Affaire Zongo : un non-lieu qui fait tâche


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L’adjudant Marcel Kafando, seul inculpé dans l’affaire de l’assassinat du journaliste Burkinabé Norbert Zongo a bénéficié d’une ordonnance de non-lieu, délivrée par le juge d’instruction Wenceslas Ilboudo. Une déclaration énoncée, mercredi à Ouagadougou, qui a provoqué indignation et stupéfaction de la part des associations qui luttent pour les droits de l’Homme et la mémoire du journaliste.

Non coupable… Après quatre années d’enquêtes, d’interrogatoires, l’adjudant Marcel Kafando, seul inculpé pour l’assassinat du journaliste burkinabé Norbert Zongo, a été relaxé mercredi par la justice burkinabé. C’est lors d’une Conférence de presse, que le procureur général Abdoulaye Barry et le procureur du Faso Adama Sagnon ont annoncé le non-lieu délivré par le juge d’instruction Wenceslas Ilboudo. Ils ont avancé que les éléments retenus contre l’accusé n’étaient pas suffisants. Le président du Tribunal de Ouagadougou, contacté par Afrik, n’a pas souhaité se prononcer sur ce sujet. Du côté des associations de défense des droits de l’Homme et militant pour la liberté de la presse, le verdict a fait l’effet d’une douche froide. Malgré les années, le dossier reste toujours délicat et sensible.

L’affaire Norbert Zongo débute le 13 décembre 1998. Le directeur du journal d’opposition L’Indépendant est retrouvé mort, sur la route de Sapouy, à 100 km de Ouagadougou. Egalement à l’intérieur de son véhicule, les corps de trois de ses compagnons. Totalement carbonisés. Un décès qui intervient alors que le journaliste enquête sur les circonstances trouble de la mort de David Ouédraogo, le chauffeur personnel de François Compaoré, frère du Président burkinabé Blaise Compaoré. Celui-ci est torturé à mort par des membres du Régiment de sécurité présidentielle (RSP) pour avoir, selon leurs dires, volé de l’argent. L’adjudant Marcel Kafango faisait parti de l’opération punitive. Il est jugé et reconnu coupable avec deux autres militaires pour cet acte barbare en juin 2000. Un an plus tard, l’adjudant est inculpé « d’assassinat » et « d’incendie volontaire » dans le cadre de l’affaire Zongo. Celui qui aurait dû attendre le verdict de son procès en prison, est uniquement assigné à résidence. Après ce non-lieu, il pourra dorénavant continuer de vaquer à ses occupations.

Etonnement et frustration

Les réactions ne se sont pas faites attendre. Associations de défense des droits de l’Homme et des journalistes sont montées au créneau. « Nous sommes choqués qu’aucune personne n’ait été traduite en justice pour un crime aussi ignoble », rapporte à l’AFP Julia Crawford, coordinatrice du programme Afrique du Comité pour la protection des journalistes (CPJ). « Cette décision suscite de nombreuses interrogations quant à l’indépendance de la justice et la volonté des autorités de faire la lumière dans cette affaire. Elle constitue également un précédant dangereux en assurant l’impunité des assassins de journalistes », estime-t-on au CPJ de New York.

Reporter Sans Frontières (RSF) fait écho à ces déclarations. Dans un communiqué mis en ligne sur son site, RSF énonce toute son indignation face à l’issue de ce procès : « C’est tout simplement scandaleux ! Après huit ans de mobilisation, cette décision consacre le règne de l’impunité au Burkina Faso. C’est une honte ! » Pour eux, ce dossier est avant tout politique : « Norbert Zongo a été tué par des membres de la garde présidentielle, et le frère du chef de l’Etat, François Compaoré, est impliqué dans cette affaire. Les autorités n’ont de cesse de protéger les assassins », rapporte l’organisation.

La Fédération internationales des ligues des droits de l’Homme (FIDH) et le Mouvement burkinabé des droits de l’Homme et des Peuples (MBDHP) dénoncent eux aussi dans un communiqué « les lenteurs et la vacuité de l’enquête et ce coup porté à l’Etat de droit au Burkina Faso ». A côté de cet emballement, « le mouvement « Trop, c’est trop », créé après l’assassinat de Norbert Zongo, a réagi plus timidement. « Il a perdu de sa vitalité, rapporte un journaliste Burkinabé. Et du côté de la société civile et des syndicats burkinabés, le silence était au rendez-vous. »

Combattre pour la vérité

Face l’issue du procès, les organisations de défense de la liberté restent mobilisées. « Malgré cette décision, nous allons nous mobiliser pour que justice soit rendue. Nous n’oublierons jamais Norbert Zongo et nous poursuivrons avec ténacité et fermeté notre mobilisation aux côtés des proches et des amis de Norbert », a indiqué RSF. La FIDH et le MBDHP exigent que toutes les voies de recours contre la décision de non-lieu soient actionnées. Ces organisations tiennent à souligner qu’elles ne manqueront pas, en cas d’impunité dans cette affaire, de saisir les mécanismes régionaux et internationaux de protection des droits de l’Homme. Quant à l’avocat de la famille du journaliste assassiné, Me Bénéwendé a fait savoir qu’il ferait appel de cette décision.

Mais certaines personnes restent sceptiques. « Nous ne sommes pas satisfaits de la procédure, rapporte un journaliste du Burkina qui a souhaité garder l’anonymat. Le problème est beaucoup plus complexe qu’il n’y parait. Des gens de pouvoir sont mêlés dans cette affaire. J’aimerai croire le contraire, malheureusement je pense que le dossier est clos. Un des procureurs a indiqué que s’il y avait de nouvelles charges, le dossier pourrait être remis sur le tapis. Mais vous croyez vraiment que des témoins, même anonymes vont se bousculer au portillon ? Un sergent qui, au départ, souhaitait témoigner dans cette affaire s’est rétracté. Il aurait reçu des menaces. Je voudrais que ce procès aboutisse à des condamnations, mais en toute sincérité, je pense que la vérité ne sera jamais établie ». Changer le cours des choses par sa plume, c’était le souhait de Norbert Zongo. Pour que son combat ne reste pas vain, c’est notre devoir de mémoire de ne pas l’oublier et de faire en sorte qu’éclate la vérité…

Par Louise Simondet

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