En 2009, pour la première fois en plus de dix ans, les transferts de fonds vers l’Afrique subsaharienne devraient diminuer, ce qui pourrait aggraver la vulnérabilité des populations à la pauvreté, d’après les responsables de la Banque mondiale.
Selon le dernier dossier publié le 11 novembre par la Banque mondiale sur les migrations et le développement, les revenus générés par les envois de fonds de l’étranger vers les pays en voie de développement diminueront d’environ un pour cent entre 2008 et 2009.
À en croire Dilip Ratha, économiste principal et responsable de l’équipe des migrations et des envois de fonds à la Banque mondiale, cette baisse pourrait même être bien plus marquée. « Dans le pire des cas, ils chuteront de pas moins de six pour cent ».
Les envois de fonds vers l’Afrique subsaharienne ont augmenté progressivement depuis 1995, grimpant de 11 pour cent entre 2006 et 2007. Ainsi, l’Afrique subsaharienne a encaissé 19 milliards de dollars de fonds en provenance de l’étranger en 2007, soit 2,5 pour cent de son produit intérieur brut (PIB), d’après la Banque mondiale.
Globalement, dans le monde, en 2007, 265 milliards de dollars ont été versés dans les pays en voie de développement par le biais de transferts de fonds, soit 60 pour cent de plus que le montant global de l’aide publique au développement, toujours selon la Banque mondiale.
« Ces envois de fonds sont plus importants que les crédits et les investissements étrangers directs », a confirmé Josef Schmidhuber, économiste principal à l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture.
Ces envois de fonds devraient culminer à environ 283 milliards de dollars en 2008, avant de diminuer, en 2009.
Afrique de l’Ouest
« L’Afrique de l’Ouest, qui reçoit beaucoup de transferts de fonds en provenance de la France et de l’Europe australe, sera directement touchée, puisque l’Europe devrait connaître une récession économique en 2009 », a expliqué à IRIN M. Ratha, de la Banque mondiale.
En 2007, un peu moins des trois quarts des fonds transférés vers l’Afrique subsaharienne avaient été envoyés des Etats-Unis et d’Europe occidentale, tandis que le reste provenait des pays du Golfe, ou d’autres pays développés ou en voie de développement, selon la Banque mondiale.
Dix des 22 pays affichant les indicateurs de développement humain les plus faibles du monde se trouvent en Afrique de l’Ouest, d’après l’Indice de développement humain publié par les Nations Unies en 2007.
Le lien avec l’immigration
Les revenus générés grâce aux transferts de fonds en provenance de l’étranger sont directement liés aux flux migratoires ; dès lors, les estimations futures dépendront de la réaction des pays d’accueil à la crise de liquidité actuelle, selon M. Ratha.
« Si certains pays imposent des mesures de contrôle […] strictes sur les flux migratoires à venir, cela pourrait poser un gros problème ».
L’hostilité à laquelle se heurtent les immigrés, en partie liée à la crise financière mondiale, devrait également s’aggraver à la fois dans les pays développés et en voie de développement, selon les recherches de la Banque mondiale. C’est déjà le cas aux Etats-Unis et en Inde, selon M. Ratha.
Les conséquences
IRIN a interrogé différentes personnes en Afrique de l’Ouest pour savoir si les revenus qu’elles percevaient en provenance de l’étranger avaient été compromis par la crise financière internationale.
Dorcas Eyakodevu à Abuja, au Nigeria : « Nous n’avons pas les moyens d’aller chez le médecin »
Avec 3,3 milliards de dollars en 2007, le Nigeria reçoit plus de fonds en provenance de l’étranger que tout autre pays d’Afrique subsaharienne, suivi du Kenya, avec 1,3 milliard de dollars, et du Sénégal, avec 0,9 milliard de dollars, selon la Banque mondiale.
Lorsque son mari occupait deux emplois aux Etats-Unis, a expliqué Dorcas Eyakodevu, 40 ans et mère de deux enfants, il lui envoyait généralement 1 250 dollars tous les trois mois. Depuis ce temps, il a perdu un emploi et en septembre 2008, ne lui a envoyé que 800 dollars. « Je m’attendais à recevoir deux fois cette somme pour payer les frais de scolarité [des enfants]. À cause du coût élevé de la vie, il est très difficile de vivre au Nigeria en ce moment, et je compte sur l’argent qu’il envoie pour subvenir aux besoins de la famille. J’ai de plus en plus de mal à m’occuper de mes enfants. Nous avons dû réduire notre budget alimentaire et toutes nos autres dépenses, notamment les transports et les soins de santé. Maintenant, nous n’avons pas les moyens d’aller chez le médecin, à moins que l’un de nous ne soit gravement malade ».
Umu Bangura à Freetown, en Sierra Leone : « Je ne peux plus payer les frais de scolarité de mes filles »
Umu Bangura, mère célibataire de quatre enfants à Freetown, la capitale, a expliqué qu’elle avait retiré ses enfants de leur établissement secondaire car son fils aîné, qui vit aux Etats-Unis, avait cessé de lui envoyer de l’argent régulièrement. « Avant, je recevais 100 dollars par mois, que mon fils m’envoyait du Maryland, mais […] il n’a plus de travail et aujourd’hui, il accepte rarement de me parler quand je l’appelle au téléphone. Je n’ai plus les moyens de payer les frais de scolarité de mes filles ».
Montrant du doigt les bancs vides réservés aux clients dans son bureau, Sorie Barrie, qui dirige le bureau de change de Manan, à Freetown, explique que de nombreuses familles se trouvent aujourd’hui confrontées à des situations semblables à celle d’Umu Bangura. « Je constate avec tristesse le faible afflux de fonds que nous recevons depuis quatre mois ».
Mamadou Traoré à Koutiala, au Mali : « Amadou est le soutien financier de toute la famille »
Amadou Traoré, qui vit à Paris, subvient aux besoins des 21 membres de sa famille, au Mali : son père Mamadou, les trois femmes de Mamadou et leurs 17 enfants. « Amadou est devenu le soutien financier de la famille entière, explique Mamadou. Ma retraite mensuelle ne permet plus vraiment de couvrir grand-chose, compte tenu du coût élevé de la vie, de nos jours, et tous nos autres enfants vont encore à l’école ». Amadou, qui travaille dans la finance depuis 2000, envoyait auparavant 195 dollars par mois pour subvenir aux besoins alimentaires de la famille et couvrir les frais de préparation à l’approche des célébrations religieuses. Mais ces quelques derniers mois, il n’envoie plus que 115 dollars, tout au plus, chaque mois, selon son père. « Nous ne mangeons plus de viande régulièrement, et nous avons retiré nos enfants de leurs écoles privées pour les envoyer dans des écoles publiques ».
Ousmane Diedhiou à Dakar, au Sénégal : « Leurs épouses pensent qu’ils dépensent leur argent pour entretenir d’autres femmes »
La diminution des fonds envoyés de l’étranger provoque des tensions au sein des familles, selon Ousmane Diedhiou, qui gère les fonds envoyés par deux cousins, depuis la France et l’Italie. À eux deux, ces derniers subviennent aux besoins des 12 membres de leur famille élargie en envoyant 290 dollars par mois, bien qu’ils aient récemment réduit leurs envois. « Leurs épouses, restées au Sénégal, pensent qu’ils dépensent leur argent pour entretenir d’autres femmes, ou qu’ils se préparent à trouver de nouvelles épouses. Nos cousins nous disent souvent que la vie devient difficile là-bas [en Europe], mais ma famille ne comprend pas cela. Avant, [nos cousins] nous aidaient au moment des fêtes traditionnelles, la Korité et la Tabaski, mais aujourd’hui, ils nous disent de plus en plus souvent : « C’est impossible ; débrouillez-vous tous seuls pendant quelques mois encore » ».