Le procès de l’affaire du Probo Koala, du nom de ce navire qui avait pollué les côtes d’Abidjan en août 2006 s’est achevé mercredi devant la Cour d’assises d’Abidjan. Seul le patron de la société chargée de nettoyer le navire et un employé du port d’Abidjan ont écopé de peine de prison. Une Ong dénonce une parodie de justice.
Une dizaine de mis en cause au départ, seulement deux condamnés à l’arrivée. La Cour d’assise d’Abidjan a eu la main légère dans l’affaire du cargo Probo Koala qui s’est dénoué mercredi. Une affaire pourtant grave, chargés de morts, d’un long cortège d’intoxiqués et de conséquences écologiques. Deux des accusés, un nigérian et un ivoirien ont écopé respectivement de vingt et de cinq ans d’emprisonnement ferme, tandis que les autres ont retrouvé leur liberté de mouvement.
Retour en arrière. Les 19 et 20 Août 2006, la côte d’Abidjan est fortement polluée. 528 mètres cubes de slops, des déchets hautement toxiques y ont été déversé, après le nettoyage des cales du Probo Koala. C’est un navire pétrolier immatriculé au Panama, propriété d’une compagnie grecque et affrété par la société hollandaise et suisse Trafigura. Son équipage est russe. La pollution fait dix-sept morts et plusieurs milliers d’intoxiqués.
Accusés d’empoisonnement et complicité d’empoisonnement
La justice ivoirienne se lance à la recherche des coupables qui, comme le navire pétrolier, ressortissent de plusieurs nationalités. Il y a Salomon Ugborugbo le nigérian. Dix jours avant l’arrivée du Probo-Koala, il a pu obtenir pour Tommy, sa société créée quelques semaines plus tôt pour la vidange et l’entretien des soutes des navires, un agrément pour le traitement des produits toxiques. La firme Trafigura lui confie le nettoyage des cales du Probo-Koala, et il procède au déversement des déchets toxiques sur la côte au large d’Abidjan. Il y a Essoin Kouao. C’est un ivoirien qui travaille pour une société consignataire du port d’Abidjan. C’est lui qui a mis en contact Tommy et Trafigura, via Puma Energy, sa filiale ivoirienne. Il y a quelques responsables ivoiriens, dont le commandant du port d’Abidjan, l’ancien directeur des affaires maritimes au ministère ivoirien des transports et trois douaniers. Ils sont soupçonnés d’avoir laissé faire, et accusés de complicité. Il y a enfin des dirigeants de Trafigura propriétaire du navire, comme N’Zi Kablan, le responsable de Puma Energy. Le 29 septembre, le procès du Probo Koala s’ouvre devant la cour d’assise d’Abidjan. Les charges d’empoisonnement et de complicité d’empoisonnement sont retenues contre les accusés.
L’Avocat général requérait des peines plus lourdes
Si la Cour d’assise d’Abidjan suivait les réquisitoires de l’avocat général, presque tous seraient allés en prison, et pour très longtemps. Mardi dernier au bout de trois heures de réquisitoires, M. Damou Kouyaté demandait de condamner à la prison à vie Salomon Ugborugbo le patron de Tommy et Essoin Kouao qui, estimait le magistrat, avait passé un « deal mortel » avec ce dernier et joué un « rôle déterminant » dans le drame. Pour l’avocat général, les deux hauts responsables du port d’Abidjan et les trois douaniers devaient écoper de vingt ans de prison.
L’avocat général demandait toutefois la liberté pour deux des mis en cause : le directeur technique de la société consignataire du port d’Abidjan et un de ses subordonnés. Le premier était absent au moment des faits, plaidait le haut magistrat. Les responsables de Trafigura, quant à eux, étaient d’emblée hors de cause : la multinationale a payé 152 millions d’euros à l’Etat ivoirien, pour qu’il abandonne les poursuites contre elle. Trois de ses dirigeants incarcérés à Abidjan ont d’ailleurs été libérés, suite à cet accord.
Mercredi dernier, seuls Salomon Ugborugbo et Essoin Kouao sont donc restés dans les filets de la justice. Le patron de la société Tommy a tenté en vain de se décharger sur la firme Trafigura qui, a-t-il plaidé, lui avait caché la nature toxique des déchets du Probo Koala. Il a écopé de vingt ans de prison ferme. De son côté, Essoin Kouao a été condamné à cinq ans ferme.
Ce verdict est toutefois loin d’avoir fait l’unanimité en Côte d’Ivoire. Dès son ouverture, l’association de défense des droits de l’homme (Apdh), une Ong ivoirienne, dénonçait ce qu’elle appelait « une parodie de justice ». Dans un communiqué, Hervé Gouaméné le président de l’apdh laissait entendre, en parlant de la multinationale Trafigura, que « la vérité (…) risque de ne jamais être sue et les nombreuses victimes n’auront pas trouvé satisfaction, ne serait-ce que morale, en l’absence des propriétaires et importateurs de ces déchets toxiques qui sont les véritables pollueurs ». M. Gouaméné écrivait aussi que « l’Apdh relève que l’indemnisation des victimes telle qu’acceptée et proposée par l’Etat de Côte d’Ivoire et une véritable arnaque dont il doit répondre ». L’arrangement entre l’Etat Ivoirien et Trafigura concerne seulement le volet civil de l’affaire, et n’exclut donc pas, si Abidjan le souhaite, de nouvelles poursuites au plan pénal.
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