Les prostituées d’Afrique du Sud et du Zimbabwe n’appliquent pas les mêmes tarifs. Alors que les premières demandent à leurs clients des espèces sonnantes et trébuchantes, les secondes troquent leurs faveurs contre des denrées de première nécessité.
La frontière entre l’Afrique du Sud et le Zimbabwe est plus qu’une simple démarcation internationale. Elle détermine également la méthode de paiement des travailleuses du sexe : d’un côté de la frontière, ce paiement se fait en argent liquide, alors que de l’autre, les biens de consommations sont privilégiés.
La ville frontalière de Musina, située du côté sud-africain, est un point de passage des camions dans la région et également un lieu fréquenté depuis longtemps par les travailleuses du sexe, pour qui les longues heures d’attente que les chauffeurs routiers doivent passer en attendant d’obtenir le feu vert des douanes constituent une opportunité.
« Les femmes nous tentent, elles viennent ici avec leur jupes courtes et leurs jeans serrés et nous demandent si on veut passer un bon moment », a dit à IRIN/PlusNews un chauffeur routier zimbabwéen, qui n’a pas souhaité être identifié. « Bien sûr, en tant qu’hommes, parfois c’est difficile de dire ‘non’. Je me protège à chaque fois que j’ai une relation sexuelle avec une femme. »
La transmission du VIH chez les chauffeurs routiers a été reconnue comme un important facteur de propagation du virus et, depuis 1999, Musina est la cible de campagnes d’éducation sur le VIH/SIDA financées par l’Agence américaine pour le développement international (USAID), dans le cadre de son projet « Couloirs de l’espoir ».
‘Shayela nge condom’ (« Conduis avec un préservatif », en langue zoulou), dit un panneau mural près de la file des taxis de Musina, tandis qu’une autre peinture murale prodigue des conseils comme « Jouez la sécurité, le sida tue » et « Ne tentez pas le sort, utilisez toujours un préservatif ».
Susan –l’une des travailleuses du sexe qui fréquentent les parkings de camions, faisant payer 50 rands (6,5 dollars) pour un « petit moment » et 150 rands (19,5 dollars) pour la nuit- a expliqué à IRIN qu’avec le nombre croissant de travailleurs du sexe, cela devenait difficile d’obtenir ces tarifs.
« Parfois, je peux fixer le tarif à 100 rands (13 dollars) la nuit. C’est mieux que rien –il y a beaucoup de femmes ici », a-t-elle dit.
Un autre chauffeur routier zimbabwéen, qui s’est présenté sous le nom de Dube, a affirmé qu’il y avait désormais beaucoup de travailleuses du sexe venues du Zimbabwe. Il a reconnu ne pas savoir où les routiers pouvaient trouver des préservatifs gratuits.
« La situation au Zimbabwe [fait qu’on] voit de plus en plus de femmes essayer de se faire de l’argent facile en nous offrant leurs services [en Afrique du Sud]. Elles veulent juste l’argent qui leur permettra de prendre soin de leur famille une fois de retour à la maison », a-t-il dit.
« Les femmes en Afrique du Sud sont chères, mais de l’autre côté de la frontière au Zimbabwe, tu peux passer du bon temps pour quelques morceaux de savon, et des biens comme du sel ou du sucre », a-t-il ajouté.
L’économie zimbabwéenne est à l’agonie, avec un taux de chômage de 80 pour cent et un taux d’inflation annuel estimé officiellement à 2,2 millions pour cent, bien que des économistes indépendants l’évaluent à environ 12 millions pour cent.
L’Afrique du Sud, l’un des moteurs économiques du continent, est devenu attrayante pour les Zimbabwéens en quête de travail et d’une échappatoire à la pauvreté oppressante dans leur pays. Plus de trois millions de Zimbabwéens –environ un quart de la population- auraient quitté le pays depuis 2000, pour d’autres Etats de la région ou beaucoup plus loin, vers l’Angleterre, le Canada et l’Australie.
Le projet de recherche ‘Couloirs de l’espoir’, lancé en 1999 avant la crise au Zimbabwe, souligne que « la vulnérabilité face au VIH des jeunes femmes, y compris les écolières et les jeunes vendeuses, qui cherchent un revenu tiré du commerce du sexe ou des relations sexuelles occasionnelles avec des chauffeurs routiers et d’autres groupes d’hommes plus âgés et avec des moyens financiers, est douloureusement élevé ».
Selon le document, il y aurait au moins 400 travailleuses du sexe permanentes, travaillant à plein temps, et 300 autres de passage, qui viennent en ville en période d’affluence. « Les plus jeunes sont âgées de 15 ans. La plupart des travailleuses du sexe logent dans des campements informels ou des banlieues pauvres et se rendent à la frontière pour solliciter les chauffeurs routiers sur les emplacements [où ils se trouvent] ».
Photo : Taurai Maduna/IRIN