L’Afrique du Sud est sous le choc après la diffusion d’une vidéo dégradante où des étudiants blancs humilient des employés noirs pour protester contre la nouvelle politique de leur université. Une politique qui prône la mixité raciale dans les résidences universitaires. L’université du Free State entend poursuivre les étudiants accusés, qui nient l’acte jugé raciste.
L’université sud-africaine de Free State (Centre) se retrouve au cœur d’un bien sombre scandale. En septembre, quatre étudiants blancs ont filmé cinq employés noirs sur le campus de cet établissement de Bloemfontein. Les images vues par le correspondant de la BBC, récemment diffusées sur Internet, décrivent ce qui semble être un simple bizutage. C’est sans compter la dernière séquence.
Les victimes « traumatisées »
Les employés doivent manger une mixture peu ragoûtante dans laquelle a uriné, à leur insu, l’un des jeunes. Le commentaire off de la vidéo délivre ce message, en afrikaans : « Autrefois, les Boers (Afrikaners, ndlr) vivaient en paix ici sur l’île de Reitz, jusqu’à ce qu’un jour les moins avantagés découvrent le mot « intégration » dans le dictionnaire ». Une allusion, semble-t-il, à la politique de l’université qui prônait plus de mixité sur le campus pour la rentrée de janvier 2008. Selon cette politique, les étudiants de couleur étaient encouragés à intégrer la résidence blanche de Reitz, et les Blancs à s’installer dans celle où se regroupent leurs pairs de carnation plus foncée.
Lorsque la direction de l’université a reçu la vidéo mardi, elle l’a visionné avec les victimes présumées. « Les employés avaient fait ce que leur avaient dit les jeunes en pensant qu’ils voulaient s’amuser. Ils n’avaient pas vu le montage final et, en le voyant, ils ont été traumatisés, ils étaient très émus. On leur a donné quelques jours de repos et elles reçoivent un soutien psychologique », raconte Anton Fisher, directeur de la communication de l’établissement.
Vidéo « extrêmement offensante et raciste »
Les étudiants incriminés ont affirmé que tout cela n’était qu’un jeu et qu’ils n’avaient pas uriné dans la nourriture, bien que les images disent l’inverse. L’université ne croit pas en leur version. Sur son site, elle qualifie la vidéo d’« extrêmement offensante et raciste ». « Nous avons banni deux des étudiants du campus. Les deux autres avaient terminé leurs études chez nous », explique Anton Fisher. « Nous allons porter plainte cette semaine ou la semaine prochaine, poursuit-il, en affirmant que c’est la première fois qu’ils doivent gérer de tels incidents raciaux. Nous attendons que nos avocats nous conseillent sur la plainte que nous devrions porter. Nous ne tolérerons pas le racisme, nous allons nous battre. »
Le lendemain de la réception de le film, des étudiants et des personnels de l’université ont manifesté contre le racisme. Des pierres ont été jetées contre la résidence Reitz, la police a dû intervenir à coups de grenades assourdissantes et cinq personnes ont été interpellées. Jeudi prochain, le Congrès des étudiants sud-africains (Sasco) entend organiser une manifestation nationale, notamment avec l’aide d’associations et de syndicats d’étudiants locaux. « Nous finalisons les détails de la marche ce week-end, mais la principale manifestation se tiendra à Johannesburg », confie Siziwe Vamva, secrétaire général du Congrès.
Trouver les causes des « tensions raciales »
Plusieurs responsables politiques ont par ailleurs condamné la vidéo. Le leader de l’Alliance démocratique, principal parti d’opposition, a déclaré que l’affaire sera soumise au Haut Commissariat des Nations Unies pour les droits de l’Homme afin qu’une enquête établisse « les causes des tensions raciales à l’université et dans les autres institutions qui font face à des défis similaires d’intégration », indique SAPA, l’agence de presse sud-africaine. Cette requête va dans le sens des revendications de Sasco. Car, précise Siziwe Vamva, ce qui s’est produit dans l’université du Free State « n’est pas un cas isolé ». Preuve que, quatorze ans après l’abolition du régime raciste et ségrégationniste de l’Apartheid, la mixité ne va pas de soi.
« En 2006, dans la même université où il a actuellement des problèmes, des élèves ont agité l’ancien drapeau de l’Afrique du Sud, celui utilisé sous l’Apartheid », se souvient Siziwe Vamva. Son organisation avait condamné l’acte, dont la direction assure n’avoir pas eu connaissance. « On ne peut pas croire une telle chose ! Il est impossible qu’ils n’aient rien vu ! », rétorque le responsable associatif.
La diffusion de la vidéo pourrait « servir » les intérêts du président Thabo Mbeki. Début février, lors de son discours à la nation, il avait annoncé sa volonté de faire réciter aux écoliers un serment de loyauté pour qu’ils prennent conscience des « injustices du passé ». Ce projet, qui pourrait entrer en application en mars, crée la controverse. Certains estiment notamment que cela va rouvrir les blessures causées par les horreurs de l’Apartheid. Mais force est de constater que les plaies n’ont jamais vraiment cicatrisé.