Le meurtre de Balla Kéita, un ancien ministre ivoirien, le 1er août dernier au Burkina Faso, ravive la tension entre les deux pays. Alors que certains organes de presse ivoiriens s’emparent de l’affaire pour mettre en cause les élites burkinabè, la police de Ouagadougou penche pour le crime politique.
Les tensions entre le Burkina Faso et la Côte d’Ivoire viennent de grimper d’un cran avec ce qui est train de devenir l' » affaire Balla Kéita « . Depuis l’assassinat de l’ancien ministre ivoirien à Ouagadougou, le 1er août dernier, la presse ivoirienne se déchaîne. En tête, deux titres particulièrement véhéments : Le National et Notre Voie. Dans un édito sans nuance, ce dernier n’hésite pas à écrire qu’au pays des hommes intègres : » les crimes de sang rythment la vie politique et sociale « . Côté Burkinabè, on reste plus modéré, craignant un regain de violence contre les ressortissants expatriés en Côte d’Ivoire. La mort de Balla Kéita réveille une vieille polémique entre les deux pays, sur fond de crime politique.
Le docteur Balla Kéîta a été retrouvé mort, poignardé, dans sa villa au bord de la lagune Ebrié, dans la nuit du 1er au 2 août. Il vivait depuis plus d’un an au Burkina Faso, où il jouissait du statut de réfugié politique. Secrétaire général de l’UPDCI (Union pour la paix et de la démocratie en Côte d’Ivoire), le parti du général Gueï, Kéita avait fui la Côte d’Ivoire pour échapper aux manifestations d’octobre 2000. Son parcours politique rythme sa biographie, depuis sa nomination aux ministères de l’Education et de l’Enseignement supérieur de 1983 à 1989 jusqu’à sa présence aux côtés de Robert Gueï comme Conseiller spécial pour les Affaires politiques et religieuses en 1990. Malgré ce cursus, l’assassinat politique n’est pas la thèse privilégiée par tout le monde.
Amour, argent et politique
Crime passionnel. Une lettre, trouvée au domicile de Balla Kéita, indiquant qu’une femme aurait voulu se venger de l’ancien ministre parce qu’il lui aurait transmis le sida, a d’abord aiguillé la police sur affaire de moeurs. Au Palais de justice de Ouagadougou, le bruit court cependant que la piste n’est plus d’actualité. Des examens auraient montré que Balla Kéita était séronégatif. Les indices se brouillent. Une femme aurait été aperçue, l’après-midi précédent le meurtre, en compagnie du défunt. Mais ne serait-ce pas plutôt un homme déguisé en femme ? Les autorités burkinabè s’interrogent et évoquent de plus en plus un » crime politique maquillé « .
Une toute autre thèse est avancée par le quotidien ivoirien Notre Voie. Abdoulaye Villa Sanogo, auteur d’un édito particulièrement virulent intitulé » Ca me révolte « , n’hésite pas, lui, à parler de crime mafieux. Le journaliste soutient que Balla Kéita aurait été mêlé à un trafic d’or et de diamant impliquant les autorités burkinabè. Contacté par Afrik, il a affirmé en détenir preuves. » Demandez-vous pourquoi cet homme, qui n’était plus ministre depuis des années, était logé et blanchi par les autorités burkinabè ? Au Burkina, on sait comment ça fonctionne « , affirme Villa Sanogo. Des propos qui révoltent la presse burkinabè et qui contribuent à raviver la tension entre les deux pays.
Eviter de politiser l’affaire
» Notre Voie, c’est comme la radio des milles collines « , s’indigne son confrère Bireima Ouedraogo, du journal burkinabè Le Pays. S’il reconnaît que certains journalistes ivoiriens tentent de mener correctement leur enquête sur place, à Ouagadougou, les allégations de Notre Voie le laissent pantois. Tout comme la réaction de Richard Kodjo, l’ambassadeur ivoirien au Burkina Faso. Celui-ci a fait savoir à l’Afp qu’il trouvait anormal que les autorités burkinabè ne l’aient pas associé à l’enquête. » Il n’y aucune raison d’associer un ambassadeur à une enquête de la police ! « , s’étonne Bireima Ouedraogo. Joint au téléphone par Afrik, le représentant d’Abidjan à Ouagadougou n’a pas souhaité s’expliquer plus longuement.
Avec précaution, le lieutenant Djibril Bassolet, ministre burkinabè de la Sécurité, a rappelé qu’il fallait éviter de » politiser l’affaire « . Les accusations d’Abidjan, selon lesquelles Ouagadougou aurait été à l’origine de la tentative de coup d’Etat de janvier dernier, avait déjà profondément entaché le dialogue entre les deux pays. En juin dernier, le Burkina Faso a rappelé son ambassadeur. Le climat, ombrageux, des relations ivoiro-burkinabè n’avait pas besoin de l’orage déclenché par l’affaire Kéita.