Affaire Kamerhe, les Congolais entre inquiétudes et soupçons après la mort du juge Raphael Yanyi


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Le juge Raphael Yanyi
Le juge Raphael Yanyi

Le décès de Raphael Yanyi, juge président de la Cour au procès de Vital Kamerhe, continue de susciter de vives réactions. Tant du côté de la famille du disparu que des proches de Vital Kamerhe et même des citoyens ordinaires. Crise cardiaque ou empoisonnement, l’autopsie seule permettra d’en savoir plus.

Le drame est survenu dans la nuit du mardi 26 au mercredi 27 mai 2020. Puis dans la journée du mercredi, la nouvelle s’est répandue telle une traînée de poudre. Raphael Yanyi Ovungu, magistrat en charge du dossier Vital Kamerhe, est passé de vie à trépas. Vers 1 heure du matin (heure locale). Des témoignages provenant de ses proches, il aurait eu un mal de ventre accompagné de vomissements. Mais tout se serait très vite passé, puisqu’au moment où les proches l’ont conduit au Centre Hospitalier de Nganda, les médecins n’ont eu que le temps de constater son décès. Et la polémique enfla.

Quelques heures plus tôt, en effet, Raphael Yanyi était en pleine forme, rapportent des témoignages concordants. En tout cas, tous les Congolais l’ont vu présider la deuxième audience du procès de Vital Kamerhe qui s’est déroulée seulement le lundi 25 mai, puisque comme pour la première fois, cette audience a été également retransmise en direct par la RTNC.

Alors que la police parle de crise cardiaque, de nombreux Congolais, y compris les membres de la famille du défunt, et même des membres de la société civile, semblent voir en la mort du magistrat une action humaine, volontairement provoquée. La thèse de l’empoisonnement pourrait correspondre au déroulé de son rapide trépas. Le député Eliezer Ntabwe s’interroge : « Je sais que (avec) le fonctionnement de la justice, il devrait être remplacé par quelqu’un d’autre. Mais je ne sais pas, est-ce que la stratégie était d’éliminer celui-là pour le remplacer par quelqu’un qui serait un peu flexible par rapport au premier ? Je ne sais pas, mais sinon ça risque de créer un tollé dans ce pays ».

A qui profiterait le crime, si crime il y avait ?

Pour Me Alfred Maisha, avocat près la Cour d’appel de Bukavu et député national UNC, le décès du juge Raphael Yanyi dessert fortement Vital Kamerhe et ses co-accusés. Pour ce proche de Vital Kamerhe, ce drame aura comme conséquence évidente de retarder la procédure déjà enclenchée dans ce procès. « Les prévenus en détention ont adressé une demande de mise en liberté provisoire, et le président vient de mourir sans avoir prononcé la suite. Ainsi étant, les seuls deux juges restants ne peuvent répondre à cette demande. Les exigences de la procédure n’autorisent pas qu’à deux juges, on prononce une décision sur la liberté provisoire. Il y a de quoi regretter. Au-delà de tout le monde, pour la perte de l’illustre disparu, le sort des détenus devra prendre un peu de temps pour être connu », a déclaré l’avocat.

Mieux, il fait remarquer qu’entre l’organisation des obsèques du disparu et la prise de connaissance du dossier par celui qui sera nommé à la place du disparu au Tribunal, il va s’écouler un temps qui rallongera immanquablement la procédure. Alors que l’urgence pour les détenus de Makala était de recouvrer ne serait-ce qu’une liberté provisoire. « Les obsèques d’un magistrat ce n’est pas une affaire d’un ou deux jours. On doit organiser des obsèques dignes de son rang et pendant qu’il est à la morgue, je ne pense pas qu’on va procéder à la composition de la chambre. Le tribunal dont il relève devra donc organiser une audience solennelle pour le délier de son serment et l’accompagner à sa dernière demeure. Et pendant tout ce temps, les prévenus, surtout ceux qui sont en prison, devront attendre », a laissé entendre l’élu UNC.

Si l’on s’en tient à l’argumentaire de cet avocat, Vital Kamerhe et ses co-accusés ne semblent pas être des bénéficiaires du drame. Mais c’est considéré un peu vite. Peut-être que le juge Raphael Yanyi se serait prononcé pour une mise en liberté provisoire. Et sinon, qui aurait un intérêt à cette disparition subite ?

Dans l’attente de l’autopsie

Pour la famille du juge, la mort de Raphael Yanyi ne saurait rester sans suite. Elle demande donc aux autorités d’ordonner l’autopsie du corps pour que les uns et les autres soient situés. « Quelques heures avant sa mort, il (Raphael Yanyi, ndlr) travaillait et tout le monde le voyait. Je ne vais pas m’étendre là-dessus (…) Nous voulons l’autopsie pour savoir de quoi il est mort et ensuite nous pourrons réagir. Pour le moment, nous ne pouvons rien dire », a laissé entendre le porte-parole de la famille, Constant Odiekila, au sortir de l’audience accordée, ce jeudi, par le vice-ministre de la Justice, Bernard Takahishe Ngumbi.

Tout comme la famille, plusieurs organisations de la société civile, parmi lesquelles le Syndicat autonome des magistrats du Congo (SYNAMAC), et même des politiques exigent l’autopsie du corps. « La mort peut être naturelle. Mais quand elle survient à un moment délicat, ça devient très louche quand même. Les enquêtes doivent être sérieusement menées pour en déterminer la cause », a affirmé Carbone Beni, militant pro-démocratie et co-fondateur du mouvement citoyen Filimbi.

De son côté, Franck Diongo, député et président du parti Mouvement lumumbiste progressiste (MLP) se montre intransigeant : « Nous exigeons donc une autopsie avec les experts congolais, les experts des Nation Unies et les experts de la communauté internationale et défenseurs de droit de l’Homme. De sorte qu’on puisse comprendre pourquoi cette mort brusque ».

Les regards sont donc tournés vers la justice congolaise pour voir la suite à donner à cette affaire qui vient donner une nouvelle tournure à un procès déjà sujet à beaucoup de polémiques.

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Par Serge Ouitona, historien, journaliste et spécialiste des questions socio-politiques et économiques en Afrique subsaharienne.
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