Le gouvernement nigérian a annoncé qu’il n’était pas préparé à l’arrivée des dizaines de milliers d’habitants qui ont fui la province de Bakassi, dans le sud, ce dernier mois, et a appelé les Nations Unies à l’aider à gérer le retour inattendu de ces populations.
Pas moins de 76 000 rapatriés se sont inscrits dans 12 camps dans les Etats d’Akwa Ibom et de Cross River, selon Victor Antai, président du conseil de Mbo, un camp d’Akwa Ibom. « Nous n’avons jamais envisagé un tel afflux de rapatriés », a déclaré à IRIN Florence Ita-Giwa, directrice du groupe de travail présidentiel chargé de la réinstallation et de la réhabilitation des rapatriés nigérians. « C’est parce que la situation n’est pas bonne à Bakassi (désormais sous la souveraineté du Cameroun) depuis le transfert d’autorité [du 14 août] qu’ils ont dû fuir et rentrer au Nigeria. Nous pensions qu’un grand nombre d’entre eux resteraient là-bas pendant au moins quelques années encore ».
« Les Nations Unies doivent intervenir d’urgence pour apporter leur aide, parce que ces populations sont bloquées. Il y a du monde partout », a-t-elle poursuivi.
Un accord quinquennal d’administration commune a été conclu entre le Nigeria et le Cameroun pour assurer un transfert d’autorité pacifique et encourager les Nigérians à rester à Bakassi, selon Mme Ita-Giwa.
Les habitants de Bakassi ont néanmoins déclaré craindre d’être persécutés par les services de sécurité camerounais, a expliqué Youcef Ait Chellouche, coordinateur de la gestion des catastrophes au bureau de la Fédération internationale de la Croix-Rouge (FICR) à Dakar, au Sénégal.
Les populations nigérianes de Bakassi ont commencé à fuir la péninsule après la cérémonie du 14 août 2008 entre les gouvernements camerounais et nigérian, qui marquait officiellement la rétrocession de la péninsule contestée de Bakassi au Cameroun.
Le désespoir des rapatriés
« Nos infrastructures fonctionnent à la limite de leurs capacités. (…) Nos ressources ne nous suffisent plus. L’arrivée des populations de Bakassi pèse sur le conseil », a indiqué M. Antai, membre du conseil de Mbo.
Mbo, le point le plus proche de Bakassi sur le territoire continental du Nigeria, compte normalement plus de 100 000 habitants ; aujourd’hui, ils sont 180 000, selon M. Antai.
A Uyo, capitale de l’Etat d’Akwa Ibom, un millier de déplacés ont pris d’assaut le bureau du gouverneur le 22 septembre, pour protester contre des conditions de vie qu’ils qualifient « d’inhumaines » et contre le manque d’aide fédérale, exprimant clairement leurs griefs sur des panneaux bricolés à la va-vite : « Nous sommes des rapatriés de Bakassi ; s’il vous plaît, aidez-nous », « S’il vous plaît, aidez-nous ; nous mourons », et « Nous avons besoin d’un abri ; s’il vous plaît, aidez-nous ».
Ikpe Okon Awonshak, un des manifestants, a expliqué qu’il avait l’impression d’avoir épuisé toutes ses options. « Peut-être que nous aurions dû rester à Bakassi, pour nous faire tuer par des soldats camerounais, au lieu de revenir ici et de nous trouver confrontés à ces conditions difficiles. Nous mourons, nos enfants sont mal nourris et les services médicaux sont insuffisants ».
À l’heure actuelle, la présence humanitaire est minime sur le terrain et aucun état des lieux complet et indépendant n’a été réalisé pour analyser la situation à Bakassi, pour déterminer pourquoi les populations quittent la péninsule en masse, et quelles seront leurs prochaines étapes.
Le 22 septembre, les médias nigérians locaux ont annoncé le décès de 15 rapatriés, une information qui n’a fait l’objet d’aucune confirmation indépendante. M. Atai, du conseil de Mbo, a confirmé le décès de deux autres rapatriés, qui souffraient d’hypertension artérielle, dans un camp de Mbo.
Les efforts du gouvernement
Essien Ayi, représentant de Bakassi au sein du gouvernement fédéral, a expliqué à IRIN que les rapatriés de Bakassi étaient en droit de recevoir une aide au logement et à la réinstallation de la part des autorités fédérales.
« Il est du devoir des Etats, conjointement avec le gouvernement fédéral, de trouver le moyen de réinstaller tous les rapatriés, car lorsque le transfert d’autorité a eu lieu, le gouvernement a déclaré que les Nigérians avaient deux choix : soit revenir et être réinstallés, soit rester au Cameroun, en tant que ressortissants nigérians. Alors, ceux qui ont choisi de revenir devraient être réinstallés […] le plus rapidement possible », a estimé M. Ayi.
Le gouvernement national a alloué 17 millions de dollars à l’Etat de Cross River pour financer la construction d’une zone de résidence permanente pour les rapatriés ; à ce jour, 140 nouvelles maisons ont été construites, mais les travaux de construction de cette zone résidentielle estimée à 200 millions de dollars ont été ralentis par un manque de fonds, selon Mme Ita-Giwa.
L’attention du gouvernement fédéral étant portée sur Cross River, les autorités de l’Etat voisin d’Akwa-Ibom crient à la négligence.
« Quatre-vingts pour cent des personnes déplacées de Bakassi venaient initialement d’Akwa-Ibom », a souligné M. Antai. « Je demande au gouvernement fédéral de nous venir en aide aussi […] Nous devons améliorer l’hôpital général et construire davantage d’écoles primaires et secondaires, car le taux d’inscription est sur le point d’augmenter de 100 pour cent ».
Les efforts de la communauté internationale
Selon Mme Ita-Giwa, il est de la responsabilité des Nations Unies d’intervenir, étant donné que l’organisation a contribué à négocier l’accord de Greentree prévoyant la rétrocession de Bakassi, après l’arrêt de la Cour internationale de justice en 2002.
Selon Olivia Hantz du Bureau des Nations Unies pour la coordination des affaires humanitaires (OCHA), le Bureau des Nations Unies pour l’Afrique de l’Ouest a dépêché une équipe de défense des droits humains pour réaliser un état des lieux, et d’autres agences des Nations Unies surveillent l’évolution de la situation.
« Ce n’est pas encore une crise humanitaire », a dit Mme Hantz, « mais nous allons surveiller la situation de près pour voir si cela change ».
Au cours de la prochaine semaine, la FICR enverra sur place une mission d’évaluation pour déterminer le nombre de personnes dans le besoin et le type d’aide nécessaire, et décider comment aider le gouvernement à répondre à ces besoins à court terme, tout en soulignant que les efforts de la FICR seraient limités.
Selon le recensement de 2006, effectué par le gouvernement, la péninsule de Bakassi ne compte que 32 000 habitants, a indiqué M. Ait Chellouche de la FICR ; c’est pourquoi les statistiques devraient être vérifiées. Il est possible, a-t-il ajouté, que certaines personnes déplacées ne viennent pas de Bakassi.
« La situation est chaotique », a dit M. Chellouche. « Nous devons établir les faits. La situation peut évoluer très rapidement ».
Tandis que les organismes nationaux et internationaux commencent à répondre à leurs appels à l’aide, les rapatriés restent abattus.
« Nous ne savons pas du tout ce que le gouvernement nous réserve. Nous sommes dans le flou en ce qui concerne notre avenir », a déclaré à IRIN Affiong Okon, un rapatrié.