Amnesty International lance une nouvelle campagne mondiale, Osons le courage, pour mettre un coup d’arrêt à la vague d’attaques dont sont victimes les hommes et les femmes qui défendent les droits humains. Au moins 87 défenseurs des droits humains et 48 journalistes ont été arrêtés arbitrairement en Afrique de l’Ouest depuis 2014, Tous les cinq jours, un manifestant est tué pendant un rassemblement.
En Afrique de l’Ouest et en Afrique centrale, les défenseurs des droits humains, les journalistes et les manifestants sont victimes de persécutions, de manœuvres d’intimidation et de violences d’un niveau sans précédent, a alerté Amnesty International mardi 16 mai 2017 lors du lancement de sa nouvelle campagne mondiale demandant l’arrêt des attaques contre celles et ceux qui ont le courage de combattre l’injustice.
La campagne Osons le courage appelle les États de la région à reconnaître la légitimité des défenseurs des droits humains en respectant leur travail, en leur ménageant l’espace nécessaire à leurs activités et en les protégeant des menaces. Il faut que les États prennent des mesures concrètes en ce sens, notamment qu’ils adoptent des lois fortement protectrices et qu’ils révisent ou abrogent les textes utilisés pour attaquer les défenseurs des droits humains.
« Les États de la région déploient un arsenal étendu de stratégies de plus en plus inventives pour empêcher les défenseurs de s’opposer à l’injustice ou les contraindre à l’autocensure, a déclaré Alioune Tine, directeur du programme Afrique de l’Ouest et Afrique centrale à Amnesty International.
« En empêchant le droit de manifester, en plaçant des militants sous surveillance et en tentant de les intimider par des menaces et des agressions physiques, de nombreux États attaquent de front les défenseurs des droits humains. »
Dans un rapport intitulé Les voix critiques étouffées. Les défenseurs des droits humains en danger en Afrique de l’Ouest et en Afrique centrale et rendu public mardi 16 mai, Amnesty International présente des éléments qui attestent du danger croissant auquel sont confrontés les défenseurs des droits humains dans la région.
Un arsenal d’outils de répression de plus en plus étendu
La combinaison de plusieurs types de mesures – surveillance de masse, recours aux nouvelles technologies, utilisation abusive des lois et répression des manifestations pacifiques – crée un niveau de danger sans précédent pour les défenseurs des droits humains, alerte le rapport d’Amnesty International.
Dans presque tous les pays d’Afrique de l’Ouest et d’Afrique centrale, des manifestations pacifiques ont été interdites ou les autorités ont eu recours à une force injustifiée ou excessive contre des manifestants.
Depuis janvier 2014, Amnesty International a dénombré 271 manifestants tués, soit un tous les cinq jours, et des milliers de blessés lors de rassemblements organisés dans la région, sachant que ce chiffre est probablement en deçà de la réalité. L’immense majorité de ces homicides et blessures sont imputables aux forces de sécurité, qui ont utilisé du gaz lacrymogène, des matraques et des munitions réelles pour disperser des manifestants ou des véhicules blindés pour fendre la foule, alors qu’il s’agissait de manifestations pacifiques. Les responsables présumés de cette répression brutale ne sont pratiquement jamais amenés à rendre des comptes.
Arrestations et détentions arbitraires et mesures administratives
Depuis janvier 2014, Amnesty International a enregistré au moins 87 arrestations arbitraires de défenseurs des droits humains en Afrique de l’Ouest et en Afrique centrale. En Mauritanie, rien qu’en 2016, 13 militants antiesclavagistes ont été traduits en justice pour des charges controuvées et condamnés à des peines allant de trois à 15 ans d’emprisonnement. En novembre 2016, une cour d’appel a relaxé et libéré trois d’entre eux et a allégé les peines des 10 autres.
Au Tchad, quatre militants en faveur de la démocratie ont été arrêtés à N’Djamena entre mars et avril 2016 parce qu’ils projetaient d’organiser des manifestations pacifiques publiques pour s’opposer au fait que le président en exercice briguait un cinquième mandat. Ils ont été déclarés coupables d’« incitation à un rassemblement non armé » et condamnés à des peines d’emprisonnement avec sursis après avoir passé plus de deux semaines en détention.
Plusieurs pays, comme le Cameroun, la Guinée, le Nigeria, le Sénégal, le Tchad et le Togo, ont instauré des lois qui sont susceptibles d’être utilisées contre des défenseurs des droits humains, des journalistes et des lanceurs d’alertes en représailles de leurs activités, souvent au nom de la lutte contre le terrorisme et la cybercriminalité.
Au Cameroun, la législation antiterroriste adoptée initialement pour endiguer la menace représentée par Boko Haram a servi à réduire au silence des responsables de la société civile qui appelaient à manifester contre la discrimination dans les régions anglophones.
Les autorités se sont aussi appuyées sur des mesures administratives – retard ou refus d’enregistrement d’organisations non gouvernementales (ONG), ce qui les empêche de fonctionner, ou restriction de leur financement, entre autres – pour empêcher les défenseurs des droits humains de mener leurs activités. Au Togo, par exemple, des fonctionnaires ont refusé de délivrer un certificat d’enregistrement à un groupe de militants en faveur des droits des lesbiennes, gays, personnes bisexuelles, transgenres et intersexuées (LGBTI) au motif qu’ils remettaient en cause les normes culturelles et sociales.
« Les défenseurs des droits humains ne sont pas des ennemis de l’État, ce sont des personnes qui combattent l’injustice et engagent des actions pacifiques pour améliorer la situation des droits humains. Sans leur courage, notre monde serait moins juste, moins équitable, moins égalitaire », a déclaré Alioune Tine.
Restrictions concernant Internet et les réseaux sociaux
Parmi les nouvelles tendances, on peut citer le recours aux nouvelles technologies et à la surveillance ciblée, notamment en ligne, pour menacer et réduire au silence les militants.
Les restrictions concernant l’utilisation d’Internet sont de plus en plus fréquentes dans la région. Au Gabon, en Gambie et en République du Congo, l’accès à Internet a été coupé pendant deux à cinq jours à l’approche et à la suite des élections présidentielles de 2016 et, au Tchad, les restrictions imposées pendant la période électorale ont porté sur les réseaux sociaux. Dans les régions anglophones du Cameroun, au plus fort des restrictions (de janvier à avril 2017), l’accès à Internet a été coupé après que des manifestations ont été organisées pour protester contre l’utilisation du français dans les tribunaux et les écoles et demander davantage d’autonomie.
De nombreux États ont adopté des lois limitant l’accès à Internet en soumettant les défenseurs des droits humains à une surveillance de leurs activités en ligne. Au Sénégal, par exemple, des modifications du Code pénal et du Code de procédure pénale permettent aux autorités de restreindre l’accès à du « contenu illicite » en ligne et de pénétrer des systèmes informatiques sans aucun contrôle judiciaire. Au Nigeria, la Loi relative à la cybercriminalité exige des fournisseurs de services Internet qu’ils conservent pendant deux ans toutes les données relatives notamment au trafic de leurs abonnés, et qu’ils les mettent à la disposition des organes d’application des lois sur leur demande.
Diabolisation des défenseurs des droits humains
Amnesty International exhorte les États d’Afrique de l’Ouest et d’Afrique centrale à s’abstenir de désigner les défenseurs des droits humains par des termes péjoratifs (« criminels », « agents de l’étranger », « terroristes » ou « indésirables », entre autres).
« Lorsqu’elles ne les menacent pas ou ne les harcèlent pas, les autorités tentent d’alimenter un sentiment d’hostilité à l’égard des défenseurs des droits humains en les diabolisant et en les présentant comme une menace pour la sécurité nationale, a déclaré Alioune Tine.
« Rendons hommage aux femmes et aux hommes courageux qui, dans toute la région, continuent de lutter pour la justice malgré cette répression permanente. Nous appelons les États à reconnaître et à protéger le travail légitime de celles et ceux qui défendent la dignité humaine et l’égalité des droits pour tous. »