Les Sud-africains ont commémoré ce vendredi les 30 ans du soulèvement étudiant de Soweto au sud-ouest de Johannesburg, réprimé dans le sang par le régime d’Apartheid. Une marche d’une centaine de personnes, à la tête de laquelle se trouvait le Président Thabo Mbeki, était organisée dans les rues du township, en mémoire de cette journée sanglante du 16 juin 1976. Premier jour d’une révolte qui a fait 575 morts jusqu’en février 1977 et qui a été le point d’orgue de l’intensification du mouvement de lutte contre l’Apartheid.
Plusieurs centaines de Sud-africains sont descendus vendredi dans les rues de Soweto, au sud-ouest de Johannesburg. Derrière leur Président, Thabo Mbeki, ils se sont recueillis en mémoire du soulèvement étudiant du 16 juin 1976, réprimé dans le sang. Suivant le parcours emprunté 30 ans plus tôt par les lycéens, le cortège est parti de l’école Morris Isaacson, un des hauts lieux de la rébellion. Il s’est ensuite dirigé cinq kilomètres plus loin, au mémorial Hector Pieterson, première victime à treize ans de cette journée sanglante. La photo du garçon tué d’une balle dans le dos tirée par la police, porté par un de ses camarades en pleurs, a fait le tour du monde. La marche s’est terminée par un grand rassemblement de plus de 50 000 personnes dans un stade du township où le chef de l’Etat s’est exprimé. « Nous saluons les jeunes de 1976 car ils ont laissé un héritage de courage et de détermination », a-t-il déclaré. Saluant « l’action héroïque » de ces écoliers qui ont « accéléré la marche vers la liberté », il a appelé les jeunes Sud-africains à « suivre leur exemple d’engagement sans faille » alors qu’ils sont confrontés aux défis de la pauvreté, du chômage, de l’alcool, de la drogue et du sida. Ce jour est officiellement commémoré depuis 1995, un musée lui est même dédié depuis 2002.
Le 16 juin 1976, 15 000 à 20 000 étudiants décident de défiler pacifiquement dans les rues de Soweto pour protester contre la décision du gouvernement d’imposer l’afrikaans comme langue d’enseignement dans les écoles noires. Cette dernière est perçue comme la langue de l’oppresseur car elle est parlée par ceux qui ont instauré l’Apartheid, les Boers (descendants des premiers colons Hollandais en Afrique du Sud). La répression policière est aussitôt féroce, les forces de l’ordre ouvrent le feu sur les jeunes manifestants. La manifestation tourne très vite à l’émeute, 23 jeunes sont tués et 220 d’autres blessés. Le mouvement d’insurrection va ensuite se propager dans d’autres villes du pays et va durer jusqu’au début de l’année 1976, faisant 575 morts au total. Très vite, les revendications ne concernent plus que la simple suppression de l’afrikaans. Les Noirs des townships se révoltent contre le régime de l’apartheid, qui les opprime, bafouent leur liberté, les contraint à une éducation médiocre dont le seul but est d’en faire de bons ouvriers très peu qualifiés, et les humilie quotidiennement.
« Il y avait beaucoup d’excitation, beaucoup de joie. C’était la première fois qu’une chose pareille se passait dans le pays, que des enfants manifestaient », se souvient un ancien leader étudiant, déjà présent 30 ans plus tôt, cité par AFP. « Les policiers ont commencé à tirer. Ils tiraient au hasard. Il y avait des bruits de coups de feu ininterrompus. Les étudiants ont réagi, ils s’en sont pris à tout ce qui symbolisait le gouvernement. Cela a été le chaos jusqu’à très tard dans la nuit. Les gens couraient dans les rues pour chercher leurs enfants.» Des bâtiments officiels, des voitures et les symboles officiels de l’Apartheid ont effectivement été brûlés ce jour-là.
Un tournant dans la désintégration de l’Apartheid
Les émeutes de 1976 en Afrique du Sud ont constitué un véritable tournant pour les mouvements de lutte contre le régime raciste d’Apartheid. Une nouvelle génération de militants anti-Apartheid a pu ainsi faire entendre sa voix. C’est le cas du « Mouvement pour la conscience noire », créé au début des années 1970 par Steve Bantu Biko, étudiant activiste « assassiné » par la police, qui reste jusqu’aujourd’hui le symbole et le martyr de cette lutte. Sa position, bien que d’aspiration non violente, était plus radicale que celle de l’ANC (African National Congress) dont Nelson Mandela a été l’un des principaux représentants. Selon la philosophie de Steve Biko, les Noirs ne peuvent se libérer politiquement de l’Apartheid que s’ils cessent de se sentir inférieurs aux Blancs. Son mouvement prend de l’ampleur dans les années 1970 au moment où la lutte de libération semble s’essouffler et que beaucoup de leaders de l’ANC sont en prison ou en exil. Il est alors surveillé et harcelé par la police durant toute cette période, subissant plusieurs arrestations. Le 12 septembre 1977, il meurt en détention, officiellement d’une grève de la faim mais son autopsie révélera de violents coups portés à la tête. De nombreux militants ont ainsi disparu ou ont été assassinés clandestinement par la police. Des milliers d’autres ont été contraints de s’exiler.
Ces événements de 1976 ont contribué à une prise de conscience de la communauté internationale sur le système de l’Apartheid en Afrique du Sud. Bien qu’en contradiction totale avec les principes des Nations unies, ce dernier a pu jouir, jusqu’à ces sanglantes émeutes, d’une grande complaisance des puissances occidentales. Ensuite, elles ont décidé de le sanctionner de différentes manières. Elles l’ont ainsi boycotté économiquement (cessation des livraisons d’armes) et sportivement (expulsion des équipes sud-africaines aux Jeux Olympiques). L’Onu a également voté des sanctions contre ce régime. Enfin, au niveau citoyen, des manifestations, des pétitions et des boycotts ont été organisés partout dans le monde (principalement contre les fruits et les pièces d’or en provenance de ce pays). Il faudra cependant attendre 17 ans pour que le régime de Pretoria décide de renoncer à son système de ségrégation. L’Apartheid a été aboli en 1991.
Par Vitraulle Mboungou