Près de 80% des ménages ruraux dans les pays en développement dépendent de la terre pour nourrir leurs familles et assurer leur subsistance. Mais au-delà des aspects économiques, la terre représente une valeur spirituelle unique dans la vie de nombreuses populations rurales et fait souvent partie du patrimoine de la famille. La terre a en effet un caractère sacré puisque ces terres abritent leurs morts. Il est impératif que tout programme de développement rural donne aux communautés rurales la priorité de l’accès et du contrôle des terres et des autres ressources productives, si l’on veut vraiment combattre la faim, la pauvreté, l’expropriation et les inégalités, surtout dans le monde en développement.
Le soutien de l’État au développement du secteur de l’agriculture a fléchi au cours de la dernière décennie. Il agit plus désormais, sur fond de copinage, au profit de grands exploitants privés. Quant aux petits producteurs ruraux de denrées alimentaires, qui alimentent la nation, ils ont subi de sévères limitations dans l’accès aux intrants et aux services de vulgarisation. Dans certains villages au Vietnam, par exemple, l’usage non rationnel du capital emprunté a créé des problèmes aux agriculteurs dont certains ont vu leurs terres finir aux enchères pour honorer leurs dettes. Dans son livre, Raj Patel parle de flambée des taux de suicide en Inde due à l’impossibilité de rembourser les dettes. Le manque d’accès aux services de vulgarisation en temps opportun a engendré des pertes injustifiées, ce qui a porté gravement atteinte à la production et à la productivité de nombreux petits producteurs ruraux.
Dans leur quête pour l’investissement direct étranger (IDE), de nombreux gouvernements du Sud ont incité les multinationales à investir dans les zones rurales apparemment négligées en vue de stimuler le développement. Des mesures incitatives qui varient des exonérations fiscales à l’octroi de terres à un prix bon marché ou à titre gratuit, ou encore l’assouplissement des réglementations et des politiques pour rassurer les investisseurs. Ces cadeaux offerts sans un cahier de charges clair garantissant la création de richesse et d’emplois se sont traduits seulement par un manque à gagner fiscal pour les pays en développement, mais aussi par un déplacement injustifié des ménages ruraux de leurs terres pour ouvrir la voie à ces projets.
Des enquêtes récentes ont révélé que, entre 2004 et 2014, les projets de la Banque mondiale ont entraîné le déplacement physique ou économique de 3,4 millions de personnes. Comme c’est le cas à Bagamoyo en Tanzanie et Ndiael au Sénégal, les communautés sont souvent mal ou pas du tout consultées lorsque ces projets d’investissement sont initiés. Inutile de dire que de nombreuses communautés rurales portent le poids de ces accaparements de terres soutenus par l’État qui violent souvent les droits de l’homme dans leur sillage. Les médias sont inondés de nombreux exemples d’accaparement des terres au Kenya, en Ouganda, au Mozambique, en Sierra Leone et au Sénégal, qui s’apparentent désormais à un conflit entre l’État et les multinationales, d’une part, et les communautés et les citoyens, d’autre part.
La principale responsabilité de l’État est de promouvoir et de protéger les droits fondamentaux de ses citoyens. Au contraire, il semble que les entreprises soient favorisées par rapport aux citoyens en matière de protection des droits et des libertés. Globalement, des cadres légaux existent qui fournissent une référence utile pour l’amélioration de la gouvernance des régimes fonciers et réduire ainsi la vulnérabilité des communautés rurales, en particulier des femmes. Cependant, leur mise en œuvre est faible, car certains pays ne les ont pas encore adaptés.
Notons que le Comité des Nations Unies pour la sécurité alimentaire mondiale, le forum des Nations Unies réunissent des gouvernements, des organisations intergouvernementales, la société civile et le secteur privé, ont fait des recommandations pour améliorer la gouvernance responsable des régimes fonciers des terres, de l’exploitation des zones de pêche et des forêts dans le cadre de la sécurité alimentaire nationale, qui obligent les États à reconnaître et à respecter pleinement les droits de tous les utilisateurs légitimes des sols. De même, les principes directeurs de l’Union africaine sur les investissements fonciers à grande échelle basés en Afrique, développés de manière consultative avec les gouvernements et la société civile, fournissent des garanties utiles pour protéger les communautés contre l’expropriation injustifiée. Ces cadres mettent en évidence la nécessité de transparence sur les contrats passés avec les communautés touchées.
Dans l’un de ses derniers rapports, l’association humanitaire « Action Aid » invite les gouvernements et les bailleurs de fonds à prendre quatre mesures essentielles pour apprivoiser cette vague d’accaparement des terres en Afrique, et parmi elles veiller à ce que le respect des directives de la bonne gouvernance foncière deviennent une condition préalable à tout investissement sur la terre considérée. En outre, ce rapport pointe la nécessité de réguler l’action des entreprises impliquées dans des transactions foncières afin qu’elles respectent les droits de l’homme.
Un rapport élaboré par l’organisation « Grain » conclut que ce ne sont pas les grandes corporations qui nourrissent le monde, ce sont les petits agriculteurs qui contrôlent 70% de toutes les terres arables. C’est la raison pour laquelle les États doivent faire tout ce qui est en leur pouvoir pour réviser les politiques et les mesures incitant à l’accaparement des terres pour faire respecter les droits de propriété, et promouvoir parallèlement des politiques qui soutiennent les petits producteurs de denrées alimentaires, en particulier les femmes.