Plus de 23 millions de Sud-Africains étaient appelés à voter mercredi lors des élections générales et à choisir leur futur président. Le Congrès national africain (ANC), selon les résultats partiels, est en tête du scrutin. Ce qui assure à son leader, Jacob Zuma, d’accéder à la magistrature suprême. Thierry Vircoulon, chercheur associé au programme Afrique sub-saharienne de l’Institut français des relations internationales (Ifri), est actuellement en Afrique du Sud où il suit ce rendez-vous démocratique. Entretien.
Les Sud-Africains ont voté mercredi pour renouveler l’Assemblée nationale et les parlements provinciaux. Le futur président de la République sud-africaine sera issu des rangs de la formation politique qui arrive en tête des élections générales. Les premiers résultats partiels donnent l’ANC victorieuse avec plus de 65% des suffrages exprimés. Son leader Jacob Zuma sera confirmé le 6 mai prochain dans sa fonction de président de la République par le Parlement. Le quatrième président de la République sud-africaine prêtera serment trois jours plus tard.
Afrik.com : Vous êtes en Afrique du Sud. Comment se sont déroulées ces législatives ?
Thierry Vircoulon : Les élections se sont déroulées hier dans le calme. Aucun incident majeur n’a été enregistré. Pas de problème non plus au niveau de l’organisation, bien rodée, à l’exception d’une pénurie de bulletins de vote dans quelques bureaux. Nous attendons maintenant la fin du dépouillement.
Afrik.com : Le meurtre mercredi d’un responsable du Congrès du peuple (Cope), parti dissident du Congrès national africain (ANC) qui a pris part au scrutin, n’est pas venu ternir ce bilan globalement positif, même si l’on dit au sein du Cope qu’il est politique ?
Thierry Vircoulon : Non, bien que cela soit triste et déplorable. Il n’y a pas plus de polémique autour de ce meurtre que de ceux qui se sont produits deux ou trois jours avant les élections. On avance bien souvent qu’ils ont des motifs politiques sans pouvoir en apporter la preuve.
Afrik.com : Selon les observateurs, on devrait enregistrer un fort taux de participation à ce scrutin, près de 80%. Avez-vous senti, vous qui êtes sur place, que tout le monde souhaitait vraiment voter ?
Thierry Vircoulon : Le taux de participation sera plus élevé qu’en 2004 et pourrait être équivalent à celui de 1994. Les gens font la différence entre cette élection et celle de 2004 qui n’avait pas beaucoup d’enjeu.
Afrik.com : Les enjeux sont-ils plus importants parce que le paysage politique s’est etoffé, notamment parce que la dissidence au sein de l’ANC a donné naissance au Cope ?
Thierry Vircoulon : Trois raisons motivent cet engouement. D’abord, sur le plan social, les gens sont mécontents et ils veulent l’exprimer en allant voter. Ensuite, la naissance du Cope suscite un certain intérêt au sein de la majorité noire. Enfin, la personnalité de Jacob Zuma et ses démêlés judiciaires, durant ces trois dernières années, ont polarisé le débat politique.
Afrik.com : Les déclarations de Desmond Tutu, qui font écho à beaucoup d’autres qui critiquent de façon véhémente le bilan de l’ANC, influencent-elles l’opinion publique ?
Thierry Vircoulon : Il y a beaucoup de pauvres dans les townships qui sont mécontents. De même que les intellectuels. Beaucoup ont déjà été déçus par l’ANC. Avant 2000, les intellectuels blancs qui étaient proches de l’ANC l’ont vite été. A ceux-là, s’ajoutent maintenant des intellectuels noirs. Néanmoins, les déclarations de Desmond Tutu n’ont pas démobilisé les gens, à commencer par lui-même. Le prix Nobel avait dit qu’il n’irait pas voter mais il l’a fait hier, comme tout le monde. Ces propos confortent surtout ceux qui sont opposés à Jacob Zuma, mais ils ne sont pas de nature à faire basculer ses partisans. Les Sud-Africains ont une vision rationnelle : ils font une différence très nette entre la personnalité du chef du parti et la formation politique. Les gens admettent qu’ils ne sont pas contents de la façon dont l’ANC dirige le pays, mais ils ne voteront pas pour autant contre lui. Beaucoup sont dans cet état esprit. Par ailleurs, ils sont fidèles à l’ANC parce qu’ils ne sont pas convaincus par le Cope. Zackie Achmat, figure de la lutte contre le sida en Afrique du Sud, qui a été très virulent sur la façon dont l’ANC a traité la pandémie et qui essaie de trainer le gouvernement en justice, est un bon exemple. Il a listé tout ce qui n’allait pas à l’ANC tout en déclarant qu’il voterait pour lui.
Afrik.com : Que représente cette élection pour l’ANC dont la popularité est en déclin et dont le leader, Jacob Zuma, demeure très controversé ?
Thierry Vircoulon : Certainement pas un défi électoral parce qu’ils ne vont pas perdre ces élections, tout le monde le savait. Ce qui se joue, c’est plutôt l’ampleur de la majorité, à savoir si l’ANC arrive à obtenir deux tiers des sièges au Parlement.
Afrik.com : La controverse autour de Jacob Zuma contribue-t-elle à affaiblir réellement son parti ?
Thierry Vircoulon : Je ne pense pas, mais les résultats définitifs du scrutin nous donneront la réponse. L’ANC devrait à mon avis récolter entre 60 et 70% des voix. Ce ne sont pas les scores d’un parti affaibli. En réalité, c’est plutôt l’image morale de l’ANC qui est ternie.
Afrik.com : Quels sont les principaux défis qui attendent Jacob Zuma dans un pays où le chômage a atteint des records ?
Thierry Vircoulon : L’économie reste le principal défi de Jacob Zuma. La situation politique et économique de l’Afrique du Sud n’est pas excellente. Il doit calmer le mécontentement social qui se manifeste régulièrement depuis deux ans dû aux inégalités sociales, au niveau de chômage trop important, aux problèmes que rencontrent les plus pauvres pour accéder aux services publics censés les aider.
Afrik.com : L’Afrique du Sud va entrer en récession à cause de la crise. Comment voyez-vous l’avenir de l’Afrique du Sud sous la présidence Zuma ?
Thierry Vircoulon : Tout le monde est en récession, ce n’est pas très grave. Un plan de relance est en préparation. L’Afrique du Sud va certainement contracter un prêt auprès de la Banque mondiale et un certain nombre de dépenses seront dirigées vers les problèmes sociaux les plus aigus.
Afrik.com : Les craintes exprimées par les acteurs économiques sur les éventuelles dérives populistes de Jacob Zuma sont-elles fondées et toujours d’actualité ?
Thierry Vircoulon : Ce qui inquiète les milieux d’affaires, ce sont essentiellement les questions de propriété foncière, la redistribution des terres, un déficit public trop important…
Avant la Coupe du monde, il ne se passera certainement pas grand-chose. Après, cela dépendra de l’équilibre interne de l’ANC parce que les milieux d’affaires ont leurs relais à l’intérieur du parti. J’ai rarement vu un homme politique inquiet du rétablissement de la peine de mort, une mesure qui va être proposée par le gouvernement de Jacob Zuma. Le débat promet d’être houleux car les abolitionnistes envisagent de saisir la Cour suprême.
Thierry Vircoulon a publié en 2004 L’Afrique du Sud démocratique ou la réinvention d’une nation chez L’Harmattan.