée de souveraineté qui domine l’imaginaire africain actuel n’est pas toujours bien reçue en dehors de son espace. A son intérieur, des suppôts du statu quo partagent tout aussi ce qu’il convient de nommer : la peur viscérale d’un changement utile. Majoritairement, la souveraineté est perçue comme une subordination à d’autres puissances que celles reconnues jusqu’à présent. Ce regard est dans toute son ampleur dix-neuvièmiste parce qu’elle obéit à une évidence immédiate et surtout à la maxime selon laquelle : « La nature a horreur du vide ». Or l’Africain du XXIe siècle est un sujet différent qui lorgne dans l’horizontalité plutôt que dans la verticalité à laquelle l’histoire a voulu le confiner.
Le continent africain a un réel besoin de souveraineté et il l’exprime. Or, historiquement, souveraineté et nationalisme apparaissent comme deux réalités conceptuelles embrigadées dans une apparente synonymie. Mais le déroulement de l’histoire s’affranchit d’une telle identification rapide et grotesque. La monnaie, pour un pays par exemple, participe de l’éclairage autour de telles confusions. Ceci édifie amplement l’esprit. Il n’y a aucun nationalisme à l’idée qu’une nation comme la Suisse revendique l’existence et l’usage du Franc. Il en va de plusieurs autres à travers le monde. D’ailleurs, la nostalgie des monnaies nationales en Europe ne risque-t-elle pas de se muer en effectivité brutale ou progressive au grand dam de l’Euro ? Persistons de souligner que la frontière entre nationalisme et souveraineté n’est pas une fiction.
A l’inverse de ce qui adouberait une telle confusion entre ces deux concepts politiques, il faut faire advenir l’idée qu’une authentique souveraineté est d’abord marquée par certains attributs. Elle est saine lorsqu’elle est ouverte et à la fois autonome. Autrement dit lorsque l’on peut respirer ou s’inscrire dans le va-et-vient (inspiration-expiration). Au demeurant, une vraie autonomie engage un travail sur soi-même. Et c’est bien la perspective qui s’ouvre à l’Afrique pour qu’elle assume ses propres aspirations profondes plutôt que de recevoir continuellement des leçons émanant des autres qui persistent d’en savoir mieux qu’elle sur elle-même.