Elisabeth Borrel sera reçue à l’Elysée. Elle a interpellé, mercredi, le président français pour que cessent les entraves à l’enquête sur la mort de son mari, disparu dans des circonstances non élucidées en 1995, à Djibouti. De nouveaux éléments prouvent que le prédécesseur de Nicolas Sarkozy, Jacques Chirac, a privilégié la raison d’Etat à l’intérêt du dossier judiciaire.
Durant sa campagne présidentielle, Nicolas Sarkozy avait promis de rompre avec les pratiques du passé, notamment en Afrique. L’affaire Borrel lui en offre l’opportunité. Mercredi matin, Elisabeth Borrel a interpellé le chef de l’Etat pour que cessent les entraves à l’enquête sur les circonstances de la mort de son mari, dans la nuit du 18 octobre 1995, à Djibouti : « Je vous demande de prendre auprès de moi l’engagement de faire respecter les principes qui seuls permettront l’aboutissement de mon combat pour que soient connus et punis les assassins de mon mari », lui a-t-elle demandé. Les autorités françaises ont longtemps voulu faire croire au suicide dans cette affaire mais c’est la thèse du meurtre qui est désormais privilégiée.
Elle-même avocate, Elisabeth Borrel a pris sa plume après que le quotidien Le Monde a publié, dimanche, des extraits des documents saisis les 19 et 20 avril dernier par les juges Fabienne Pous et Michèle Ganascia, aux ministères de la Justice et à celui des Affaires étrangères. Ces documents tendent à prouver que les autorités françaises ont fait pression sur leur justice pour que le dossier d’instruction de l’affaire soit remis à Djibouti. Précision : le président de la République géostratégique de Djibouti, où la France entretient son plus grand contingent militaire à l’étranger, est avec son entourage visé par l’enquête. Dans leur élan, les deux juges ont tenté le 2 mai une entrée à l’Elysée, « cellule Afrique », mais elles en ont été empêchées.
La France contre la France
Parmi la pêche miraculeuse qu’elles ont effectué en avril dernier, une note signée le 30 juillet 2004 de Laurent Le Mesle, alors directeur de cabinet du garde des sceaux Dominique Perben : « Je vous remercie de veiller à ce qu’il soit apporté une réponse favorable à la demande formulée par les autorités djiboutiennes », adresse-t-il à ses services. Après un premier refus du juge Clément à leur requête, les autorités djiboutiennes insistent, à la fin de l’année 2004, toujours soutenues par Laurent Le Mesle. Celui-ci assure son homologue aux Affaires étrangères que la demande sera cette fois satisfaite.
Fin janvier, il annonce dans un communiqué lu par le porte-parole du Quai d’Orsay qu’« une copie du dossier relatif au décès du juge Borrel sera prochainement transmise à la justice djiboutienne en vue de permettre aux autorités compétentes de ce pays de décider s’il y a lieu d’ouvrir une information judiciaire à ce sujet ». Non seulement la juge Clément ne cède pas mais cette déclaration pousse Elisabeth Borrel et ses avocats à porter plainte pour « pression sur la justice ». Ce qui a permis aux juges d’effectuer les fameuses perquisitions au Quai d’Orsay et à la Chancellerie.
Paris ne s’avoue pas vaincue et dans ultime tentative, propose à Djibouti de saisir la Cour internationale de justice (CIJ) contre… la France. « Il m’a dit qu’il réfléchissait à notre idée de recours à la CIJ », indique le 25 juin 2005 l’ambassadeur de France à Djibouti, dans un télégramme diplomatique, alors qu’il raconte un entretien avec le ministre djiboutien des Affaires étrangères. Djibouti a saisi La Haye le 9 janvier dernier.
Djibouti dénonce un « climat de gangstérisme judiciaire »
Pourquoi lui transmettre le dossier ? « Pour désigner un coupable qui ne porte pas atteinte aux intérêts des deux pays et dire aux juges français : vous pouvez clôturer votre instruction », résume Anne Crenier, ancienne présidente du Syndicat de la magistrature (SM) et partie civile, citée par Libération. Une explication que l’avocat-conseil de Djibouti, Francis Szpiner, rejette d’un revers de manche. Pour l’avocat de Jacques Chirac, également vice-président de la Commission consultative des droits de l’homme, l’idée de saisir la CIJ ne tenait en rien du génie et n’a pas été soufflée par Paris.
Même discours du côté du procureur général de Djibouti, qui dénonce dans un communiqué publié mercredi « le climat de gangstérisme judiciaire et de terrorisme médiatique entretenu par la partie civile et les syndicats de magistrats autour de l’instruction de l’affaire Borrel ». « Lorsque la justice djiboutienne a su que des expertises nouvelles laissaient a penser que Bernard Borrel avait été assassiné, explique Djama Souleiman, celle-ci a naturellement adressé a la justice française une commission rogatoire internationale pour demander la communication des éléments permettant d’établir qu’un crime avais été commis a Djibouti pour ouvrir aussitôt une information judiciaire pour assassinat ». Si Djibouti a saisit la CIJ, c’est « pour faire valoir auprès de cette juridiction le principe de la réciprocité entre deux Etats souverains ».
Elisabeth Borrel sera reçue à l’Elysée, a indiqué le porte-parole du chef de l’Etat, mais sans préciser par qui. « Le président comprend la détresse de Mme Borrel et salue son courage, a expliqué David Martinon. De façon générale, il veillera à ce que la justice puisse passer en toute indépendance. »
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