Afrique de l’Ouest : ces coups d’État célébrés par les populations


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Alpha Condé avec les Forces spéciales
Alpha Condé assis au milieu des Forces spéciales

Les coups d’Etat se multiplient en Afrique de l’Ouest avec une empreinte commune : ces putschs sont unanimement salués par une grande partie de la population des pays où ils ont été perpétrés.

Depuis le renversement en août 2020 du regretté IBK par le colonel Assimi Goïta et ses hommes, l’Afrique de l’Ouest vient d’enregistrer, avec l’écourtement du mandat de Roch Marc Christian Kaboré, le quatrième coup d’État en moins de deux ans. Un point commun à tous ces coups d’État : ils sont unanimement salués par une grande partie de la population des pays où ils ont été perpétrés, puisqu’ils sont chaque fois intervenus comme pour répondre aux aspirations de cette population qui réclamait le départ du chef de l’État.

Le cas malien

Au Mali, l’intervention des militaires, le 18 août 2020, est apparue comme une réponse aux manifestations gigantesques qui, depuis plusieurs mois, agitaient le pays pour réclamer, à cor et à cri, la démission d’IBK. Il n’était alors pas surprenant de voir les Maliens jubiler et porter les putschistes en triomphe après le coup d’État. Mieux, plusieurs mois après et même malgré le deuxième coup perpétré par le colonel Assimi Goïta contre le régime de transition mis en place sous la pression de la CEDEAO et de la communauté internationale, le 24 mai 2021, les militaires continuent de bénéficier d’un large soutien populaire. Mieux, les récriminations des institutions régionales, particulièrement la CEDEAO, et de la communauté internationale qui entraînent des sanctions tous azimuts contre le Mali ont pour conséquence de renforcer le soutien populaire, non seulement au Mali, mais dans beaucoup d’autres pays africains, aux militaires qui ont toujours le vent en poupe.

La Guinée

Le 5 septembre 2021, à trois mois de la célébration du premier anniversaire de son troisième mandat, le Président Alpha Condé a été évincé par une junte conduite par le colonel Mamady Doumbouya alors commandant du Groupement des forces spéciales, une unité d’élite de l’armée guinéenne, spécialisée dans la lutte contre le terrorisme. Là aussi, on assiste à des scènes de liesse populaire à travers le pays. Et pour cause ! Quelques mois plus tôt, les Guinéens avaient payé de leurs vies pour tenter d’empêcher le Président Condé de briguer un troisième mandat. Mais rien n’y fit. Le pouvoir n’a pas eu froid aux yeux pour briser la résistance populaire et opérer un passage en force. Pis, les premiers mois du troisième mandat n’étaient pas de bon augure pour les Guinéens. Dans ces conditions, le putsch du 5 septembre est vu comme une libération de l’emprise d’un Président qui, au fil des années d’exercice du pouvoir, s’est mué en autocrate.

L’exemple du Burkina Faso

Le dernier exemple en date est celui du Burkina Faso avec la chute de Roch Marc Christian Kaboré renversé ce lundi. Là aussi, les populations n’ont pas caché leur joie. Mardi, elles étaient réunies à la place de la Nation, à l’appel du mouvement « Sauvons le Burkina ». « On a tout braqué, on nous a suivis. Vous voulez qu’on fasse comment ? On va lutter pour nos enfants (…) Oui, je vous le dis, je suis dans la joie parce que je ne pense pas que ce qui s’est passé est un coup d’État. Je parle d’une libération », a martelé Anaïs Drabo, coordonnatrice du mouvement. Depuis plusieurs semaines, le Président Kaboré avait perdu sa légitimité aux yeux d’une bonne partie de ses concitoyens.

Le drame d’Inata a été la goutte d’eau qui a fait déborder le vase de la colère des citoyens outrés par l’inaction ou l’inefficacité de leur gouvernement face à la menace terroriste qui endeuille le pays au jour le jour. De géantes manifestations avaient été organisées, le 27 novembre 2021, à travers le pays pour revendiquer clairement la démission du chef de l’État. Le 11 janvier, le Parquet militaire de Ouagadougou avait annoncé l’arrestation de certains militaires parmi lesquels le lieutenant-colonel Mohamed Emmanuel Zoungrana, chef de corps du 12e régiment d’infanterie commando, commandant du secteur Ouest du groupement des forces de sécurisation du Nord.

Un signal envoyé aux chefs d’État encore en poste

Le retour des coups d’État et l’approbation populaire qu’ils suscitent en Afrique de l’Ouest, depuis 2020, devraient faire réfléchir les Présidents des autres pays de la sous-région encore en place. Un message fort leur est envoyé pour leur dire qu’il devient de plus en plus impossible, dans cette région du continent, de gouverner en sourd-muet face aux attentes des peuples qu’ils sont censés servir en tant que dirigeants. Les chefs d’État semblent perdre de vue qu’ils sont des citoyens chargés par d’autres citoyens de présider aux destinées du pays. Quand ils perdent le soutien de leurs mandants que sont les peuples, ils deviennent fragiles. Et dans cette fragilité, ils peuvent perdre l’appui de l’armée. À ce moment, l’irréparable peut arriver.

C’est donc une nouvelle ère qui est en train de s’ouvrir en Afrique. loin d’applaudir les coups d’État, mais il faut être bien aveugle pour ne pas voir, dans les derniers événements, un signal envoyé à tous les dirigeants du continent et ceux de sa région occidentale en particulier. À bon entendeur !

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Par Serge Ouitona, historien, journaliste et spécialiste des questions socio-politiques et économiques en Afrique subsaharienne.
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