La romancière camerounaise Calixthe Beyala nous présente son nouveau roman, » Comment cuisiner son mari à l’africaine « . Elle explique à quel point la nourriture et la cuisine sont importantes dans sa vie de femme.
Calixthe Beyala était, jeudi soir, l’invitée d’Echos d’Afrik, la nouvelle émission d’afrik.com en collaboration avec Alatele.com. Morceaux choisis.
Afrik.com : Est-ce le roman qui a induit la présence de recettes de cuisine, ou est-ce l’envie de délivrer des recettes personnelles qui vous a amené a broder une histoire autour ?
Calixthe Beyala : J’ai une véritable passion pour la nourriture, j’aime manger. Et j’ai voulu associer cette boulimie de sauces – à la pistache, à l’arachide – à ma passion pour la littérature. La cuisine me permet de vivre, d’écrire. J’adore ce contact avec les aliments, couper les oignons, préparer les viandes… J’ai cherché pendant de nombreuses années la façon de faire un livre où je ne parlerais que de cuisine. J’ai pensé en faire un en n’employant que du vocabulaire lié à la nourriture, car je ne pouvais me permettre de publier un livre de cuisine au même titre qu’un chef. Puis récemment j’ai eu l’idée de ce roman, où tout est cuisine, jusqu’aux scènes d’amour entre Aïssatou et M. Bolobolo.
Afrik.com : Comment avez-vous appris à cuisiner ?
Calixthe Beyala : Une femme noire passe beaucoup de temps dans sa cuisine, lorsque j’étais petite je regardais ma mère et je l’aidais à préparer les plats. La cuisine est l’un des éléments clé de la mémoire d’un pays, elle fait partie intégrante de la culture africaine, avec ses couleurs, ses odeurs… Elle représente un formidable moyen de transmettre la culture de son pays à ses enfants. La cuisine est aussi le ciment de la famille, elle permet de maintenir la cohésion entre ses membres. Et puis elle représente un magnifique geste de partage et d’amour, c’est une preuve de passion que l’on adresse à quelqu’un.
Afrik.com : Votre roman raconte la vie de cette jeune Africaine, Aïssatou, qui ressent un malaise social en France et tente de ressembler aux femmes blanches qu’elle côtoie. Qu’en est-il exactement de ce malaise social ?
Calixthe Beyala : Une société obéit à certains canons de beauté, et malheureusement les canons de beauté européens sont bien loin de ceux des Africains. Nous aimons les belles femmes, les femmes mères, les » femmes-flammes « , les » femmes-univers « . Les Européens n’aiment pas la femme, ils n’aiment pas les formes, ils préfèrent les garçonnets, les adolescents. Je dirais même qu’ils préfèrent l’homme à la femme. De plus, les vêtements africains ne sont pas faits pour être portés ici, et nous devons nous enfermer dans des jeans moulants qui font ressortir les moindres formes.
Afrik.com : Vous employez des mots très forts, dans votre livre, presque injurieux, tels que » négresse, mulâtresse « . Pourquoi utilisez-vous ce langage si polémique ?
Calixthe Beyala : Ces termes sont peut-être injurieux pour vous, mais ils ne le sont pas pour moi. Quelqu’un qui me nomme négresse en croyant me vexer, se trompe. Il ne fait que me restituer ma culture d’Africaine, avec tout ce qu’elle comporte de beauté, mais également de souffrance. Selon moi, lorsque l’on parle de négritude, on parle de culture, de mémoire, c’est une façon d’exalter tout ce qu’a porté et vécu le continent africain. La culture » black » n’existe pas, ce n’est qu’un mot inventé par les Blancs pour se donner bonne conscience.
Afrik.com : Pensez-vous que votre rôle, en tant qu’écrivain, est d’adresser un message à vos lecteurs, de les interpeller ?
Calixthe Beyala : Bien évidemment nous nous devons de faire valoir nos opinions et de les communiquer à nos lecteurs. Nous devons actuellement nous battre contre le polissage des opinions et la prédominance d’une pensée unique. Il faut des gens connus, qui peuvent utiliser leur notoriété pour se battre et défendre les peuples noirs. Mais personne ne le fait, car ils ont tous peur que leur entourage les délaisse et que le monde économique leur tourne le dos. Pourtant, on peut se demander à quoi sert la vie d’un être humain si ce n’est à améliorer celle des autres. Le succès est vain s’il n’est pas mis au service des autres. Et cela n’a rien à voir avec le fait que je sois moi-même Africaine. J’aurais été blanche, j’aurais créé le Collectif Egalité. J’aurais fait dix fois pire. De ce fait, j’ai un certain mépris pour tous les intellectuels et les hommes de spectacle qui se pavanent dans le luxe des cocktails et des émissions de télévision et qui tournent le dos aux moins chanceux.
Afrik.com : Dans un tout autre domaine, quel est votre vision des jeunes écrivains africains actuels ?
Calixthe Beyala : Je suis de très près la nouvelle production littéraire, africaine notament, car il faut assurer la relève. Cette année, j’ai été particulièrement touchée par le premier roman de l’Ougandais Moses Isegawa, » Chroniques Abyssiniennes « . Pour moi, c’est vraiment le livre de la rentrée, il est d’une beauté et d’une force incroyable. Attendons de voir ce qu’il donne après deux ou trois ouvrages, mais je crois qu’un grand écrivain est né.
Retrouvez ici notre chronique du roman de Calixthe Beyala.
Article sur Moses Isegawa :