« Africare », au plus près des blessures du Congo


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Six comédiens, danseurs et musiciens congolais interprètent Africare, sous la houlette du metteur en scène belge Lorent Wanson, sur la scène du Tarmac de La Villette, à Paris, jusqu’au 28 juillet. Un spectacle total créé à partir des témoignages de ceux qui ont vécu dans leur chair les drames de la République Démocratique du Congo (RDC).

« Ce pays est capable de faire des choses incroyables, malgré les difficultés. Beaucoup de gens me disaient que je n’y arriverais jamais, pourtant nous avons réussi ! » Ainsi s’exprime le metteur en scène belge Lorent Wanson lorsqu’il se rappelle les obstacles qu’il a dû surmonter pour monter la pièce Africare en République Démocratique du Congo. La charge émotionnelle et l’énergie incroyable que dégage cette œuvre démontrent à quel point il a eu raison de persévérer, d’aller jusqu’au bout de son ambition.

L’on pouvait craindre qu’il plaque sa vision d’Occidental sur les douloureuses réalités congolaises – la violence, la guerre et leur cortège de mutilations, de viols et de déstructurations. Au contraire, il met son talent et ses compétences de metteur en scène chevronné au service des habitants de la RDC et de leurs espoirs de justice et de paix. « J’ai l’impression que l’histoire n’est jamais racontée par ceux qui l’ont traversée. Pour moi, il est nécessaire que ces témoins partagent leur expérience », nous a-t-il expliqué à l’issue de l’une des représentations d’Africare, au Tarmac. Aussi, la pièce a été construite à partir d’authentiques témoignages de Congolais et de Congolaises qui ont traversé les turpitudes de ces vingt dernières années. Sur la base de ces confessions traduites en français, le metteur en scène a fait un travail de réécriture et de création avec la collaboration d’artistes originaires des villes de Kinshasa, Kisangani et Bukavu.

Pour plonger le spectateur au cœur des réalités congolaises, Lorent Wanson a réalisé un spectacle total qui fait appel à la vidéo, la musique et la danse. Six comédiens, trois hommes et trois femmes originaires des villes où il s’est arrêté pour générer son projet, incarnent quelques-uns de ceux qui ont accepté de se raconter et jouent, dansent et chantent l’histoire récente du pays. Ils échangent des répliques avec des femmes violées, des mutilés de guerre, des enfants des rues, des soldats démobilisés, des prostituées dont les témoignages filmés sont projetés sur la scène. Le mélange entre fiction et réalité est d’un effet saisissant et nous pousse immanquablement à réfléchir sur l’existence et les paradoxes du genre humain.

Se faire entendre du monde entier

« Dans notre pays, on parle toujours de la guerre. C’est le vécu au quotidien, ce n’est pas une page tournée. Avec Lorent, on a eu l’occasion de parler de ça. Et ce travail nous permet en tant qu’artistes de dégager un souffle et d’atteindre une sorte de paix intérieure », nous a confié Olivier Maloba, l’un des interprètes d’Africare qui, par ailleurs, occupe les fonctions de directeur artistique du théâtre Taclems de Kisangani. Mais au delà d’un possible exorcisme, il veut que cette pièce fasse prendre conscience à la planète entière de ce qui s’est déroulé en RDC : « Nous voulons que la face du monde sache ce qu’on a vécu. Dans notre village, on dit que c’est la communauté internationale qui tire les ficelles. Alors on espère que le monde entier entendra ce que nous avons à dire. »

Africare, dont le titre a été créé à partir du mot « Afrique » et du nom du personnage mythologique « Icare », est une oeuvre universelle à travers laquelle Lorent Wanson a voulu atteindre la justesse, « parce que, estime-t-il, la justesse peut emmener vers la justice. » En dépit de toute la violence qu’elle charrie, Africare n’est pas une pièce triste. Elle porte en elle toute la joie de vivre et l’énergie créative des Congolais, des qualités qui donnent l’espoir qu’un jour la RDC guérira de ses maux et prendra la place qui lui échoie dans le concert du monde.

 Africare, texte, mise en scène et conception générale de Lorent Wanson, assisté de José Bau Diyabanza, Bérengère Deroux, Iragui Rugambwa Adolphe (Bukavu), Eric Yakuza Nkole (Kisangani) et de Wedou Wetungani Mupwamoyo (Kinshasa). Conseiller associatif Roger Kitembwe (Asadho). Avec 6 comédiens – musiciens congolais :Jocelyne Ntululo Nafranka (Bukavu), Murhula Cishesa Imani (Bukavu), Olivier Maloba Banza (Kisangani), Efika Lesiso Espérance (Kisangani), David Kawama Kazembe (Kinshasa), Karine Kapinga (Kinshasa). Scénographie : Daniel Lesage. Lumières : Guy Simard assisté de Wedou Wetungani Mupwamoyo. Supervision chorégraphique : Jacques Bana Kanga. Travail vidéographique : Bertrand Baudry, assisté de Clarisse Muvuba

 Le site du Tarmac de La Villette

 Après avoir été présentée à Kisangani, à Kinshasa et à Paris, Africare sera en tournée en Belgique en septembre-octobre, puis au Congo en novembre-décembre 2007.

Photo : l’affiche de la pièce, réalisée par Pascal Colrat

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Journaliste, écrivain, dramaturge scénariste et réalisateur guadeloupéen. Franck SALIN fut plusieurs années le rédacteur en chef d'Afrik.com
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